« Les Palestiniens ont accepté les implantations »

L’ancien conseiller juridique du ministère israélien des Affaires étrangères est un expert reconnu en droit international. Il a participé aux négociations avec l’OLP. Il a également formulé la position d’Israël sur la légalité des implantations de Judée Samarie. S’il soutient leur conformité au droit, il met en revanche en garde sur leur possible annexion.

Propos recueillis par Pascale Zonszain.

Menora.info : Quel est le statut des implantations israéliennes de Judée Samarie au regard du droit international ?

Alan Baker : Il y a un débat entre différents acteurs de la communauté internationale et Israël. Les premiers affirment qu’il s’agit de territoires occupés. Selon le droit international, il est interdit de transférer par la force une population du territoire de l’Etat occupant vers celui du territoire occupé. Ils arguent donc que toutes les implantations sont illégales. C’est une conception défendue bien sûr par les Palestiniens, mais aussi par l’Onu, qui, sur sa majorité automatique l’accepte et la promeut. L’analyse d’Israël repose sur deux éléments. Tout d’abord, pour qu’un territoire soit considéré comme occupé, un Etat A doit le prendre à un Etat B. Cela doit être le territoire souverain de l’Etat B. Ce n’est pas la situation ici, puisqu’Israël a pris ce territoire à la Jordanie, qui non seulement l’occupait, mais l’a annexé illégalement. Une annexion que personne dans le monde n’avait reconnu. De surcroit, même si les Jordaniens détenaient la souveraineté, ils y ont renoncé en 1981. Il ne s’agit donc pas de territoire occupé dans la formule admise par le droit international. En outre, le droit international prévoit que l’occupant n’a pas de droit sur le territoire, autre que celui de l’administrer et de veiller sur la population locale. La position constante d’Israël est que le peuple juif a des droits historiques et juridiques sur ce territoire depuis la Déclaration Balfour de 1917 et même avant. La communauté internationale avait reconnu le fait que le peuple juif avait le droit de bâtir son foyer national sur un territoire, qui comprend aussi la Judée et la Samarie.

Cela signifie-t-il que l’on peut considérer les habitants juifs de Judée Samarie comme population locale ?

Non. La population locale est celle qui s’y trouvait au moment où nous y sommes entrés. Mais ce qu’affirme l’Etat d’Israël, c’est que le débat avec les Palestiniens porte sur le territoire. L’Etat d’Israël a des droits historiques et juridiques et il est prêt à tenir des négociations avec les Palestiniens sur ce territoire. Les Palestiniens l’ont accepté, c’est pourquoi nous avons les Accords d’Oslo. En conséquence, il s’agit de territoires disputés et non de territoires occupés. Nous reconnaissons le fait qu’il y a une population palestinienne qui a des doléances et les Palestiniens reconnaissent le fait qu’Israël a aussi des doléances historiques. C’est pourquoi nous avons accepté avec les Accords d’Oslo de négocier sur l’avenir de ce territoire, sur son statut définitif. Mais il n’y a pas encore d’accord sur le destin final des territoires de Judée Samarie et de la Bande de Gaza.

Quelle est la situation depuis les Accords d’Oslo de 1993 ?

Nous avons partagé le territoire avec les Palestiniens en trois zones différentes, A, B et C. La zone A est composée des grandes agglomérations palestiniennes, comme Naplouse, Djénine, Ramallah, Bethléem, etc. Les Palestiniens y détiennent toutes les compétences  judiciaires, de contrôle et de gouvernement. La zone B est composée de la majorité des villages palestiniens, indépendamment des grandes villes. Les Palestiniens y détiennent la compétence d’administration et de police. Mais c’est Israël qui détient la compétence sécuritaire pour prévenir le terrorisme. La zone C est formée par le reste du territoire, y compris les implantations israéliennes et les bases de Tsahal. Israël y détient toutes les compétences et tous les droits d’administrer, de construire et d’agir librement, le tout sous réserve de l’issue des négociations sur le statut définitif qui n’ont pas encore eu lieu.

