L’exil intérieur

« Il y a un temps pour l’impardonnable et un temps pour le pardon. Le pardon exige une longue patience. »

Paul Ricœur [1]

 

 

Depuis la destruction du second Temple en l’an 70 de l’ère chrétienne, les Juifs ont maintenu un rapport étroit avec la Terre Sainte. Certains quittaient même leur pays d’exil pour s’y installer, d’autres pour y étudier, commercer ou tout simplement y finir leur vie, mais cette immigration était le fait de quelques individus ou familles. A partir de 1880, et les débuts du mouvement sioniste, c’est collectivement que les Juifs montent en «Palestine», alors petite province de l’Empire Ottoman. Les vagues d’immigration, notamment d’Europe de l’Est (Russie, Pologne, Roumanie), se sont succédées jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale. Avec la création de l’Etat d’Israël en 1948, une partie des survivants de la Shoah opte pour le nouvel Etat alors que la majorité d’entre eux prend le chemin des Amériques ou retourne dans « leur » pays en Belgique, en Hollande, en France. De leur côté, les Juifs des pays arabes et notamment ceux du Maroc et de Tunisie, dans leur grande majorité, quittent leur terre natale en apprenant la création de l’Etat et voguent avec enthousiasme vers les rivages de la Terre Promise. Mais très vite, ils sont obligés de déchanter. Car alors qu’en exil, ils étaient dans le royaume, dans le royaume ils expérimentent l’exil et ses tourments. Avec en plus, la condescendance, les propos avilissants et les stigmates de toutes sortes qui laissent des blessures dans l’âme.

C’est de cet exil intérieur, de ces citoyens de seconde ou de troisième zone qui ont cru naïvement que l’heure de la rédemption avait sonnée et ont rejoint massivement le pays que je me propose de traiter, non pas tant en déroulant l’histoire de cette rencontre manquée entre des frères séparés par des siècles de dispersion, mais en partant d’un projet politique récent.

                                                        

Rencontre manquée

Voici près de deux ans, le ministre israélien de l’Education Naftali Benett a nommé Erez Bitton, prix Israël de poésie, à la tête d’une commission chargée de présenter un rapport et des propositions visant à mettre en valeur la contribution de la composante séfarade et orientale dans l’histoire et la culture de l’Israël contemporain. Avoir pris conscience de cette absence ou plus précisément de cette occultation, quelque soixante-dix ans après la création de l’Etat, en dit déjà long sur la façon inconvenante, lacunaire et tendancieuse dont on écrivait l’histoire. Le grand récit est devenu peu crédible. En un mot, on a éduqué des générations en les gavant d’une histoire écrite et conçue d’en haut, d’un récit ethnocentré qui faisait la part belle à une seule composante du peuple : l’ashkénaze. Et qui n’a pas rendu compte du sort et de la contribution des Juifs provenant des pays arabes. Ce qui a provoqué une distorsion idéologique de l’histoire.

Travaillant d’arrache-pied, la Commission a présenté son rapport au Ministre. C’est peu de dire que cela a provoqué des réactions épidermiques de la part de ceux qui se croient les détenteurs officiels et exclusifs de la culture israélienne. Pourtant, ils ne se sont pas contenté d’en critiquer tel ou tel point, mais ont ressenti le besoin impérieux de demander le retrait du projet et de donner libre cours à la haine vis-à-vis d’un courant majeur et important du peuple juif.  Et sous prétexte de critiquer les propositions du Rapport Bitton, l’on a assisté, en fait, à une tentative de délégitimation de la culture séfarade et orientale en arguant que c’est une culture mineure ou tribale,  plus encore : une non-culture, « une culture des cavernes », dixit Nathan Zakh.

Séfarades et non pas Orientaux

Au sein du peuple juif, les séfarades constituent une minorité. Sur une population estimée à 14 millions de Juifs dans le monde, on compte environ 4 millions de séfarades. Or l’on sait que les minorités sont toujours opprimées – et la minorité séfarade n’échappe pas à cette règle. Toutefois, dans le cadre de l’Etat d’Israël, à la discrimination sociale, politique, économique et éducative, au confinement dans la périphérie, s’est ajouté le discrédit de cette partie intégrante du peuple sur laquelle on n’a cessé de déverser des torrents d’humiliations.

  1. Ce qui a conduit les sociologues israéliens à nous qualifier d’orientaux afin de mieux nous identifier, contre notre gré, au tiers-monde sous-développé et afin de nous anathémiser dans une société qui condamnait l’orientalisation. L’étiquette « orientale » que l’on nous a collée est une émanation provenant de l’approche orientaliste européenne dans son rapport à l’Orient proche, moyen ou extrême. En dégradant le séfarade en oriental, on pouvait dès lors l’opposer à l’occidental et usurper par ce simple déplacement d’énonciation, la position d’hégémonie. Sans doute, est-ce là le lot de toutes les minorités ! Pour autant cela ne signifie pas que l’on doive considérer l’identité séfarade comme une identité de seconde zone ou une identité résiduelle comme c’est encore souvent le cas. Le séfaradisme n’est pas un ethnisme ou un tribalisme. Ce n’est pas non plus une nostalgie, un paradis perdu ou un romantisme au sens mélancolique ou irrationnel du terme. C’est une intempestivité et un rapport. Un certain rapport au monde et au judaïsme. Qui s’alimente aux sources vives de la tradition sans se fermer à la modernité qu’il a initiée pour l’ensemble du peuple juif. (J’y reviendrai.)

