L’idéal d’unité à l’épreuve de l’alya: le projet de Dialogia

 

L’ Association Israélienne, Dialogia, qu’avec le Professeur Shmuel Trigano et quelques amis, nous venons de créer, est  née, pour ma part, de deux constatations et d’une rencontre.

Première constatation : je croyais bien connaître Israël, étant venu de très nombreuses fois dans tout le pays et j’ai vite compris qu’une grande partie des choses m’avait échappé et qu’on ne peut comprendre Israel qu’en habitant ici, en faisant son « Aliyah »: en vivant avec les Israéliens.

Deuxiéme constatation: nous avons en France de très nombreux intellectuels juifs, héritiers de l’Ecole de Pensée Juive de Paris qui, après la guerre, ont redonné sa noblesse à l’étude du judaisme. Ils animent en France une vie intellectuelle juive très active. Personnellement, je leur dois beaucoup et j’ai pour eux une grande admiration. Ces intellectuels sont déjà nombreux en Israel et d’autres arriveront. Nous devons les aider car ils peuvent apporter beaucoup à la Société Israélienne.

En Mai dernier, j’ai retrouvé à Tel Aviv  Shmuel Trigano que je connaissais depuis 30 ans, il revenait en Israel après de nombreuses années d’un travail intellectuel intense en France.  Il connait déjà beaucoup d’intellectuels israéliens et franco-Israéliens. Ensemble nous avons décidé de créer Dialogia, dont il a accepté avec enthousiasme de prendre la Direction. Intellectuels français et Israéliens pourront s’y retrouver pour partager leurs réflexions  sur tous les sujets concernant Israel et le peuple juif ainsi que,  plus spéciquement sur la place qu’auront les Juifs de France en Israel..

 

Une terre de contrastes

Ces réflexions sont le résultat de 3 expériences personnelles :

La première est mon expérience à l’Appel Unifié Juif de France où j’ai été Président de Collecte pendant sept ans dans les années 90.

A l’Appel, nous étions plusieurs dizaines de milliers de donateurs. Le succès des collectes d’urgence que nous faisions dans toute la France pendant les guerres d’Israel, et celles que nous faisions pour aider les Alyah Russes ou Ethiopiennes ainsi que les missions de solidarité en Israel étaient l’occasion de montrer l’amour des Juifs Français pour Israël et leur sentiment de fraternité avec le peuple israélien.

En Israël, notre partenaire, le Keren Hayessod nous faisait visiter les plus belles réalisations, dont certaines financés grâce à nos dons, que ce soit des écoles, des centres pour personnes agées ou handicapés, des Universités, des hopitaux, des usines. Nous étions en admiration devant tout cela et devant les hommes, souvent des francophones, qui les avaient réalisées ou qui les faisaient fonctionner. Souvent, le Rav Léon Ashkenasi (Manitou) nous accompagnait, ce grand savant se mettait à notre niveau dans son enseignement.  Je crois avoir connu ce que peut être le peuple juif quand il est uni entre ses membres, autour d’Israel et de la pensée juive. C’était un rêve.

Depuis notre installation ici, voici 3 ans, nous sommes très heureux d’y vivre  et notre amour et notre admiration pour Israël n’a fait que se renforcer et nous disons tous les  jours merci à ceux qui l’ont bâti.

Mais nous avons été surpris de découvrir une  société extrêmement complexe. Si, au niveau individuel, nous nous émerveillons devant les mille qualités des Israéliens,  toujours prêts à tendre une main secourable, et qu’un mot suffit à en faire des amis, nous restons perplexes en découvrant un pays de contrastes : capitaliste mais resté socialiste, un pays où vivent séparés, laïques et religieux, un monde sépharade, ashkenaze, russe, éthiopien, arabe et de tant d’autres origines et où, en dehors de quelques villes où les Français se regroupent, sans l’hébreu ou l’anglais il est difficile de se faire comprendre car le Français n’est plus parlé:  un pays riche, greffé sur un pays resté pauvre, un pays Juif, mais qui se veut « normal », un pays avec de nombreux partis politiques qui s’affrontent avec violence, pour ensuite former ensemble, un gouvernement, un pays start up qui cotoie une économie du 19°siècle, un pays en guerre mais dont les citoyens vivent en paix et en sécurité .En résumé, nous connaissions un Israël au singulier, et nous trouvons un Israël pluriel.

Le problème pour tout nouvel olé (immigrant) est : comment trouver sa place dans un pays qui est une «  success story » et en  même temps si difficile à connaître  et si différent de l’image qu’il s’en faisait. Le danger devant ces difficultés est que les Français n’aient d’autre choix que de rester entre eux, alors qu’ils ne l’ont pas voulu et qu’ils savent que c’est ce qu’on leur reproche. La solution idéale serait plutôt que les Francophones soient capables de créer sur la base d’idées nouvelles, des entreprises de toute sortes dans un pays qui est ouvert, plus qu’aucun autre, à accuellir toutes les initiatives.

La pensée juive française

Pour moi, je vois Dialogia comme une «  start up » dont le premier objectif  sera de faire mieux connaitre aux nouveaux Olim, et à tous les publics francophones, la réalité d’Israel dans toutes ses dimensions, afin de les aider à mieux y  vivre, à leur éviter des erreurs, et à leur permettre de participer pleinement en tant que citoyens à la vie de la Cité.

Mais ce  travail devra également se faire en direction des Israéliens  comme un point de vue des intellectuels franco-israéliens sur leur société  avec le but d’y apporter des améliorations. Le troisième objectif pourrait être de mieux faire connaître en France et dans le monde francophone la réalité de la société et de l’identité israéliennes qui souvent disparaissent derrière l’écho du conflit du Moyen Orient.

