Entre laïcs et religieux, les olim de France

Une illustration de Gérard Darmon

 

Une stratégie qui fait face

Depuis sa création  Dialogia mène par les moyens de ses colloques, ses conférences, ses sondages et son site Internet Menora.info un ensemble d’études et de réflexions dans le but de faire connaître la réalité israélienne d’aujourd’hui aux nouveaux Olim de France et d’inscrire ainsi leur Aliyah dans une « bonne direction »,  et d’autre part de leur permettre plus rapidement d’apporter leur spécificité dans les débats qui agitent une Société israélienne, si complexe.

Pour ceux qui n’ont pas suivi nos activités, je voudrais les résumer avant de vous dire ce que ces travaux m’inspirent pour la réussite de cette Aliyah

Au début, nous avons commandé un sondage pour savoir qu’elle était la perception des  Israéliens à l’égard des nouveaux Olim de France. En Janvier 2017 nous avons réuni un premier colloque à la suite de ce sondage. Je ne veux pas revenir sur les résultats qui ont été largement commentés ( et que vous pouvez retrouver sur Menora.info), ils nous ont permis de savoir que des préjugés ou des idées fausses nous accompagnent ou nous précèdent comme : « les Juifs de France sont riches » ou i »ls viennent parce qu’ils sont obligés de fuir à cause de l’antisémitisme et non par sionisme ». Mais, si l’Opinion des Israéliens est globalement négative, comparativement aux Russes et aux Américains,  à plus long terme, les Israéliens pensent que nous réussirons notre intégration en apportant notre contribution dans plusieurs domaines ( armée, économie), mais avec une spécificité dans les domaines culturels et intellectuels ( culture générale, médecine, science, judaisme, philosophie, art de vivre), «  Vox Populi, vox Dei » , ceci est encourageant et ils se déclarent prêts à nous aider.

En Mai 2017, nous avons réuni le premier Colloque des Intellectuels Francophones d’Israel sous le titre « D’Auschwitz à Jerusalem, Que peut apporter la Pensée Juive française au nouvel Israel? ». Ce colloque nous a permis de rappeler  la mémoire des grands intellectuels Juifs de France qui, surtout après le drame de la Shoah, ont réussi à faire renaître le Judaisme européen de ses cendres. C’est « l’école de pensée Juive de Paris » qui a redonné vie à ce judaisme, fidèle à l’héritage, mais qui n’est ni celui de la Yeshiva ni celui de l’Université. Cette école de pensée, qui est d’une richesse immense et qui peut aider à trouver des solutions aux divisions de la Société , n’a pas actuellement sa place dans les catégories Israéliennes d’une Société très cloisonnée.

Le Professeur Shmuel Trigano nous a expliqué en conclusion de ce Colloque les difficultés de toutes sortes que rencontre cette pensée spéculative française faite en même temps de rationalité et de dimension spirituelle, pour y faire la place qui doit être la sienne à côté de l’influence des cultures centre-européennes , anglo-saxonnes, russe ou orientale, qui constituent la culture Israélienne, le Kibboutz Galouyot.

Par ailleurs, pour poursuivre notre réflexion, nous avions voulu faire un sondage auprès des 30.000 Olim français arrivés ses dernières années, pour savoir qui ils sont, comment se passe leur Alya et comment ils perçoivent la Société israélienne. Nous n’avons pas pu le réaliser car il est impossible d’en trouver un échantillon représentatif mais un sondage réalisé par le journal Makor Rishon vient d’être publié sur un échantillon (restreint donc peu représentatif) de 250 sur les 200.000 franco-Israéliens résidant en Israel. Deux chiffres donnent tout de même une idée :  81% seraient religieux (religieux sionistes ou traditionnalistes, très peu orthodoxes), et 72%  de droite ou centre-droit.

Le Colloque que nous tenons maintenant (en Mars 2018), est  basé sur un sondage destiné à mieux connaître la diversité de la Société Israélienne, qui ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était, et à l’idée que l’on s’en fait dans la communauté juive de France.