Cela veut donc dire qu’au titre de cette répartition établie par les Accords israélo-palestiniens, Israël est libre de construire en zone C ?

Absolument. De même que les Palestiniens sont libres de planifier et de construire en zones A et B. C’est écrit en toutes lettres dans l’annexe civile des Accords d’Oslo. Même si dans la période précédant les Accords d’Oslo, on admettait la position de la communauté internationale qui considère ces territoires comme occupés, sur la base des conventions internationales interdisant les implantations, depuis la signature des Accords d’Oslo, les deux parties ont accepté le régime de partage du territoire. Et c’est ce régime qui prévaut sur tout autre, en vertu du principe de droit international de lex specialis : une situation particulière que les Palestiniens et les Israéliens ont acceptée pour ce territoire, jusqu’à ce qu’elle soit modifiée par un accord définitif.

Et pourtant, la communauté internationale continue à considérer les implantations comme illégales.

C’est la situation telle qu’elle existe aujourd’hui. Il y a débat entre Israël et la communauté internationale. Nous ne considérons pas les implantations comme illégales. Il faut d’ailleurs encore souligner un point. En vertu du droit international, il est permis à l’occupant d’utiliser  le territoire jusqu’à la conclusion d’un accord de paix. La seule chose qui lui soit interdite, c’est de s’emparer de terres en propriété privée. Il peut en revanche jouir des fruits de toute terre publique ou non privée. Les Israéliens ont veillé à ne construire les implantations que sur des terres non privées. Il y a quelques cas, d’erreur ou de mauvaise foi, où des implantations ont été bâties sur des terres privées. Mais ces affaires sont portées devant les tribunaux qui doivent les régler. Et l’on a vu la Cour Suprême israélienne ordonner la restitution de terres à leurs propriétaires palestiniens. Pour tout le reste du territoire, il est permis à l’occupant, en vertu du droit international d’en détenir l’usufruit. On peut avoir la jouissance de la terre, on peut y construire, à la condition qu’à l’issue des négociations sur le sort du territoire, s’il est convenu que ce territoire doit revenir ou échoir aux Palestiniens, toutes les implantations qui s’y trouvent, devront être évacuées, sauf disposition contraire convenue par les parties. C’est ce que dit le droit international, et Israël ne fait rien d’autre.

Ce n’est donc pas une position juridique, mais politique qui est opposée à Israël ?

C’est ainsi que se manifeste à notre égard l’attitude de la communauté internationales et de toutes sortes d’organisations de droits de l’homme, telles que la Croix Rouge. Une attitude qui n’est pas honnête puisqu’elle ne reconnait pas ce que dit le droit international. Elle subit une influence de nature politique qui se manifeste par la majorité automatique de l’Onu [dans le vote de résolutions anti-israéliennes par l’Assemblée Générale, NDLR].

Qu’en est-il du débat en Israël sur l’annexion ou l’application de la souveraineté israélienne sur les implantations de Judée Samarie ?

Il est vrai qu’en période électorale, ces questions reviennent souvent sur le devant de la scène. Le Premier ministre et son ancienne ministre de la Justice ont déclaré leur intention d’annexer des territoires ou d’appliquer la souveraineté israélienne sur une partie des territoires. L’ambassadeur des Etats-Unis en Israël, David Friedman, a été récemment cité par le New York Times, comme ayant affirmé qu’Israël a le droit « d’annexer » une partie des territoires. Mais ce n’est pas ce qu’il a dit. Il a dit qu’Israël a le droit de « conserver » une partie des territoires. L’expression « annexion » a été utilisée par le journaliste qui a rédigé le titre de l’article, alors que l’ambassadeur Friedman ne l’avait pas employée. Or, il y a une très grande différence entre « conserver » et « annexer ». L’annexion est interdite par le droit international, sauf si elle est le résultat d’un accord entre les parties. Il est interdit à un Etat occupant ou tout autre Etat d’annexer et d’appliquer sa souveraineté au territoire d’un autre Etat, si ce n’est pas la conséquence d’une négociation de paix. En revanche, il est permis de conserver ce territoire tant qu’il n’y a pas de traité de paix. Le fait qu’Israël, aux termes des Accords d’Oslo, ait conservé la zone C, est un exemple classique du principe de conservation. La résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’Onu, votée après la guerre des Six Jours, mentionnait qu’Israël devait se retirer de territoires et non de tous les territoires. Il y avait eu un conflit entre les versions française et anglaise du texte. Il avait été décidé que c’était la version anglaise qui faisait foi, qui parlait « de » territoires et non « des » territoires.  Cela implique donc qu’Israël a bien le droit de conserver certains territoires pour se conformer aux dispositions de la résolution, qui précisait qu’Israël devait avoir des frontières sures et reconnues. Et ce afin qu’Israël puisse continuer à conserver des territoires pour ses besoins sécuritaires, jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement par accord entre Israéliens et Palestiniens.