 

  1. Les séfarades ont toujours été considérés comme l’aristocratie du peuple juif. Il était donc difficile pour les sociologues à l’esprit étriqué de nous présenter comme les descendants des Juifs espagnols et portugais. Selon un de mes maîtres, Léon Askenazi zal, le peuple juif est composé de deux courants majeurs : les ashkénazes et les séfarades. Les premiers ont vécu leur exil en terre chrétienne et les seconds en terre d’islam. C’est certes une définition empirique, mais elle s’ajuste à la réalité sociale et historique. Il y va d’une conception du peuple juif qui se nourrit de la parole révélée et qui n’entend pas banaliser cette parole. Il s’agit d’un mode d’être juif et d’être homme. Quelque chose de l’ordre du roman familial. Presque rien, mais ce presque rien est capital. Bien sûr, les souvenirs de famille ne remplacent pas à la longue un savoir, des connaissances, une tradition. Et les séfarades ont une noble et haute tradition philosophique, religieuse et culturelle qui en fait le partenaire à part entière de son homologue ashkénaze. Il s’agit d’un avenir du passé. Où le Juif est inconcevable sans le rapport à l’histoire et à la terre.

 

  1. Moi, je suis marocain – ana min al-maghreb, ce qui signifie je viens de l’occident – plus occidental que quiconque se prétend occidental. Quiconque veut aujourd’hui avoir une idée des noms patronymiques des Juifs expulsés de la péninsule ibérique peut, en un clic, trouver mon nom de famille et celui de milliers d’autres répandus parmi les Juifs du Maroc et d’Afrique du Nord. De ce fait, mon père parlait espagnol, arabe, français et hébreu puisqu’il a vécu la dernière partie de sa vie en Israël. Nous étions donc linguistiquement métissés. Mais les sociologues israéliens et ceux qui les ont aveuglément suivi, lui ont collé le titre d’  » oriental primitif ».

 

 

  1. Il convient de souligner qu’après l’expulsion, s’est déroulé au Maroc, en Afrique du Nord et dans tous les pays où les expulsés d’Espagne se sont installés un conflit entre les « mégorachim : les expulsés» et les « toshavim : les autochtones » (en Turquie et dans les Balkans, par exemple, entre les « mégorachim et les « romaniyotim ») dans le but d’imposer les traditions religieuses ramenées avec eux de la péninsule ibérique. Comme les expulsés venaient chargés d’une culture religieuse et profane nourrie de l’esprit européen, ils l’ont imposée aux autochtones, si bien que ceux-ci l’ont adoptée nolens volens et l’ont transmise aux générations suivantes. Nous sommes donc séfarades en tous points. C’est pourquoi, je refuse que les sociologues israéliens qui ignorent l’histoire de ces communautés respectables me classe dans la catégorie des orientaux selon des pseudo-critères idéologiques et raciaux. (Ce découpage est provisoire, et je m’en vais dans un instant réinscrire cette séquence dans le temps et l’espace d’un ensemble plus large : celui de l’histoire du peuple juif).

 

  1. Au demeurant, rappelons que celui qui a rendu possible la participation des Juifs à « l’Age d’Or » espagnol n’est autre que R. Itsh’aq Alfassi (surnommé le Rif, 1013-1103). Né à Qala’at Hamad en Algérie, il a étudié à Kairouan en Tunisie et s’est installé à Fès, au Maroc, d’où son nom Alfassi. A l’âge de soixante-quinze ans, il est contraint de quitter cette ville et fonde avec son disciple R. Yossef Halévi Ibn Migash, en Espagne, l’académie talmudique de Lucena. C’est là qu’ont éclos les philosophes, les juges rabbiniques, les rabbins, les poètes et les grammairiens qui ont modelé la personnalité du judaïsme ibérique. Nous sommes partie intégrante de ce judaïsme dont les œuvres nourrissent aujourd’hui encore l’ensemble du peuple juif.

 

 

  1. Le Rif a été précédé par R. Yéhuda ben David Hayyug (né à Fès aux environs de 945 et mort à Cordoue en l’an 1000). Il s’agit d’un linguiste qui a posé les fondements théoriques de la racine trilitère hébraïque à partir de deux livres, écrits en arabe transcrit en caractères hébraïques – dont il ne reste que des fragments –, où il étudie les verbes irréguliers composés par des lettres quiescentes : otiyot hanoa’h et par des lettres doubles : otiyot hakefel.   Yonah ibn Djanah’ auteur du Livre des racines – le premier dictionnaire hébraïque – reconnaît devoir beaucoup à ses travaux auxquels il s’est référé avec déférence même si, ici et là, il a signalé et corrigé quelques erreurs. L’hébreu moderne a contracté une dette de reconnaissance à l’égard de ce linguiste de premier plan.

