Entre deux libérations, l’indépendance

Enseignement du rav Tsvi Yehuda HaCohen Kook, rapporté par Léon Askénazi, publié dans Ki Mitsion, Jérusalem Iyar 5753, avril 1993, repris dans Ki Mitsion II, le calendrier hébraïque, Jérusalem, 1999, et dans Léon Askénazi, La parole et l’écrit, tome II, textes réunis et présentés par Marcel Goldmann, collection Présences du judaïsme, Albin Michel, 2005.

On doit remarquer que tous les événements commémorés dans le calendrier israélien se situent entre Pessah et Shavouot, entre le 14 Nissan et le 6 Sivan, c’est-à-dire dans la période du ‘Omer.

Il s’agit d’une part d’événements graves, comme l’anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie (le 27 Nissan), ou le jour consacré au souvenir des héros tombés dans les guerres d’Israël (le 4 Iyar); d’autre part de fêtes, comme le jour anniversaire de l’indépendance d’Israël (le 5 Iyar), ou le jour anniversaire de la réunification de Jérusalem (le 28 Iyar). Dans les deux cas, nous sommes renvoyés à l’atmosphère de la période du ‘Omer, à la fois deuil et rupture du deuil comme pour le jour central de cette période, le trente-troisième jour du ‘Omer, qui commémore la Hiloulah de rabbi Shimon Bar Yohaï. N’y a-t-il là qu’une somme fortuite de convergence de dates, ou faut-il au contraire y voir une manifestation de la Providence ?

Nous sommes en tout cas la génération qui peut témoigner que ces événements ont bien eu lieu à la date où nous les commémorons. Leur fixation n’est pas le résultat d’une décision arbitraire des autorités de la Tradition qui auraient fixé symboliquement cette commémoration dans la période du ‘Omer. Nous sommes bien la génération qui a assisté, à la fois, à la fin du monde ancien de l’histoire juive où l’Etat d’Israël n’existait que comme être d’espérance, et à la restauration de la nation hébraïque, dans un monde nouveau… celui de l’ère israélienne. Et cela s’est effectivement passé entre Pessah et Shavouot, il y a quarante-cinq ans.

Après le calendrier hébraïque où sont commémorés les événements fondateurs de la nation d’Israël aux temps bibliques de la génération de la sortie d’Egypte; après le calendrier juif où sont marqués les événements clefs de la diaspora judéenne – comme Pourim – ou du temps du deuxième royaume de Juda – comme Hanoukah ; notre temps marque effectivement le début d’un troisième calendrier, que les historiens de l’avenir nommeront le calendrier israélien. Notre maitre, le rav Tsvi Yehouda Hakohen Kook (Zal), nous a transmis les principes fondamentaux de compréhension de cette période du ‘Omer, en relation avec la proclamation de l’Etat d’Israël contemporain.

  1. Cette période du ‘Omer relie Pessah à Shavouot. La Torah ne donne pas de façon directe la date du 6 Sivan comme étant le jour où doit être commémorée la révélation des Dix Commandements au Sinaï, sept semaines après la sortie d’Egypte. Nous l’apprenons par le récit historique du livre de l’Exode, chapitre XIX. Tout se passe comme si cette période de cinquante jours représente un même ensemble et fait de Shavouot le huitième jour de Pessah, décalé de sept semaines. Un peu à la manière dont Shemini Hag Ha’atséret est le huitième jour de la fête de Soukot, au mois de Tishri. D’ailleurs, Shavouot est aussi nommé dans la tradition ‘Atséret, c’est-à-dire « clôture » de Pessah.
  2. Jusqu’à l’époque de la révolte de Bar Kokhba, au temps de rabbi Aqiba, sous l’occupation romaine de la Judée, cette période n’était pas considérée à proprement parler comme une période de deuil. C’était le temps où l’on préparait la « gerbe » (en hébreu le ‘Omer) de blé pour l’offrande des prémices à Shavouot. Ce n’est qu’après le massacre de l’armée de Bar Kokhba, composée, pour la plus grande part, de disciples de rabbi Aqiba (les Bné-Aqiba de ce temps-là) qu’elle fut instituée comme période de deuil pour marquer la fin de l’indépendance d’Israël au temps de l’occupation romaine. Et voici que l’événement eut effectivement lieu entre Pessah et Shavouot !…
  3. Toutes les communautés, quel que soit leur rite, observent un deuil de trente-trois jours au minimum. Certaines, plus particulièrement de rite kabbaliste, observent ce deuil pendant toute la durée des cinquante jours, avec interruption, cependant, au trente-troisième jour, nommé Lag Ba’omer. La manière de compter ces trente-trois jours est toutefois différente pour les Ashkenazim et les Sefardim. Les premiers font débuter le deuil le premier Iyar et l’achèvent à Shavouot ; les seconds le font débuter à Pessah et l’achèvent au trente-troisième jour. Les raisons de cette différence sont très importantes et seuls les kabbalistes savent les expliquer. Cela dépasse considérablement le cadre de ces remarques. Il faut toutefois noter que chacun doit impérativement suivre son rite d’origine et observer plus particulièrement la différence de formulation dans la bénédiction du compte du ‘Omer.
  4. Les deux limites de cette période du ‘Omer, Pessah et Shavouot, marquent les deux étapes de l’indépendance et de la libération d’Israël à la sortie d’Egypte. Pessah, la libération nationale et physique, Shavouot la libération spirituelle et religieuse. C’est donc une période vulnérable. C’est là que se joue le sort de l’indépendance d’Israël. Les événements néfastes qui annulent l’effet de la sortie d’Egypte s’y trouvent situés : ainsi, la fin de la résistance nationale à Rome au temps de Bar Kokhba ; et de nos jours, la révolte du Ghetto de Varsovie et sa fin tragique, sommet de la catastrophe de la Shoah. Mais, également, s’y trouvent situés les événements bénéfiques qui jalonnent et balisent la restauration de ce qui nous fut donné à la sortie d’Egypte : la fin de la situation d’exil. Ainsi, le Yom Ha’atsmaout[1] et, surtout peut-être, le Yom Yéroushalaïm[2], qui nous rapprochent de l’apothéose de Shavouot.

Et c’est pourquoi les premiers grands rabbins de l’Etat d’Israël ont institué ces jours comme fêtes pour tout Israël.


[1] Jour de l’indépendance de l’Etat d’Israël.

[2] Jour anniversaire de la libération de Jérusalem.