Israël, « le temps retrouvé »

Depuis que  je me suis installé en Israël,  il y a quelques années, il m’arrive très souvent, de rencontrer des personnes que je n’ai pas vues depuis très longtemps, ou que quelqu’un me raconte une histoire que j’ai moi-même vécue,  ou encore me parle d’une personne qui m’était très chère il y a très longtemps, et c’est tout d’un coup comme si je revivais aujourd’hui, avec une fraicheur inouïe  ce temps que je croyais perdu. Ces rencontres m’ont permis de comprendre des choses qui m’avaient échappées  à l’époque et m’ont aidé à panser aussi, bien des blessures.

Si Marcel Proust était venu comme moi tardivement s’installer en Israel,( il n’aurait eu que 77 ans en 1948)   ce n’est pas seulement une madeleine qui lui aurait fait retrouver le temps perdu. Il aurait retrouvé ici les traces que son grand-oncle, Adolphe Crémieux,  a laissées , avec la création en 1870, par l’Alliance Israélite qu’il présidait, de la première grande implantation en Israël du Judaisme Français : l’Ecole de Mikvé Israel, et la rencontre ici de tous les juifs d’Algérie comme ma famille, qu’il avait libéré du joug arabe par le décret Crémieux, Ah ! si Proust revenait…

Mais, c’est pour illustrer mes rencontres que je voudrais parler de la dernière en date, celle avec Elise Corrin .

En 1991, j’ai pris la Présidence à Paris, d’une Association de Collecte de fonds pour l’aide à la Communauté juive de France et pour Israel : L’Appel Unifié Juif de France.

J’étais le premier Président sépharade de cette organisation et j’ai été tout de suite adopté par les membres du Comité, tous ashkénazes, dont beaucoup rescapés des Camps, car dans mon premier speech, ils avaient apprécié que je leur ai cité de Rabbi Nahman de Breslav : «  il est interdit d’être vieux » et parmi eux, Charles Corrin avec qui je

suis devenu ami. Il était le Trésorier de Yad Vachem France,  A cette époque, nous collections pour les Juifs Russes, qui étaient enfin autorisés à quitter l’Union Soviétique pour aller en Israel. Ils furent un million à  faire leur Alyah. Nous avons reçu beaucoup de dons et nous allions ensemble, avec des délégations de donateurs voir les Russes à Moscou ou à Budapest pour les accompagner en avion en Israel. Nous faisions également des missions de solidarité en Israël lors des guerres. Avec sa femme Annie, également rescapée des

Camps, ils étaient de toutes les œuvres caritatives pour Israël et pour les Juifs de France. Elle nous racontait ce qu’elle avait vécu mais lui était plus discret. Les deux ont disparu voilà quelques années, mais ils ont créé un « Prix Annie et Charles Corrin » qui récompense chaque année un travail réalisé par une école sur la Shoah.

A Tel Aviv, je rencontre la fille de Charles et d’Annie, Elise.

Le souvenir de son père et de sa mère a été si fort que je lui ai tout de suite demandé si elle n’avait pas le texte d’un discours qu’il avait prononcé lors d’une inauguration d’une crèche qu’ils avait crée au nom de »Corrin-Waser Sterenblic ».

Elle ne s’en souvenait pas mais m’a promis de m’envoyer une interview de 3 heures qu’il avait faite dans le cadre de Yad Vashem. J’ai retrouvé mon ami Charles, son sourire, sa douceur, son humour racontant, entre sourire et larmes, avec son léger accent polonais, les choses les plus terribles, les plus inhumaines qu’un homme puisse vivre entre les mains des Nazis.

Soudain au milieu de son témoignage, un nom me bouleverse, c’est celui d’une

annexe de Camp de Buchenwall : le Camp d’Ohrdruf où il a passé quelques temps. C’est celui-là même où, entre 1914 et 1918, mon propre père, fait prisonnier de guerre le 22 Août 1914, jour le plus meurtrier dans l’histoire des guerres de France, a passé une grande partie de sa captivité,non pas en tant que Juif mais comme Français, et où, lui aussi, un peu plus de 20 ans avant, a vécu les choses les plus terribles, les plus inhumaines qu’un homme puisse vivre, entre les mains des mêmes personnes qu’on appelait alors les Boches.

 

Quel terrible raccourci, quand, dans un petit village de Thuringe , deux jeunes hommes juifs, l’un venant de Marnia (Algérie), ville à moitié juive, prisonnier de guerre Français, l’autre venant d’Ostrowiec, petite ville de Pologne à demi- juive, déporté là parce que juif, sont contraints de vivre un destin funeste, au mépris des lois de la guerre pour l’un et des simples droits humains pour l’autre.