Réparation de préjudices

En réalité, il s’agit de réparer une situation socio-politique qui est la conséquence directe d’une politique malveillante[2]. Celui d’avoir enseigné, par exemple, pendant des décennies l’histoire récente d’Israël de manière ashkénazocentrée, ne laissant que des bribes pour les autres composantes du peuple… lorsqu’on daignait les intégrer au grand récit. Bien que le rapport Bitton a provoqué une prise de conscience, il n’ose pas réclamer, un changement structurel de l’approche : ne plus confiner les Séfarades et « Orientaux » dans les marges, dans la rubrique « gender » ou les enfouir dans les catacombes de l’histoire, mais les présenter comme partie intégrante du courant central. Car on entre dans une culture par l’apprentissage de noms propres. Et les noms ne s’apprennent pas seuls, mais logés dans leur contexte. C’est pourquoi les « responsables culturels » sont sur les dents : ils sont conscients qu’ils ont trompé le peuple. Ils n’ont pas raconté toute l’histoire. Plus encore, ils ont déployé des trésors d’imagination pour ne pas raconter toute l’histoire. Ils ont gommé un autre récit national en le condamnant comme inférieur. A la manière des « historiens » du parti communiste soviétique qui falsifiaient, sans scrupules, l’écriture de l’histoire.  Ajoutons, que cette mise en question de l’hégémonie ashkénaze, s’accompagne de la crainte d’être privé ou au moins de devoir partager la manne budgétaire qui se déverse sur leurs manifestations culturelles comme, jadis, elle se déversait sur les kibboutsim. Car tant que les rapports de force restaient inchangés, on tolérait, ici ou là, l’intrusion au compte-gouttes d’ »éléments étrangers », à savoir de séfarades, dans ce cercle hermétiquement fermé.  Mais à présent que ces derniers revendiquent et leur place et leur part du gâteau, voilà que l’on crie au scandale. Comment osent-ils, ces gueux ?

Le choc des conceptions

En vérité, deux conceptions du sionisme s’affrontent ici.  D’un côté, celle de la négation de la diaspora : shélilat hagalout impliquant le rejet des langues diasporiques, de l’origine, du nom patronymique, de la famille et de la tradition. Une idéologie de la rupture qui préconise l’émergence d’un sujet formel et universel. D’un « je transcendantal ».  D’un homme nouveau. Non plus enfant de…, mais enfant tout court. L’enfant absolu, arraché à toute relation parentale. De « « père inconnu », abstrait en quelque manière[3] ».  Comme dans Les Mots où Sartre, ayant perdu son père très tôt, est persuadé de n’avoir pas eu de surmoi et donc pas de loi à enfreindre, ni d’interdit à transgresser. Comme s’il fallait en découdre avec ce « lien de paternité pourri[4]. » Cet attrait de l’homme nouveau, c’est la fascination de la tabula rasa ou du recommencement à partir de zéro. Celui qui se donne pour objectif de « détruire le monde ancien jusque dans ses fondements », selon les paroles de l’Internationale. Le Juif nouveau[5], rêvé par la révolution sioniste, est sans attache, sans famille, sans tradition, sans religion, avec certes une langue, mais qu’on espérait transformer. (Itamar ben Avi n’avait-il pas émis l’idée de latiniser l’écriture de la langue hébraïque – à l’instar de ce qu’il avait suggéré de faire sur le turc à Mustapha Kemal Ataturk, alors que celui-ci, jeune officier, était en garnison à Jérusalem[6] –,  afin de la déconnecter de son socle biblique et religieux ?) L’homme nouveau rompt avec l’ancienne condition, la condition juive. Il n’est plein que de vide. Et le vingtième siècle nous aura appris combien le parti de l’homme, fût-il nouveau, contre les hommes de chair et de sang parvient au résultat inverse. L’amour de l’homme, le parti pris de l’homme, le choix de l’espèce, abstraite et formelle, contre le petit individu qui s’escrime pour assurer sa subsistance n’a pas été source de progrès. L’échec de l’engendrement du juif nouveau, le tsabar du kibboutz ou du moshav, greffé sur celui des régimes communistes en est la preuve patente. De plus, le judaïsme européen, celui de l’Emancipation, a un rapport ambivalent à son identité : son judaïsme est honteux, douloureux et doloriste, son histoire lacrymale. N’a-t-il pas engendré le concept de « la haine de soi[7] » ?

De l’autre, une conception qui glorifie l’origine, la cellule familiale, le nom patronymique – arboré comme des armoiries au cours des générations, et que l’on suggérait aux immigrants  de changer pour épouser la néomanie ou le diktat du nouveau ; or, un nom propre, parce que racine de l’âme, ne se laisse pas aisément transformer –,  le respect des parents, leurs traditions, leurs chants, leur langue, leur culture, leur musique, leur liturgie, leurs valeurs dont au premier chef : l’hospitalité. Les poèmes d’Erez Bitton, les romans de Gabriel ben Simhone ou de Samy Berdugo sont émaillés de proverbes en arabe ou de description d’ustensiles de cuisine démodés tel que le couscoussier et le four construit dans la cour : el keskass wou elferran, auxquels Bitton a consacré un poème plein d’ironie et d’émotion[8]. A cela s’ajoute que l’identité juive n’est pas ressentie comme un fardeau. Elle est assumée, entièrement ou partiellement, dans le respect et la joie. C’est dire que, contrairement à cette volonté farouche de se déconnecter de son passé[9], de commettre un parricide, il y a une autre idée du père : celui qui guide, qui transmet, qui a acquis la sagesse et qui, dès lors, peut prodiguer des conseils. Conception archaïque, diront certains ! Au moins a-t-elle le mérite d’offrir aux enfants une appartenance et de les inscrire dans la suite des générations, c’est-à-dire dans la collectivité d’Israël. D’ailleurs le peuple juif commence avec Abraham qui est désigné avant tout comme patriarche, père. Un père qui a souci de la vie de ses enfants sous toutes ses facettes. Dieu lui-même atteste : «Car je le connais afin qu’il donne des ordres à ses fils et à sa maison après lui et ils garderont le chemin du Nom en pratiquant justice et jugement » (Gn 18,19). Une famille, noyau de la collectivité, dont l’idéal est de faire justice et jugement. Doctrine du retour opposée à l’idéologie de rupture. Il importe donc de déconstruire le « Juif nouveau », produit avarié du mouvement sioniste. Celui qui concevait la relation entre l’Etat, le parti Mapaï, ses « commissaires du peuple » et la composante ashkénaze en général comme organique et indéfectible. Celui qui a troqué le rêve émancipateur de l’ensemble du peuple juif avec son idéal de justice et de jugement contre la servitude, les insultes racistes, la discrimination affichée ou rampante. Celui qui s’est autodéclaré, urbi et orbi, « parrain » de la culture israélienne.

