« Sept décennies et quelques millénaires »

Spécial Continuum 14

 

 

En 2008, le numéro 5 de Continuum s’était joint à la fête des soixante ans d’Israël en y consacrant un riche dossier sous le titre: « Israël: mémoire et avenir – littérature et témoignages ».  Des écrivains israéliens de langue française et hébraïque y ont participé, ainsi que des écrivains français.

Au bout d’une décennie, Continuum 14 se propose de scruter la micro-histoire poétique et macro-histoire de l’état d’Israël. Et, comme l’Association fête dix-sept ans d’activité, un regard nouveau et plus distancé – rétrospectif et introspectif – ira au-delà de ce laps de temps. Une interrogation s’impose: comment notre parcours personnel – créatif, littéraire, poétique –  a-t-il été marqué par ces dix-sept ans ?

Le pays n’est pas le même, nous et notre écriture non plus: que découvrirons-nous en nous arrêtant un instant pour regarder en arrière et en prenant nos distances? Notre micro-histoire littéraire, nos œuvres, sont-elles au diapason de la macro-histoire sur la toile de fond de l’Histoire du pays ou mondialisée? Notre écriture est insérée dans le présent, tout en le dépassant: elle forme un continuum avec ici-maintenant, en disant beaucoup plus que le simple événement.             Plusieurs types d’éclairage accompagnent notre parcours dans le temps: une mise en regard historique ouvre la partie consacrée à Israël –  d’abord un survol des sept décennies de littérature hébraïque proposé par Yaïr Biran sert de toile de fond;  s’y ajoute une réflexion sur la symbolique du chiffre 70 analysée à partir de la Bible et des diverses interprétations bibliques par Francine Kaufmann. Deux points de vue plus personnels suivent: un regard sur les métamorphoses de ce type de communauté singulière en Israël qui s’appelle kibboutz – à travers l’histoire personnelle de la famille de Camille-Danielle Wortman – un regard qui passe de l’enthousiasme initial jusqu’à l’incertitude et la déception du présent, devant « un autre mythe de l’histoire moderne du peuple juif ». A travers un point de vue encore plus personnel, l' »écriture immédiate » du blog telle que  Rachel Samoul la décrit, descend au niveau de l’intime du quotidien israélien dans une perspective vivante, sensible  qui « apprivoise l’instantané » ; cette présence médiatique singulière fête elle aussi cette année une décennie.

La diversité de tonalités caractérise le sous-chapitre intitulé Un certain regard: entre journalistique, anecdotique et souvenirs, Marcel Cohen  et Gérard Benhamou fixent par leur écriture des moments-clés de l’histoire de l’état. Roger-Pol Droit situe Israël dans une permanente antériorité historique, doublée d’une sorte de futur toujours antérieur: « sept décennies, et quelques millénaires » et prononce certaines vérités pas toujours perçues comme telles. Pour Martine Gozlan, c’est le perpétuel retour qui est important, qu’elle attend toujours sur la ligne du vol tendu entre Paris et Tel Aviv sur un « horizon qui est ouvert ». On trouve le même désir de dépasser le sentiment d’appartenir à une minorité chez Gilberte Finkel, la parisienne dont l’idéal – réalisé – était de venir participer à la construction du pays; un  lien fort se tisse entre sa vie et le pays – une identité retrouvée et définie. Ayant passé, dans les pays où il a vécu, d’un décalage identitaire à un autre, Guylain-David Sitbon, arrivé lui aussi à Tel Aviv, exprime le bonheur d’appartenir à la même « aventure collective » du peuple juif.  Shmuel T. Meyer est présent dans la revue avec des croquis de quelques moments intimes entre kibboutz et Tel Aviv– en vers ou pas – autant d’arrêts sur l’image où l’on reconnaît son ironie corrosive contrastée avec des accents lyriques. Agnès Bensimon concentre dans un court texte le tableau émouvant du réel douloureux vécu à Jérusalem par la vieille femme qui avait déjà vécu les abîmes de la douleur: la douleur continue vécue comme un passé-présent continu. Toujours à Jérusalem, surgit l’image de Shlomo Elbaz, grâce à la plume d’Ami Bouganim qui nous offre dans sa Chronique de Jérusalem le souvenir d’un ami cher.

 

Une partie de ce numéro est consacrée à l’oeuvre de Marlena Braester. Comme elle vient de publier un treizième livre de poésie, Continuum a décidé de lui consacrer un dossier particulier –  comme nous le faisons dans chaque numéro de la revue pour l’un des auteurs de notre Association.  Des écrivains et des poètes bien connus signent les textes: Jeanine Baude, Sylvestre Clancier, Daniel Leuwers, Serge Martin-Ritman, Rose-Marie François, Nimrod, Yves Broussard. Le chapitre Le divan des poètes présente la poète de langue hébraïque Rivka Miriam, l’une des présences les plus importantes dans la littérature israélienne contemporaine. Et pour le chapitre En chantier, Betty Rojtman a accepté de nous offrir en avant-première un extrait d’un livre qu’elle est en train d’écrire.

 

 

Esther Orner.

 

Esther Orner est écrivaine israélienne de langue française et traductrice de poésie hébraïque en français. Elle a publié sept livres aux éditions Métropolis,dont un triptyque de la mémoire : Autobiographie de personne / Fin et suite / Petite biographie pour un rêve. Tous les trois ont été traduits en Hébreu . Elle a publié aux éditions Actes Sud-Marseille : Petite pièce en prose très prosaïque. (traduit en hébreu) De si petites fêlures est son dernier livre publié aux Editions Caractères (2016). Elle a publié une anthologie de poésie hébraïque Chacune a un nom aux Editions Caractères (2008). Elle fait partie du comité de rédaction de la revue Continuum, Revue des écrivains israéliens de langue française. Elle a été ordonnée Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres (2013).