La remarquable pérennité du modèle génocidaire islamique

Le génocide, le crime des crimes, a pour objectif la destruction d’un groupe humain identifié. Mais, tout en demeurant une constante dans l’histoire de l’Homo Sapiens, il présente des modalités variables. En l’an 627, à Médine, le massacre de la tribu juive des Banû Quraydha orchestré par le Prophète est exécuté selon des modalités originales. Elles serviront de référence à la pratique du génocide en Islam tout au long de son l’Histoire, jusqu’à l’époque contemporaine, celle de État islamique d’Al Bagdadi du 21ème siècle.

Le scénario génocidaire islamique, pérenne depuis 15 siècles, a des fondements intégralement religieux. Il est bien différent de ceux de Gengis Khan ou de son petit fils Houlagou intégralement motivés par la prédation et la conquête.  » Je ne laisserai personne vivant dans votre royaume. » prévenait ce dernier. Il ne repose pas non plus sur le racisme, moteur de l’extermination « industrielle » des Juifs européens sous le nazisme, ni sur la soif d’hégémonie ethnique qui a présidé à la tentative d’élimination sanglante des Tutsis au Rwanda. Il n’en parvient pas moins à réaliser la dislocation intégrale du groupe humain ciblé

Le processus génocidaire commence par une offre aux victimes de rejoindre l’islam. En cas de refus, les hommes sont séparés des femmes puis exécutés. Les femmes, les enfants et les biens appartenant au groupe cible constituent le « butin. » Ils sont répartis collectivement entre musulmans selon des règles assez précises. Les femmes et les jeunes filles sont abusées, vendues ou retenues comme esclaves dans des harems. Les enfants sont convertis ou répartis dans des familles musulmanes comme esclaves. La Sirâ donne une description assez détaillée de ce processus pour le cas des Banû Quraydha.

1 –l’offre de conversion à l’islam: un proche de Mahomet, Ka’b b. ‘Asad, fait des propositions à la tribu. « La première [solution]serait de suivre cet homme [le Prophète] et de croire en sa mission. Il est clair maintenant pour vous qu’il est un prophète envoyé, c’est celui que vous trouvez dans votre Livre. Vous pourrez ainsi sauver votre vie, celle de vos femmes et de vos enfants et, en plus, vous garderez vos biens. » [1],

2 -l’exécution des hommes jusqu’aux jeunes pubères: « Et le Prophète ordonna de tuer tous les hommes des Banû Quraydha, et même les jeunes, à partir de l’âge où ils avaient les poils de la puberté….. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine, la même que celle d’aujourd’hui (du temps d’Ibn Hichâm), et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Quraydha par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. » [2],

3- la mise en esclavage, la vente des femmes et des enfants, la saisie et la répartition du butin : « Le Prophète fit ensuite le partage des femmes, des enfants et des biens des Banû Quraydha entre les musulmans. Avant tout partage, il prit pour lui le cinquième du butin, puis il établit les règles de la répartition : deux actions pour un cheval ; une action pour son cavalier ; une action pour le fantassin …. Le Prophète envoya dans la région de Najd une partie des captives juives des Quraydha, contre lesquelles il acheta des chevaux et des armes. » [3]

Pour les nazis et les génocidaires hutus, la race ou l’ethnie à détruire sont ciblées dans leur totalité. Tout le monde doit mourir dans les massacres. Par contre, l’islam ne donne d’importance qu’à l’appartenance religieuse. Il ne connait que l’Infidèle du Livre ou le polythéiste, il est en tant que religion « la frontière de l’altérité » et il n’y en a pas d’autres. Aussi, les femmes sont-elles épargnées. Elle ne représentent aucun danger, mais elles sont éventuellement utiles en tant que « fabriques de musulmans, » esclaves, et sources d’argent en cas de vente.[4] La filiation étant patrilinéaire, les enfants d’une captive Infidèle seront des musulmans, partie intégrante et précieuse de la Oumma.

On retrouver cet agencement dans les différentes phases du génocide islamique des chrétiens arméniens, syriaques et assyro-chaldéens entre les années 1890 et 1920.

Au plus fort des déportations vers les confins désertiques du sud de l’empire ottoman, entre 1915 et 1918, l’offre de conversion était suspendue car elle aurait pu entraver le déroulement de la phase « massive » du génocide, le moment de mise à mort de « haute activité ». Du fait des circonstances et du nombre de candidats, les conversions furent même déclarées invalides pour ne pas avoir à procéder à des enquêtes et vérifications. Mais initialement, au cours de la grande répétition des années 1894-96, « la conversion à l’islam, en d’autres termes l’apostasie, fut offerte localement à des dizaines de milliers de personnes à seule fin d’échapper aux massacres entre 1894 et 1896. » [5] Bizarrement, lors des massacres de 1895 les séquences exécutions/conversions sont parfois inversées, « les hommes sont les premiers visés et assassinés….les viols des jeunes filles se multiplient. Après quoi les survivants sont invités à se convertir à l’islam. »[6]