Spoliation

Un exemple suffira en tant qu’il est paradigmatique de la modernité juive. Ce que l’on désigne par l’expression pompeuse de « culture juive » n’est-ce pas un substitut symbolique pour Juifs déjudaïsés ? Autrement dit, la « culture juive » n’est-elle pas purement et simplement la sécularisation de la tradition[10] ? Et la sécularisation qui caractérise la culture en général, n’est-elle pas, à son tour, une tentative de collecter, trier et ordonner les trésors de la tradition en les dotant d’habits neufs qui n’arrivent pas toujours à masquer les emprunts ? Une tentative qui a été celle des tenants du sionisme culturel et plus particulièrement de Hayim Nahman Bialiq (1873-1934). Une tentative qui consiste à présenter le corpus des textes de l’antique tradition rabbinique, non pas comme des livres saints mais comme les œuvres classiques de la culture juive[11]. Un transfert de propriété par un simple jeu d’écritures. Une entreprise de laïcisation vulgaire non dissimulée. Il importe de signaler au passage que le Sefer Ha’aggadah de H. N.  Bialiq et Yéhochoua Hana Ravnitsky (1859-1944), publié à Odessa en 1913, qui constitue l’archétype de cette démarche n’est, en réalité, qu’un choix d’aggadot du Talmud et du corpus midrachique, classifiées, élaborées, transcrites en hébreu moderne et rassemblées par thèmes. On escamote sous le nez des Sages du Talmud et du Midrach leur œuvre que l’on redéfinit sans vergogne comme « littérature classique reflétant l’esprit de notre peuple[12] ». Ajouté à cela, on s’empresse de « biffer le nom de l’auteur afin de mettre le sien à sa place[13]». Ce manuel a ensuite été considéré comme « une sorte d’anthologie littéraire ordonnée qui recueille le meilleur et le plus typique de toutes les disciplines de la aggadah », pour être enseigné, à ce titre, dans les écoles secondaires, en Israël.

Depuis lors, Il a été réédité de nombreuses fois, mais vient de connaître une ré-édition de belle facture, abondamment annotée de la part du Professeur Avigdor Shinan, un spécialiste du Midrach, ré-édition qui a eu les honneurs de la presse[14]. Dans la foulée, cet honorable professeur a ajouté son nom aux deux compères d’Odessa, appelant ainsi cette troïka Brosh, nom composé des initiales de Bialiq, Ravnitsky véShinan : ברוש.  Feignant d’oublier ou occultant le fait que ce livre de base de la « nouvelle culture juive » n’est que l’imitation et l’adaptation à l’intention des jeunes générations déculturées et déjudaïsées du Ein Yaacov de Rabbi Yaacov ben Shlomo Ibn Habib (Castille, 1445-Salonique, 1515) un expulsé d’Espagne, qui avait trouvé refuge à Salonique où il a publié son œuvre, en 1514. Dans cet ouvrage, R. Yaacov avait rassemblé les Aggadot du Talmud de Babylone[15] probablement à cause et de « l’amoindrissement des générations » et du poids de l’exil, suivant en cela l’enseignement de R. Ytsh’aq : « Auparavant lorsque les ressources étaient disponibles, l’âme de l’humain aspirait à étudier les questions de halakha, à présent que ces ressources manquent l’humain se contente des interprétations de la aggada. » (Soferim, chap. 16)  Parce qu’elles rapprochent les humains du Très Haut et leurs insufflent courage et espérance.

C’est ainsi que les parrains de la culture israélienne s’approprient les travaux de leurs prédécesseurs et font semblant de créer de toute pièce, comme dans un vacuum, une œuvre nouvelle, reléguant ainsi aux oubliettes la contribution des Séfarades à l’histoire du peuple juif. A homme nouveau, œuvre nouvelle ! Or, l’identité d’un groupe, d’une culture, d’une nation n’est pas celle d’une substance immuable, ni celle d’une structure fixe, mais bien celle d’une histoire racontée. Une conception figée, arrogante, de l’identité narrative ne permet pas d’apercevoir la possibilité de réécrire l’histoire transmise. Ce qui empêche bien des cultures de se laisser raconter autrement, c’est le rôle exercé sur la mémoire collective par « l’histoire officielle », dont la commémoration et la célébration répétées de certains événements tendent à geler l’histoire de chaque groupe culturel dans une identité non seulement immuable mais volontairement et systématiquement dévaluée, incommunicable[16]. L’ethos israélien qui se cherche n’exige certes pas l’abandon de ces repères historiques importants, mais un effort de lecture plurielle comme celui proposé ci-après de la modernité juive.