A ce moment, m’est revenue en mémoire, la conclusion d’un livre écrit en 1919 par un prisonnier de guerre, qui avait été dans le même Camp «  Notes et impressions de Captivité ». Le Chevalier Ernest De Laminne, qui raconte en détail l’enfer que fut la vie dans ces Camps et dans les Kommandos et la responsabilité individuelle de ceux qui ont appliqué avec cruauté et sadisme les ordres qu’ils recevaient dans le traitement des prisonniers de guerre.

Dans sa conclusion, De Laminne écrit : « Si l’on veut éviter que dans 10 années ils (les Allemands) envahissent à nouveau le monde, et que dans 20 ans, ils songent à à nouveau à piller leurs voisins, il faut qu’aujourd’hui on les punisse de leurs forfaits de façon si exemplaire qu’à jamais ils en gardent le souvenir. »

Je ne peux  m’empêcher de penser, qu’avec 20 ans d’écart, ce sont les mêmes  sous-officiers allemands, choisis parmi les plus primaires et les plus sauvages, pour surveiller et faire travailler les prisonniers, qui avaient torturé

mon père et mon ami Charles en revenant sur les lieux du crime.  D’ailleurs sur les photos du Camp à sa libération où l’on voit les Généraux Eisenhower, Bradley et Patton découvrant, avec horreur, en 1945 au Camp d’Ohrdruf, des restes humains calcinés, on retrouve sur d’autres photos les mêmes instruments de torture  que ceux utilisés en 1915.

Or, pour ces crimes,  justice n’a pas été rendue, ces hommes n’ont pas été punis, et c’est pourquoi, mon père était resté toute sa vie si amer, et c’est pourquoi 100 ans après moi aussi j’ai gardé cela sur le cœur et que l’histoire de Charles m’a d’autant plus bouleversé.

Mais cela n’est rien comparé à ce que les Allemands, ont  fait ensuite sous Hitler, encouragés par cette impunité, et riches de l’expérience qu’ils avaient acquise dans l’organisation de ce système concentrationnaire en 14-18, où 2,2 millions de prisonniers ont été traités de façon inhumaine, dans plus de 300 camps et dont beaucoup ont été assassinés, les chiffres ne sont pas connus, mais ils furent très nombreux car,  rien que dans le Camp de Cassel où mon père passa ensuite, on l’appelait le Camp de la mort, la peste avaient fait des ravages.

En créant ou transformant certains camps en Camps d’extermination, ils ont perpétré un « crime contre l’Humanité » : « la Solution finale » pour le  peuple juif. La prophétie de De Laminne était juste mais ne pouvait prévoir l’inimaginable. Entre 4 et 6 millions de déportés  sont passés par les Camps Nazis, parmi lesquels 3millions de Juifs ont été tués. Je ne parle que des Camps car, en dehors, 3 autres millions de Juifs furent tués, plus les Tziganes ou les homosexuels.

Un autre rapprochement m’a également frappé concernant le retour de ces rescapés après la guerre. Pour ceux de 14/18, ils n’ont pas été honorés comme leur camarades revenus des tranchées ou morts au combat : aucune décoration et une compensation financière réduite,  car un soupçon de lâcheté d’avoir préféré se laisser prendre plutôt que de mourir au combat, était la pensée officielle de l’Etat-Major. Comment ne pas penser à tout ce qui a été dit au retour des rescapés de la Shoah et à leur long silence sur ce qu’ils avaient vécu.

Nulle part ailleurs qu’en Israël je n’aurais pu comprendre tout cela.

Pour terminer, je voudrais ajouter que, quelle que soit, aujourd’hui, l’admiration que l’on peut avoir pour les Allemands devant le redressement  économique qu’ils ont réalisé au prix de si grands sacrifices et qui leur a permis de devenir le leader incontestable de l’Europe, cela n’enlève pas le sentiment qu’ils ne font pas, pour l’Europe qu’ils ont par deux fois ruinée, les efforts que leur réussite leur permettrait de faire, en aidant davantage les pays qui en ont besoin au lieu de réclamer toujours plus de sacrifices de leur part. Ce serait bien la moindre des choses et cela sauverait moralement toute l’Europe et recréerait le lien affectif qui lui fait défaut.

Et la leçon que je veux retenir pour nous ici en Israël, c’est que la brillante réussite économique que traverse notre « start- up nation », ne doit jamais être considérée comme une fin mais comme un moyen, certes essentiel, mais comme un moyen, d’abord et avant tout pour nous défendre contre nos ennemis, pour protéger notre souveraineté sur notre terre historique, mais sans jamais oublier que le but final est de réaliser l’Idéal juif dont nous sommes les porteurs,

Tel Aviv le 12 Avril 2017

 

 

Président de l'association Dialogia, administrateur de sociétés, ancien président de la campagne de l’Appel Unifié Juif de France, chevalier de la légion d’honneur, prix Yakir du Keren Hayesod.