Voici maintenant ma seconde expérience. J’ai eu la chance de rencontrer et de suivre à Paris l’enseignement des intellectuels juifs, souvent rescapés de la Shoah ou de la Résistance,  qui ont su, après la guerre, dans une langue contemporaine accessible à tous les Juifs, religieux ou non, réhabiliter notre identité humaine, française et surtout juive qui avait été fracassée par la guerre. Ils ont su redonner aux juifs de France l’amour de la pensée juive et de sa sagesse, donnant ainsi un sens, un contenu au mot Juif. Il faut se rappeler qu’à la même époque le plus grand philosophe Français vivant, Jean- Paul Sartre écrivait qu’il n’y a des juifs que parce qu’il y a des antisémites, enlevant tout contenu positif au mot juif et que, du fait du caractère laïc de la République Française, ces intellectuels n’avaient le droit de s’exprimer que dans un cadre juif religieux, si bien que les Juifs qui ne fréquentaient pas les synagogues ou les lieux communautaires n’ont pas eu accès à cet enseignement  qui leur aurait évité de graves dérives.

La Floraison de ces penseurs a été et est encore extraordinaire. Je voudrais citer ceux  que j’ai connu personnellement : Le Rav Léon Ashkénasi-Manitou, Emmanuel Levinas, André Néher ou Henri Atlan,Emeric Deutsch, le Grand-Rabin René Samuel Sirat,le Grand rabbin Gilles Bernheim, Marc-Alain Ouaknin et Daniel Sibony mais mais aussi Benjamin Duvshani avec qui j’ai participé,voici 25 ans, avec Jean-Claude Picard, à la création de l’Association Torah et Monde Moderne ATEM, (émission « Judaisme au Présent »sur RCJ), sans oublier Shmuel Trigano. Une mention spéciale pour  André Amar, brillant penseur et banquier, qui fut mon professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris en 1952/54.

Cet enseignement nous a fait comprendre le sens de notre identité juive, et a été déterminant dans mon engagement dans le monde associatif juif. C’est pourquoi, je souhaite que cette pensée, comme «  intelligence contemporaine du judaisme » et sa façon de l’enseigner, ait toute sa place en Israël où je suis persuadé que cela répond à un besoin profond même et surtout, peut-être, chez beaucoup de non religieux, en donnant plus de sens à leur identité juive, pour les mener, ensuite, comme ce fut mon cas, à prendre mieux en charge le niveau collectif. Dans le cas d’Israël, cela pourrait constituer peut-être un ciment, pour réduire les divisions dans la société et renforcer sa cohésion.

Pour ma Troisième expérience, il s’agit de  ma très longue histoire avec l’Alliance Israélite Universelle, qui représente pour moi un monument historique ( en 1870,  les dirigeants de l’Alliance libèrent les juifs Algériens du joug des Arabes par le Décret Crémieux, et créent en Palestine la première Ecole d’Agriculture à Mikve Israel : deux actions prophétiques de Libération et de Retour. L’Alliance est encore aujourd’hui  très active en France et en Israel.

C’est au Comité Central de l’Alliance  où je suis entré en 1980 , que j’ai connu  Shmuel Trigano, quand il a crée le Collège d’Etudes Juives à l’initiative du Pr. Ady Steg qui l’appréciait beaucoup , il lui faisait toute confiance.   J’ai suivi sa réussite au Collège d’Etudes Juives où il  a montré sa capacité à mobiliser autour de lui aussi bien les intellectuels que le public. J’ai ensuite accompagné Shmuel dans 2 projets qu’il a entrepris personnellement et menés à bien : l’Observatoire du Monde Juif puis la Revue Controverses. Ces deux réalisations, ainsi que sa Revue Pardès, ont traité des sujets essentiels, à cette époque, concernant les problèmes des Juifs de France mais aussi certains sujets concernant Israël, bien avant que les autres en prennent conscience. Elles ont été très utiles en leur temps et restent encore aujourd’hui des références.

Son récent retour en Israel  a permis la création de Dialogia qui sans lui n’existerait pas. Je crois que Shmuel Trigano avec sa personnalité forte, son aura,  le travail qu’il a déjà accompli, et surtout cette lucidité qui est pour moi son atout principal, saura mettre en oeuvre ce travail et saura s’entourer des meilleurs. Je sais qu’il le fera,comme toujours, avec passion et parce que c’est l’aboutissement de 50 années de travail et de plus de 20  livres publiés.

Ce que deviendra Dialogia dépend entièrement des hommes et des femmes, philosophes,historiens, penseurs,éducateurs, scientifiques ou rabbins, hébréophones et francophones, qui partageront cette passion avec lui.

Tout en préservant la diversité qui est une richesse, parviendront-ils à greffer ici cette pensée et  cet enseignement, compréhensible par tous  et qui est une base commune de notre identité juive et israélienne? Manitou a dit des Juifs : « Tous sont Justes de leur midah (mesure), tous sont Tsadikim de leur valeur morale, mais il n’y a pas d’unité. Il est paradoxal et étrange que ce soit le peuple le plus divisé en lui-même qui soit le porte-parole de l’idéal d’Unité ». Et « c’est l’idéal d’Unité qui définit Israel. »

 

Président de l'association Dialogia, administrateur de sociétés, ancien président de la campagne de l’Appel Unifié Juif de France, chevalier de la légion d’honneur, prix Yakir du Keren Hayesod.