La pré-modernité séfarade

Au demeurant, on ne peut s’empêcher de penser que les savants de la « science du judaïsme » ou Wissenschaft des Judentums, c’est-à-dire l’étude historico-philologique de l’héritage juif par des Juifs – science dans le sillage de laquelle s’inscrivent, avec quelques amendements, Bialiq et Ravnitsky –, ont pris pour modèles les poètes et philosophes juifs du Moyen Age en Espagne. De même que ces derniers s’étaient mesurés à la métrique arabe et à la pensée grecque, comprises comme universelles, de même les premiers se sont confrontés à la pensée allemande en remettant à l’étude et à l’honneur les œuvres des poètes et philosophes juifs médiévaux. De sorte que la philosophie judéo-allemande du 19è siècle est une reprise de la philosophie médiévale et renaissante. C’est en insistant sur la modalité universelle de ces œuvres que les maîtres du judaïsme allemand des 18è et 19è siècles escomptaient obtenir l’émancipation sociale et politique.

Par ailleurs, dans le cadre de son combat visant l’obtention des droits civiques pour les Juifs allemands, Moses Mendelssohn (1729-1786) a fait traduire et a lui-même préfacé Vindiciae Judaeorum[17] de Menashé ben Israël (1604-1657[18]). En 1781, des Juifs alsaciens s’étaient, en effet, adressés à Mendelssohn pour solliciter son aide, préoccupés qu’ils étaient par l’antijudaïsme ambiant. Celui-ci se tourne alors vers son ami Christian Wilhelm von Dohm[19] (1751-1820) et lui propose de se charger de cette tâche. Dans son ouvrage, Dohm établit qu’il n’y a aucun empêchement majeur à ce que les Juifs ne soient pas de bons citoyens mais seulement des questions de détails. Il a ajouté qu’il serait bon de leur donner toute liberté de juger et d’arbitrer les conflits selon leurs lois jusque et y compris le droit de bannir et d’excommunier les membres de leur communauté, si nécessaire. De surcroît, il était d’accord avec le roi Frédéric II sur la limitation du nombre des Juifs dans l’Etat mais aussi sur le fait de corriger certains défauts dans les coutumes et les mœurs.

Mendelssohn a jugé de faire siennes certaines des idées de Dohm, mais d’en critiquer d’autres. C’est à cela qu’il a consacré la Préface dont il a doté, en 1782, l’ouvrage de Ménashé ben Israël (Vindiciae Judaeorum, 1656, [Justice pour les Juifs[20]]). La suite du titre est éloquente : or a letter in answer to certain questions propounded by a noble and learned gentleman, touching the reproaches cast on the nation of the jews ; wherein all objections are candidly and yet fully clear’d[21] ). Rappelons que ce porte-parole des Juifs d’Europe, se livre à une réfutation systématique des attaques qui s’évertuent à donner du Juif une image satanique, antichrétienne et inquiétante, destinée à faire obstacle à sa réadmission en Angleterre.  Le rabbin d’Amsterdam démontre à quel point sont absurdes et cruels le dénigrement de leurs rites et de leurs prières, que l’on veut dépeindre comme païens et profondément hostiles au christianisme ou la dénonciation de leurs mœurs jugées malhonnêtes, intolérantes et hostiles. C’est ainsi que ce « marrane » avait fini par convaincre Cromwell que le retour des Juifs en Angleterre, dont ils avaient été exclus en 1290, sera bénéfique au pays. Il faudra attendre sept ans après la mort de Menashé pour que la communauté juive de Londres bénéficie de la protection de la couronne et quelques 40 ans pour que le culte juif en Angleterre soit légal.  Ils y reviendront officiellement en 1698.

Dans cette Préface, Mendelssohn reprend et résume les arguments de Menashé. Il souligne que les préjugés et les discriminations envers les Juifs sont encore vivaces en son temps. Il prend ses distances vis-à-vis de certaines idées de Dohm concernant la limitation du nombre de Juifs au sein de l’Etat et critique sévèrement l’idée de confier aux rabbins, le droit de bannir et d’excommunier.

 

C’est donc au contact de cette œuvre, dans la Préface, que le philosophe berlinois fourbit ses armes et expose pour la première fois son point de vue quant à l’amélioration du statut socio-politique de ses coreligionnaires. De surcroît, Mendelssohn a traduit le Pentateuque en allemand transcrit en caractères hébraïques. Son but était d’enseigner la langue allemande à ses coreligionnaires afin d’accélérer le processus émancipateur. Sait-on assez que Mendelssohn a utilisé comme modèle le Tafsir de R. Saadia Gaon qui, au 10è siècle, avait traduit le Pentateuque en arabe transcrit en caractères hébraïques ? On désigne globalement du terme de Béour cette œuvre, ce qui est la traduction hébraïque de l’arabe Tafsir. Le fait que Mendelssohn se fut inspiré des œuvres de ces deux penseurs a été complètement oublié et occulté de la conscience par l’historiographie juive. Oubli et occultation qui permettent de passer par le compte pertes et profits la contribution séfarade à l’histoire moderne du peuple d’Israël

En s’appuyant sur Menashé et Saadia Gaon dont la pensée et l’engagement lui servent de modèle, Mendelssohn prépare son Jérusalem dont le sous-titre est Pouvoir religieux et Judaïsme qui sera décisif dans le combat pour l’Emancipation. C’est dire que les Séfarades ont doublement frayé la route à l’Emancipation des Juifs européens en inspirant Mendelssohn dans son combat et par le lien qui soude le shabtaïsme à la réforme, au sionisme et à la révolution française.