Ce travail, qui se poursuit ainsi, vise en quelque sorte à faire un retour réflexif sur cette Alyah. Il vise à clarifier ses enjeux pour réfléchir à une stratégie qui réussirait cette gageure de réussir cette nouvelle Alyah, c’est-à-dire :

-ne pas être rejeté dans les marges, dans la périphérie ( c’est un risque du fait du choc de cultures et de la difficulté de maîtriser non seulement l’hébreu mais également l’anglais)

– éviter de sacrifier une ou deux générations ( ce qui est considéré ici comme normal, c’est le prix à payer!).

-éviter le déclassement ( de Classe moyenne devenir la classe pauvre), pour des gens qui ne sont pas chassés ou obligés de quitter leur pays, c’est très difficile, en tout cas peu incitatif.

– enfin, être, dans 20 ans, partie intégrante de la Société Israélienne, comptant  parmi les meilleurs scientifiques, artistes, médecins, financiers, commerçants, artisans, hommes politiques ou rabbins, et pas sous forme de communauté séparée, ( comme leurs parents et grands-parents, ont réussi à l’être en France)  mais en gardant vivante la spécificité du judaisme français : être franco-Israélien ce n’est pas seulement avoir deux passeports, c’est l’attente d’un vrai contenu, d’une vraie rencontre.

Pour avoir une chance d’atteindre ce but, il y a plusieurs conditions :

-prendre en compte l’aspect collectif de cette Alyah, alors que tout est fait pour lui attribuer seulement un aspect individuel : la Montée en Israel est considérée comme une démarche individuelle ou familiale. Ceci implique une grande solidarité entre les Français, les plus anciens (dont beaucoup ont ici une place éminente),  par rapport aux plus récents, les plus riches par rapport aux plus démunis, les plus expérimentés par rapport aux nouveaux venus….. La réussite de cette Alyah  implique qu’elle soit aussi collective dans le sens où nous devons être tous  concernés chacun dans son domaine.

– de très nombreux bénévoles appliquent déjà cette solidarité, ils ont créé un tissu associatif dense  mais leur moyens sont limités. Nous devons permettre à ces Associations d’Olim français de renforcer leurs actions, si importantes pour faire face aux problèmes rencontrés. Il faut aussi que d’autres groupes se forment chacun dans son domaine pour développer cette solidarité.

-il faut mobiliser toutes les forces intellectuelles, universitaires, scientifiques,      économiques en Israel  pour mettre en place des programmes pour accompagner les nouveaux Olim de France ou les plus anciens, vers des métiers ou des professions  où ils puissent exceller, sous forme de  Projets, Programmes, Bourses, qui existent aujourd’hui pour les anglophones, peut-être pour les Russes mais très peu pour les Français.

– Faire participer le monde religieux à la réussite de cette intégration dans la société civile israélienne, en intervenant dans les synagogues, car Il n’y a pas d’opposition, dans la tradition française entre le religieux et le laïc, la vie dans la cité et la vie religieuse vont de paires, elles ont leur place chez chacun dans le cadre de la laïcité.

-Faire visiter aux nombreuses  Missions de pays francophones  qui viennent visiter Israel, les réalisations des Juifs de France,  dans les Associations, les écoles, Mikvé Israel, les entreprises ou start- up de Français, et plus tard tous les programmes qui seront réalisés. Ceci pour montrer les efforts qui sont faits et les inciter à y apporter leur contribution. Les nombreux  jeunes venant de France pour visiter Israel avec des organisations devraient également le faire.

-Pour cela, il faut réunir des moyens financiers importants. S’agissant d’aider des français réputés « riches », et qui, en plus, ont la mauvaise réputation de compter sur l’Etat-Providence, il vaut mieux ne pas attendre de soutiens venant d’autres provenances que de francophones en Israel, en France ou peut-être en Amérique. Il vaut mieux ne compter au départ que sur nous-mêmes, ce qui a déjà commencé à l’initiative des différentes associations. Mais c’est très insuffisant.  Quant à l’appui du gouvernement israélien, s’il se limite aujourd’hui à ce qui est fait pour toute Alyah, il fera peut-être davantage quand il verra l’effort que nous aurons fait pour prendre en compte nos spécificités. Les grandes Institutions de la Communauté Juive de France et l’Ambassade de France devront être sollicitées pour augmenter ce qu’il font déjà dans le cadre de programme bien définis.

