Conservatisme, judaïsme, sionisme

La notion de « conservatisme politique  » est difficile à comprendre pour un esprit qui s’est formé dans la culture politique française. La pensée conservatrice est née, peut-on dire, dans la controverse critique avec la Révolution française. La figure de l’Anglais Burke auteur des Réflexions sur la révolution  en France est centrale de ce point de vue-là, mais il ne faut pas négliger qu’en France même il y eut Tocqueville, Joseph de Maistre, Louis de Bonald, et quelques autres penseurs moins connus. Le conservatisme s’inscrit donc dans la rupture révolutionnaire (1789) et les pays qui ne l’ont pas connue ont du mal, culturellement parlant, à en comprendre la portée.

Aujourd’hui, l’idée d’un conservatisme israélien est nouvelle. Il est manifestement, thématiquement comme humainement, proche du débat politique américain, et très loin de l’évolution des idées en Europe où la droite ne s’en recommande pas, tandis que l’extrême droite possède d’autres points de repères et objets de controverses. Cet état de faits cependant ne doit pas négliger l’émergence de nouvelles mouvances, notamment celles qui s’opposent au post-modernisme ou au « décolonialisme », un carrefour idéologique effervescent d’où sortiront peut-être de nouvelles catégories politiques.

Pour ce qui est d’Israël, il faut constater que si son inscription dans la réalité – institutions et fondations –  avec le soutien de milieux juifs américains est robuste, ce « conservatisme » n’irrigue pas pour l’instant les partis de droite, en tout cas formellement.  Est-ce parce que le processus est en cours ou parce que cet apparentement reste artificiel ?

Il faut dire que la droite israélienne -mais la gauche aussi- présente un sérieux déficit de pensée et de projet sur le plan idéologique. Droite comme gauche relèvent de profils généraux, campés par des attitudes-types face aux problèmes politiques. La question qui se pose est de savoir si l’effort de réflexion fait par les institutions et les cercles conservateurs trouvera son chemin et sa place dans les partis de droite actuels. La chose n’est pas encore acquise.

La concurrence est grande avec la pensée religieuse, référence traditionnelle des milieux religieux politiques, parmi lesquels s’implante le conservatisme. Ils ont moins d’accointances avec la tradition anglo-saxonne protestante bien que celle-ci soit très proche de « l’Ancien Testament » et que depuis le XVII° siècle elle se soit  particulièrement intéressée à « L’Etat de Moïse ». L’Institut Shalem à l’époque de Yoram Hazony avait même créé une revue Hebraic Political Studies pour développer cet aspect.

Est-ce que par ce biais le conservatisme anglo-saxon pourrait donner une excroissance israélienne? C’est encore un enjeu. Sur le plan intellectuel, pour l’instant, le pari est mis sur la formation d’une jeune génération et donc sur l’avenir. C’est la concurrence des instituts qui se joue face à la gauche avec les Instituts de la démocratie, Hartman, Van Leer, etc.

Le terme de « gauche » demanderait à être précisé. En fait, le vis à vis du conservatisme est aujourd’hui le postmodernisme qui se nommait hier progressisme. C’est cette évolution qui peut-être fait que le conservatisme comme le postmodernisme qui sort des instituts de gauche ne trouvent pas d’impact dans les partis actuels, héritiers d’un univers idéologique où libéralisme s’opposait à socialisme. Ce qui change par rapport à hier, c’est qu’aujourd’hui il y a davantage de think tanks à « droite ».

On peut se demander aussi quel est le lien entre conservatisme et judaïsme mais aussi sionisme. Il est clair que le révisionnisme de Jabotinsky en est éloigné. Il reste peut être trop « révolutionnaire » et activiste. Quant au judaïsme, il ne saurait, à mon sens, se réduire à une idéologie, quelle qu’elle soit. Ce qu’a d’intéressant le conservatisme, c’est qu’il ne rejette pas le judaïsme ni ne le moralise à outrance au point de le vider de sa substance. Par ailleurs, le judaïsme, en tout cas celui qui retouche terre avec le sionisme, porte une promesse toute axée sur le futur, tout en prenant son élan novateur et créatif sur l’acquis du passé. Tout n’a pas été dit de l’esprit hébraïque. Il est encore gros d’invention, d’une nouvelle donne dont sa résurgence sur la Terre d’Israël porte la promesse. C’est la raison pour laquelle je ne vois pas ce judaïsme comme « conservateur » mais comme une puissante source d’inspiration vers l’avenir. C’est de lui que se recommande la critique que l’on peut faire du postmodernisme, non en vertu du passé mais de la validité toujours révolutionnaire de ses fondements.

Pour employer une image: le messie n’est pas encore arrivé! L’affirmer,  c’est aussi poser  une question au secteur sioniste-religieux qui, lui, a tendance à le croire arrivé, et à s’installer dans un certain embourgeoisement qui a, certes, son importance pour

contrer la déconstruction radicale que promeut le postmodernisme dans le domaine des mœurs et de la politique, mais qui n’est pas à la hauteur de la résurrection d’Israël.

Professeur émérite des universités, directeur de Dialogia, fondateur de l'Université populaire du judaïsme et de la revue d'études juives Pardès. Derniers livres parus Le nouvel État juif, Berg international, 2015, L'Odyssée de l'Etre, Hermann Philosophie, 2020; en hébreu HaMedina Hayehudit, Editions Carmel 2020, Haideologia Hashaletet Hahadasha, Hapostmodernizm, Editions Carmel, 2020.