Désormais, trois voies sont ouvertes par les Juifs séfarades lesquels sont les véritables précurseurs de la modernité juive. Les Juifs ashkénazes ne feront que s’y engouffrer.

 

La modernité juive 

Le sionisme. C’est devenu un lieu commun que l’idée du retour à Sion qui s’adosse à la doctrine kabbalistique de R. Itsh’aq Louria, a été ouverte par Shabtaï Tsvi (1626-1676). Il a été un des premiers qui a non seulement conçu et imaginé le mouvement du retour à Sion mais qui a œuvré pour sa réalisation. Il a certes échoué, mais le mouvement sioniste reprendra cette idée et la mettra au goût du jour.

La réforme. Shabtaï Tsvi était comme contraint et forcé d’exécuter des « actes étranges : maasim zarim » qui étaient contraire à la halakha : (il a annulé, par exemple, le jeûne du 9 av et l’a remplacé par un jour de fête).  Il désignait ces actes antinomiques comme des actes saints, comme des valeurs spirituelles nouvelles qui dotent l’humain d’une liberté intérieure. Et il motivait sa conduite en se référant aux concepts de la doctrine lourianique selon laquelle nous sommes dans une période où s’effectue le passage de la « torah de la création : torah dé béria », celle des commandements pratiques à la « torah déatsilout : torah de l’émanation », plus spirituelle, celle du nouvel éon. De tels comportements ont inspiré les modalités du mouvement de la réforme radicale et de la modernité à tout crin.

La révolution française. On sait que le frankisme est une excroissance du shabtaïsme en terre chrétienne. Jacob Frank (1726-1791) a poussé la doctrine shabtaïste jusqu’au nihilisme religieux et a théorisé le passage de la torah ancienne à la nouvelle comme une « démarche révolutionnaire ». Lorsque la Révolution Française a été déclenchée, Frank et son mouvement ont identifié dans les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité, prônées par les acteurs de cet événement historique la réalisation politique de leurs idées mystiques. C’est ainsi que celui qui devait succéder à Frank, Moshé Dobruska, alias Franz Thomas von Schönfeld, alias Junius Frey, s’est engagé dans les rangs des Jacobins afin de renverser l’ancien régime et est devenu un de leurs leaders. Il est mort sur l’échafaud comme son ami Danton[22]. L’émancipation conduira d’un côté à l’assimilation et de l’autre à la haskala et la haskala au sionisme.

La séfaradité constitue donc la matrice du judaïsme moderne. Et la fonction de la matrice est de créer et d’enfanter c’est-à-dire de faire un vide dans le plein pour accueillir l’autre, mais en s’effaçant, en s’interrompant, en se désagrégeant. Pourtant, sous prétexte de désintégration de la matrice, n’a-t-on pas gommé et occulté son rôle essentiellement fécond et celui de ses porteurs ?

Une déconstruction

Nous avons reconduits l’analyse de la modernité juive jusqu’à son lieu de surgissement chez les descendants des Juifs séfarades. Nous avons déplacé et réélaboré ce qui a toujours été minorisé, opprimé, réprimé, méprisé, maîtrisé. Nous avons fait apparaître que ce qui est dominé déborde et constitue ce qui le domine. Voulant exorciser le démon du séfaradisme, les Ashkénazes le font revenir. Plus ils tentent de l’éradiquer ou de l’effacer, plus cet effacement laisse des traces que nous avons mis en lumière. Nous avons donc opéré ce que Derrida appelle une déconstruction de l’histoire juive.  Si tel est son sens – et cela semble bien être le cas – il est de notre devoir de lutter pour imposer cette conception et proposer ainsi une alternative à la manière dont elle est présentée et enseignée. Autour de ce point névralgique, on pourra rassembler une majorité d’intellectuels.

C’est pourquoi il importe d’insister sur l’enchevêtrement des histoires au plan interpersonnel occasionné par la façon de raconter autrement – la narration croisée, l’échange des mémoires – qui conduit à la révision du passé. L’échange des mémoires doit être repris à nouveaux frais, dans la perspective de la souffrance et du pardon. Il ne s’agit plus de ressasser sa propre souffrance, il convient de s’ouvrir à la souffrance des autres, d’imaginer la souffrance des autres. Non plus partir de la souffrance subie mais de la souffrance infligée[23]. C’est ainsi que l’on parviendra au pardon véritable. La narration croisée est la seule manière d’ouvrir la mémoire des uns sur celle des autres ; le pardon qui en découle est la seule manière de briser la dette et l’oubli et ainsi de lever les obstacles à l’exercice de la justice et de la reconnaissance.

Le chemin vers la réconciliation

Mais pour parvenir à ce stade et soigner les très nombreux traumatismes qui ont accompagné l’arrivée et l’installation des Juifs d’Orient et d’Afrique du Nord en Israël, une série de préalables s’impose. Il convient de nommer tout d’abord une commission.  Celle-ci ne doit pas avoir de compétence proprement judiciaire. Elle aura pour but de recueillir des témoignages. Elle jugera et condamnera symboliquement les responsables politiques et leurs sbires, entendra les victimes qui ne réclameront aucune sanction mais veulent que l’on consigne les récits de leurs souffrances et des maux commis contre eux et leur progéniture. Ce qui pourra servir de catharsis. Et ainsi atteindre l’objectif souhaité : parvenir à une sorte d’amnistie générale et de refonte du corps de l’Etat-Nation.