Si l’annexion sans accord est interdite par le droit international, quelle valeur donner aux déclarations politiques sur ce sujet ?

Ce qu’il est possible de faire, c’est d’appliquer la loi israélienne, comme nous l’avons fait pour le Plateau du Golan. Nous n’avons jamais dit que nous l’avions annexé, mais seulement que nous appliquons la loi, l’administration et la compétence judiciaire d’Israël sur ce territoire. Parallèlement, nous avons formellement avisé l’Onu que cette mesure ne préjugeait pas de toute négociation ultérieure entre Israël et la Syrie, quand elle serait prête à négocier avec nous. De même qu’il y a une différence entre annexer et conserver, il y a une différence entre appliquer la souveraineté et appliquer la loi. Il faut rappeler que pour les citoyens israéliens vivant en Judée Samarie, ce n’est pas la loi israélienne qui s’applique, mais les ordonnances de l’administration civile de l’armée israélienne qui reprennent le contenu des dispositions légales israéliennes et qui s’appliquent sur une base personnelle aux Israéliens résidant en Judée Samarie.

Que pensez-vous des accusations d’apartheid qui sont faites à Israël ?

Ce sont des âneries, proférées par des gens qui ne savent ni ce qu’est l’apartheid, ni ce qui se passe en Judée Samarie ! En vertu du droit international, un Etat occupant ou qui administre un territoire comme nous le faisons, est habilité à imposer certaines limitations à la population locale, car il s’agit d’une population hostile. Il est permis de procéder à des détentions administratives sous contrôle d’un juge, d’interdire des rassemblements importants, de limiter la circulation, d’imposer un bouclage, d’ériger des points de contrôle, etc. Le droit international reconnait comme tel un acteur qui administre un territoire et qui n’en est pas le souverain. Nous ne prétendons pas être le souverain en Judée Samarie, ni à Gaza, dont nous nous sommes d’ailleurs totalement retirés. C’est un régime différent de celui qui existe à l’intérieur de l’Etat d’Israël, qui garantit l’intégralité de leurs droits à tous ses citoyens. Les résidents palestiniens de Judée Samarie vivent dans un cadre qui n’est pas celui d’une souveraineté. Mais c’est à des années-lumière d’un régime d’apartheid ! Ils ont des droits et les font valoir, en s’adressant par exemple à la Cour Suprême d’Israël pour tout ce qu’ils considèrent comme une atteinte à leurs droits. On n’a jamais vu cela dans un régime d’apartheid !

 

Alan Baker est directeur de l'Institut des Affaires Contemporaines du Jerusalem Center for Public Affairs. Ancien ambassadeur d'Israël au Canada, il a aussi été le conseiller juridique du ministère israélien des Affaires étrangères. Il a participé aux négociations de paix avec les Palestiniens et à l'élaboration des Accords d'Oslo. En 2012, il a fait partie de la commission présidée par le Juge à la Cour Suprême israélienne Edmund Levy, chargée de définir la position d'Israël sur le statut juridique des implantations de Judée Samarie.