Nous devrions aussi pouvoir compter sur les grandes Institutions Israéliennes que sont le KKL ou le Keren Hayessod, Appel Unifié pour Israël pour qui la Communauté Juive de France a collecté pendant 50 ans pour toutes leurs actions, y compris pour financer l’Alyah des Juifs Russes ou Ethiopiens fuyant leur pays. Pour mémoire, l’Aujf (association du FSJU et  du KH ) ont collecté en 1991, en France, pour la campagne Exodus pour l’Alyah russe 18 millions d’euros auprés de 50.000 donateurs. Il est temps maintenant pour tous les juifs qui aident Israel de donner priorité à la réussite de l’Alyah de France, ceci c’est aussi aider Israël.

Le Keren Hayessod en a pris conscience et vient de prendre une décision stratégique de lancer une collecte pour l’Alyah de France en s’appuyant sur les bénévoles de KIAH et d’Ademas dont je suis Président. Cette collecte financera des projets spécifiques pour les Français, sans frais, chaque organisation supportant ses propres frais.

Ce programme peut paraître très ambitieux, mais il n’y a pas d’autres choix  que de mener ce combat. Comme les Explorateurs de la Bible, les Olim de France découvre ici des géants partout : une armée parmi les meilleures du monde qui a réussi à défendre le pays en gardant une sagesse exemplaire, une économie et une industrie high-tech qui font l’admiration partout, une joie de vivre, une vie religieuse dirigée par de très grands Rabanim, des Universités et de grandes écoles exceptionnelles. Et tout cela a été réalisé en l’espace de seulement 70 ans.

Mais devant tant d’efforts et de réussites israéliennes, dont il est fier car c’est son Peuple, le Peuple Juif, sa famille, qui l’a réalisé, il ne doit pas renouveler la faute des Explorateurs, il ne doit  pas se décourager, car beaucoup reste à faire. Pour cela, il faut qu’il soit conscient :

– Qu’il a beaucoup à apporter dans une Société jeune, en plein développement qui offre donc beaucoup d’opportunités,

-Que c’est une société traversée par des fractures profondes et qui a besoin d’un souffle nouveau et que venant de France, il peut, sans complexe, contribuer à les réduire non seulement par ce qu’il va faire, sur les plans économiques, scientifiques ou culturels, mais également pour ce qu’il est, comme Juif de France, dans sa dimension intellectuelle, spirituelle ou religieuse.

-Qu’il sera aidé pour réussir à s’intégrer dans cette société israélienne si performante, non seulement par les Israéliens, mais également par les Français qui sont arrivés avant lui, et qui auront fait,  pour cela, des efforts à la mesure des enjeux.

-En un mot, qu’il pourra, enfin, commencer à réaliser un rêve : Bâtir une vraie Maison pour sa famille, chez lui, en Israel.

En conclusion, je dirais qu’il faut profiter de la baisse de l’Alyah de France pour réussir en qualité  ce qui ne l’a pas été en quantité. Si cette stratégie est appliquée, l’Alya de France augmentera même si la situation des Juifs en France s’améliore ou reste stable (ce qu’il faut souhaiter) mais à plus forte raison si elle se dégrade, ce que malheureusement nous ne pouvons exclure, je pense aux attaques contre des enfants juifs en ce début d’année, je pense à eux et à leurs parents, et ce, d’autant plus que j’ai moi-même connu cela à l’âge de 9 ans à  Casablanca. A 80 ans d’intervalle, rien de nouveau sous le soleil du monde arabe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Président de l'association Dialogia, administrateur de sociétés, ancien président de la campagne de l’Appel Unifié Juif de France, chevalier de la légion d’honneur, prix Yakir du Keren Hayesod.