Pour atteindre ce but, il importe donc d’établir la vérité et de rendre justice.  Car le pardon ne saurait se substituer au jugement, les responsables doivent avant tout reconnaître leurs méfaits. Le pardon, en effet, se construit. Il n’y a pas de scène de pardon sans témoignage face, si possible, au responsable et en présence d’un tiers.  Et comme dit Jacques Derrida, « si le pardon est possible, il doit s’accorder à ce qui reste d’une certaine manière impardonnable. [24]» Autrement dit, « pardon demandé, n’est pas nécessairement pardon dû.[25] » Un simulacre de pardon peut torpiller toute cette entreprise, car le pardon est fragile. C’est que nous sommes dans une juridiction [celle de la tradition juive] qui substitue l’amende, symbolique ici, à la souffrance. Nous sommes dans un système qui consiste à juger dans la vérité et à traiter dans l’amour le ou les responsables. De sorte que le pardon n’est possible qu’après la prononciation de la sentence, fût-elle, doit-on le répéter, purement symbolique. C’est pourquoi, il convient de méditer cette parole de Rabban Shimon ben Gamliel : « Le monde se maintient grâce à trois choses : la vérité, la justice et la paix, ainsi qu’il est dit « Faites régner dans vos cités la vérité, la justice et la paix. » [Zacharie 8, 16]. » (Avot, 1, 18). Ce dire insiste sur l’ordonnancement de la procédure – vérité, justice, paix – qu’il recommande afin que l’entreprise aboutisse.

En résumé : L’identité séfarade est-elle le signe errant de l’identité israélienne ? C’est plutôt, semble-t-il, le signe excommunié. J’ai essayé de le déplacer des marges vers le centre et de lui conférer une stabilité. Cette identité, en dépit de sa modalité souterraine innerve l’histoire juive et israélienne et la constitue. Il est grand temps de la faire sortir de l’obscurité de son confinement vers la lumière éclatante. Si nous réussissons à le faire, nous aurons rempli notre fonction d’intellectuels responsables en ce que nous aurons suturé les accrocs dans le tissu de la nation juive et transmis aux jeunes générations le défi de développer nos études et de poursuivre sereinement l’objectif de présenter la séfaradité comme l’autre courant majeur du peuple. Le chemin est long et tortueux, mais la paix sociale est à ce prix[26].

 

David Banon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] « Quel ethos nouveau pour l’Europe » in Imaginer l’Europe, sous la direction de P. Koslowski, Paris, Editions du Cerf, 1992, p.115.

[2] Ainsi la déclaration de David ben Gourion qui préconisait de séparer les élèves « orientaux » des ashkénazes, de peur que les premiers ne contaminent la culture des seconds. « Seront-ils des Juifs comme nous le désirons ou bien comme les Juifs du Maroc ? » avant d’ajouter « dans dix ou quinze ans, ils constitueront la majorité, et alors nous nous transformerons en un peuple levantin (oriental). » Sami Shalom Shitrit, Lettre ouverte au ministre Naftali Benett, Haaretz du 21.05. 2015. Sied-il à un premier ministre de jeter l’anathème sur une partie de la population de l’Etat ? Sa fonction ne lui fait-elle pas obligation de prendre en charge l’ensemble de la population israélienne ?

Voir aussi l’article de Nadav Moltschédesky qui rappelle qu’en août 1952, le quotidien Davar a essayé d’éveiller la conscience nationale aux difficultés qu’éprouvaient les parents des olim « orientaux » d’hospitaliser leurs enfants ou leurs nourrissons qu’on refusait de soigner au point que Nathan Alterman a dû consacrer sa chronique hebdomadaire à cette injustice que le diable n’a pas inventée avant d’être réprimandé par…ben Gourion. (Supplément littéraire de Haaretz du 06.10.2017). Comment ne pas qualifier ces propos et ces actes de politique malveillante et malintentionnée ?

[3] Emmanuel Levinas, « Etre Juif », in Confluences 7 (1947), n°15-17, pp.253-264. Repris dans Cahiers d’Etudes Levinassiennes, n°1, 2002, Jérusalem, p. 102.

[4] Jean-Paul Sartre, Les Mots, Paris, Gallimard-Folio, 1964, p.18

[5] Anita Shapira, Yehudim h’adashim Yéhudim yéshanim : Juifs nouveaux, Juifs anciens, Am Oved, Tel-Aviv, 1997, en hébreu, p. 155-174

[6] Itamar ben Avi, Hah’atsouf haeretsyisrééli. Praqim méhayav shel hayélèd haivri harishon, Yédiot Aharonot. Sifré Hémed, Rishon Létsion, 2016, p.192-193

[7] Théodore Lessing, La haine de soi. Le refus d’être juif, traduction, présentation et postface de Maurice-Ruben Hayoun, Agora Pocket, Paris, 2011.