Pour le reste, les récits reproduisent comme des litanies les exécutions des hommes, la saisie et la vente des femmes, le vol des biens. Par exemple, dans la ville de Bitlis en juin 1915, « après avoir massacré presque tous les hommes, ils [la colonne turque] ramassèrent les femmes et les jeunes filles dans une vaste place ou des Turcs et des Kurdes avertis par un crieur public, vinrent choisir autant de femmes qu’ils voudraient, puis après y avoir satisfait leurs plaisirs, ils se les donnaient en cadeau les uns aux autres, ou les vendaient comme des esclaves. »[7] Ou encore : «  les autorités rassemblent tous les Assyro-Chaldéens. Elles prennent les hommes depuis l’âge de 13 ans jusqu’à 55 ou 60 ans, les envoient dans l’intérieur… et l’on n’en entend plus parler. De ceux qui restent, on fait encore deux parts. Jeunes filles et jeunes femmes sont vendues sur le marché ou enfermées dans les harems. Il ne reste plus que les petits-enfants, les femmes d’un certain âge et les vieillards… Ici intervient la police turque ; elle enlève or, argent, bijoux, tapis, objets précieux de toutes sortes… « [8]

Au même moment, dans les convois de déportation des Arméniens, le même scénario est respecté: « les derniers hommes présents,… sont égorgés et jetés dans les fleuves. On procède également à une fouille méticuleuse des déportés restants pour récupérer notamment les objets précieux et l’argent qu’ils détiennent encore… Un autre élément a contribué à décimer les convois : l’enlèvement de jeunes filles ou de jeunes femmes enfermées dans des harems, vendues sur le marché aux esclaves, ainsi que d’enfants transformés en bergers. »[9]

Mais la dépossession des victimes s’est considérablement professionnalisée depuis le temps de Médine. On n’arrête pas le progrès. Des directives de l’un des principaux leaders Jeunes Turcs, Talaât, organiseront un système d’enchères publiques des biens chrétiens « abandonnés« , c’est-à-dire extorqués, « pour familiariser les musulmans avec la vie du commerce… »[10] Mieux, l’ambassadeur américain Morgenthau, rapportait que Talaât voulait mettre la main sur les assurances-vie que des Arméniens aisés avaient contractées aux États-Unis. »Je souhaiterais que vous ameniez les compagnies d’assurance-vie américaines à nous transmettre la liste complète de leurs sociétaires arméniens. Ils sont quasiment tous morts aujourd’hui et n’ont aucun héritier pour encaisser l’argent. La totalité échoit bien entendu à l’État. Le gouvernement en est désormais le bénéficiaire. »[11]

Un siècle plus tard, en février 2015, l’état islamique rassemblait des Coptes vêtus de blouses oranges sur une plage de Libye. Dans la vidéo qui suivit, un passage montrait « le moment où les victimes refusent d’embrasser l’islam par la force… Sur le point d’être décapités, tous ont crié en chœur « Ya Rabbi Yassu » une invocation commune aux chrétiens coptes égyptiens qui signifie « Oh mon seigneur Jésus« [12] Daech obéissait à la prescription coranique du choix entre la conversion et la vie.

Un siècle plus tard encore, le père Patrick Desbois et Nastasie Costel sont confrontés à des témoignages identiques de victimes yésidies des djihadistes de l’État islamique. Le cycle pluri centenaire est toujours respecté : tentative de conversion, séparation hommes/femmes, exécutions, viols et vente des femmes, appropriation des biens des victimes. « Après un ultime refus de se convertir à l’Islam, les hommes de Kojo furent conduits par petits groupes, jusqu’aux voitures qui les attendaient…. Il fallait avoir prévu, avant le meurtre, la taille de la fosse en « cubant » le volume des corps… L’un des meurtriers a pris son téléphone portable pour immortaliser la scène. Il a filmé les Yasidis debout… puis leurs corps criblé de balles… À l’arrivée de Daech, Avine et les autres jeunes femmes du village furent violemment séparées de leurs familles, puis déplacées, enfermées, vendues, revendues et violentées.…’Les Daech nous ont forcés à donner l’argent, l’or, les téléphones’… »[13]

La continuité de Médine (7ème siècle) à Mossoul (21ème siècle) est saisissante: le fossé creusé à l’avance pour contenir les corps, les destins séparés des hommes et des femmes, la réduction en esclavage, la dépossession intégrale…

 

[1] Ibn Hichâm La biographie du prophète Mahomet Traduit et annoté par Wahib Atallah, Kindle 4603-4606 Fayard.

[2] op. cit. Kindle 4668-4669.

[3] op. cit. Kindle 4731-4739.

[4] Formule inscrite dans la charte du Hamas palestinien.

[5] Comprendre le génocide des Arméniens de 1915 à nos jours, Hamit Bozarslan rt alii, Tallandier, Texto 2016b p. 169

[6] op. cit. p. 58

[7] Qui s’en souviendra? 1915 : le génocide assyro-chaldéo-syriaque Joseph Yacoub, Les éditions du Cerf, 2014, p. 158

[8] op. cit. p. 26

[9] Comprendre le génocide des Arméniens de 1915 à nos jours, op. cit. p. 124-125

[10] op. cit. p.205

[11] op. cit. p.206

[12] Ce que les médias n’ont pas montré sur l’exécution des 21 chrétiens égyptiens, Aleteia, 6 oct 2016 http://fr.aleteia.org/2016/10/06/ce-que-les-medias-nont-pas-montre-sur-lexecution-des-21-chretiens-egyptiens/

[13] La fabrique des terroristes Patrick Desbois et Nastasie Costel, Fayard 2016. p. 93-96-114

Ancien professeur de sciences sociales et consultant en stratégie d'organisation, rédacteur en chef de la revue Controverses.