[8] Timbisserte, tsipor maroqait : Timbisserte, oiseau marocain, Hakibboutz Haméouh’ad, Tel-Aviv, 2009, p.68-69. Il faudrait traduire et tenter une  analyse de tout ce poème qui évoque, par la vétusté d’ustensiles inappropriés et brisés dont plus personne ne veut, l’effacement du passé que les immigrants d’Afrique du Nord ont apporté avec eux et son final où le poète demande à sa mère « Si c’est ainsi, pourquoi n’as-tu pas transporté un village sur ton dos, et où es-tu et où est la terre du pays d’Israël. »

[9] « L’Etat d’Israël est la création du sionisme, et le sionisme est une des conséquences de l’émancipation des Juifs des chaînes de la halakha et de la tradition. » Gershom Scholem, « Echec du sionisme ? », Le Débat n° 15, septembre-octobre 1981, p.47 (Je souligne chaînes). Faut-il commenter ?

[10] Ou bien une stratégie de substitution. On essaie de dissocier l’histoire du peuple juif du judaïsme à l’aide d’une rhétorique en utilisant le sionisme comme une religion civile.

[11] Hayim Nah’man Bialiq, « Hassefer ha`ivri » : Le livre hébraïque, in Divré Sifrout, Tel-Aviv, Sifriat Dvir la`am, 1965,  pp. 32-56, en hébreu.

[12] Id, « Lékinoussah shel haagadah : Recueillir la aggadah », ibid, op cit, p. 64

[13] F. Nietzsche, Le Gai savoir, Aphorisme 83, Gallimard, Paris, 1950, collection Idées nrf, p. 120

[14] Voir par exemple l’article de Ychaï Rosen-Tsvi, dans le supplément Sefarim : Livres, du quotidien Haaretz du 26 janvier 2016, p.1-3

[15] Sous-titré La Source de Jacob – ‘Ein Yaakov, traduit en français et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Verdier, Lagrasse, 1982, collection « Les Dix Paroles ».

[16] Voir supra note 8.

[17] Justice pour les Juifs, Londres, 1656. Traduit et annoté par Lionel Ifrah, Paris, Editions du Cerf, 1995.

[18] Né Manoel Diaz Soero, fils d’une famille marrane hispano-portugaise ayant trouvé refuge dans la communauté séfarade d’Amsterdam, il recouvre son identité juive et reçoit son ordination de R. Yacov Uziel. Il est aussi éditeur et diplomate.

[19] Haut fonctionnaire de l’Etat prussien, il est le premier non-Juif, en Allemagne, à prendre fait et cause pour les Juifs, à les considérer comme des êtres humains que l’histoire a pervertis et à lutter pour leur émancipation. Cf De la réforme politique des Juifs (Über die bürgerliche Verbesserung der Juden, 1781), D. Bourel, ed. Stock, Paris, 1984.

[20] C’est la traduction qu’a choisi avec raison Lionel Ifrah. Vindiciae c’est bien : revendication en justice. La version allemande opte pour Rettung der Juden, 1782, ce qui signifie Salut des Juifs, traduit de l’anglais sans doute par Markus Herz. La traduction hébraïque suit l’allemand : Téshuat ysraël in Ecrits mineurs, p. 147-172.

[21] La traduction française de cette lettre qui résume tous les arguments du livre se trouve dans Justice pour les Juifs, op cit, p. 59-87

[22] Voir Gershom Scholem, Du frankisme au jacobinisme : la vie de Moses Dobruska, alias Franz Thomas von Schönfeld, alias Junius Frey, traduit par Naftali Deutsch, Gallimard-Seuil, Hautes Etudes, Paris, 1981, p.108 où Scholem montre que Dobruska comme beaucoup d’autres frankistes ont été « aspirés » par les idéaux de la Révolution française. D’où leur engagement dans les rangs des Jacobins.

[23] Paul Ricœur, « Quel ethos nouveau pour l’Europe », art cit, p.113

[24] Jacques Derrida, Sur parole. Instantanés philosophiques, Editions de l’Aube, 1999, p. 136.

[25] Paul Ricœur, « Le pardon », Esprit, mars-avril, 1995. Le contexte de cette citation est éloquent : « Le pardon est d’abord ce qui se demande à un autre et d’abord à la victime. Or, qui se met sur le chemin de la demande de pardon doit être prêt à entendre une parole de refus. Entrer dans l’aire du pardon, c’est accepter de se mesurer à la possibilité toujours ouverte de l’impardonnable. Pardon demandé… »

[26] Mon ami Shmuel Trigano m’a tenu au courant jour après jour de la tentative d’une poignée d’intellectuels séfarades qui avaient été invités longtemps auparavant et confirmé leur présence, de saboter notre colloque pour des raisons tenant à la parité hommes-femmes des intervenants. Ils se sont répandus sur le net en les dissuadant de participer. En dépit de ce que Shmuel a appelé un « lynchage médiatique », la salle était pleine et les échos recueillis très positifs. Il semble que derrière cette tentative de sabotage, il y a la volonté de juguler la parole des intellectuels francophones. Or, nous sommes venus dans ce pays pour apporter notre contribution – fût-elle modeste – aux questions préoccupantes de l’Etat d’Israël et du peuple juif, quitte à troubler le sommeil dogmatique de cette poignée d’intellectuels.

 

 

* Version française d’une intervention prononcée en hébreu au colloque Dialogia « Le signe errant de l’identité israélienne » qui a eu lieu le 19 novembre 2017 à Tel Aviv

David Banon, Professeur émérite, Université de Strasbourg, Institut Universitaire de France (IUF), Prof invité à l'Université hébraïque de Jérusalem