Un guide pour la société harédite

Pour un non-initié, la communauté ultra-orthodoxe en Israël apparait comme un bloc monolithique et monochrome – noir -, isolé du reste de la société, dont il se protège par des remparts inexpugnables. Ce courant du judaïsme, que l’on désignera par commodité sous le terme « harédi », est au contraire un monde en soi, une « contre-société », riche de courants différents et parfois opposés, qui réagissent diversement à la modernité israélienne qui les entoure et les remet en question. C’est l’ouvrage majeur du Pr. Benjamin Brown, « Guide de la société harédite, croyances et courants », publié en 2017 aux éditions Am Oved (en hébreu), qui sert de fil rouge à cet inventaire.

Le monde harédi en Israël représente aujourd’hui environ un million de personnes, que l’on peut répartir en 40% de hassidim, 30% de lituaniens et encore 30% de harédim séfarades. Ces différents courants ont en commun de s’organiser sur des règles strictes, autour d’une autorité, avec les moyens et structures nécessaires pour assurer la pérennité de leur mode de vie, qu’il s’agisse d’institutions judiciaires propres, d’organismes de contrôle de la pureté alimentaire, du système éducatif ou même des organes de presse. Pourtant, toutes les composantes du monde harédi sont exposées, à des degrés divers, à l’environnement social, économique, culturel et politique qu’est la société israélienne contemporaine, avec des répercussions directes sur leur essence et leur capacité à évoluer ou au contraire à rejeter l’évolution.

Les principaux groupes du courant harédi ashkénaze ont vu le jour en Europe de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe. La période de formation du harédisme séfarade a débuté au début du XXe et s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 50. Le judaïsme orthodoxe est né en réponse et en rejet du mouvement de la Haskala à la fin du XVIIIe siècle sous l’impulsion de Moshe Mendelssohn qui souhaitait non pas réformer la religion mais plutôt ouvrir l’éducation juive aux sciences profanes, mais aussi aux sources hébraïques classiques, telles que la littérature, la poésie et la philosophie. Ce sont les disciples de Mendelssohn qui sont allés plus loin en prônant une réforme de la Halacha, donnant naissance au XIXe siècle au judaïsme réformé.

Face à ce que l’on a appelé le judaïsme des Lumières, s’est donc structurée une sorte de Contre-Réforme destinée à lutter contre la modernité, la laïcisation, puis contre le sionisme. Au cours du XXe siècle, le conservatisme halachique a toutefois évolué, non pas vers un changement de la loi, considérée comme fixée une fois pour toutes par l’interprétation du Hazal – les Sages de la période du Deuxième Temple jusqu’au VIe siècle de l’ère commune – mais l’application d’un droit différent à une réalité différente, sous la seule autorité des « Possquim », les plus grands docteurs de la Halacha.

Le judaïsme ultra-orthodoxe a aussi constamment rejeté la modernisation technologique, comme ce fut le cas avec la télévision et aujourd’hui l’internet. Il se protège de tout ce qui peut entrainer la permissivité morale ou la sécularisation. L’enfermement fait aussi partie intégrante de l’orthodoxie. Il est tout à la fois institutionnel, social et géographique. Le judaïsme harédi s’appuie aussi sur des principes immuables qui composent le monde : juifs et non juifs, hommes et femmes. Il considère également que les générations successives ont régressé depuis l’époque du Hazal, justifiant un strict  respect de la tradition pour limiter une déperdition supplémentaire.

Pourtant, cette conception s’exprime différemment selon les courants, allant parfois jusqu’à adopter des positions opposées.

LES HASSIDIM

Israël compte aujourd’hui trois grands courants hassidiques : Gur, Belz et Vizhnits. Leurs chefs spirituels s’y étaient installés durant la Seconde guerre mondiale ou peu après et y ont reconstruit leur centre d’activité. Le mouvement Habad – Loubavitch – également de type hassidique, a pour sa part développé une identité propre.

Le fonctionnement social des communautés hassidiques s’articule en général sur un système pyramidal au sommet duquel se trouvent l’Admor – le chef spirituel – et les membres de sa famille, puis l’élite des riches, celle des Askanim – les personnes publiques – et celle des Talmidei Hahamim – les érudits.

La hassidout de Gur : originaire de Pologne dans la deuxième moitié du XIXe siècle. La communauté actuelle est estimée à 8000 foyers (évaluation pour 2015 selon le Pr. Benjamin Brown). Les règles de vie du couple, édictées par le Rav Israël, deuxième Admor depuis l’établissement du courant Gur en Israël, constituent un élément important. Mais tout ce qui touche à la sainteté est réservé exclusivement aux hommes. Ils sont les sujets de ces réglementations, tandis que les femmes en sont les objets (Pr. Brown).  La femme n’est définie que par sa filiation ou son époux appartenant au courant hassidique de Gur. Paradoxalement, cette exclusion les a rendues plus indépendantes que celles des autres courants hassidiques, leur permettant notamment de mener des carrières professionnelles. Ce n’est que l’Admor actuel, le rav Yaakov Arieh Alter qui a édicté des règles concernant l’habillement des femmes, mais aussi des règles plus contraignantes pour les jeunes gens, allant jusqu’à interdire toute forme de contact physique entre hommes, y compris les poignées de mains. Une façon de combattre la modernité et en particulier la permissivité des relations. Le rav Yaakov Arieh tient des positions conservatrices en ce qui concerne les études profanes et le service militaire.

Hassidout de Belz : communauté fondée au milieu du XIXe siècle en Galicie. Sa population actuelle est estimée à 6000 foyers en Israël. Après avoir été la plus conservatrice, elle est aujourd’hui la plus ouverte à la modernité des communautés hassidiques, suivant en cela une évolution plus proche de celle des lituaniens ou des séfarades. C’est pourtant l’Admor de Belz, le Rav Issachar Dov Rokah, qui avait été l’un des premiers dans les années 90 à s’élever contre les dangers de l’internet, sans pour autant aller jusqu’à en interdire catégoriquement l’utilisation, mais en proposant un internet « cachère », puis le téléphone cellulaire « cachère ».

Hassidout de Vizhnits : communauté fondée au XVIIe siècle en Bucovine. Sa population actuelle est estimée à 3500 foyers pour sa localisation principale de Bnei Brak. Traversée par d’importantes divisions, elle est aujourd’hui scindée en deux courants conservateurs dirigés par les fils du précédent Admor, Moshe Yehoshua Hager.

Hassidout de Satmar : Fondée en 1905 en Hongrie par le Rav Yoël Teitelbaum. Dès l’origine, fortement opposée au sionisme, mais aussi à d’autres courants hassidiques comme celui de Vizhnits et l’ensemble des orthodoxes modérés. La communauté Satmar est peu importante en Israël – environ 500 foyers pour les deux courants qui la composent -, alors qu’elle compte plusieurs dizaines de milliers de membres en diaspora, principalement aux Etats-Unis.

Hassidout Habad : Née en Russie à la fin du XVIIIe siècle. Dans sa période contemporaine, sous la direction du Rav Menahem Mendel Schneerson, le mouvement Habad – ou Loubavitch – a conservé ses lignes fondamentales, tout en s’ouvrant au monde extérieur. Le Rabbi de Loubavitch a été le premier dirigeant ultra-orthodoxe à briser les remparts pour permettre une circulation à double sens. Le mouvement Habad a donc acquis des signes de modernité. Contrairement aux autres courants hassidiques, ses membres s’habillent de façon moderne, à la manière des lituaniens. Le Habad a envoyé des émissaires vers l’extérieur qui ont été totalement exposés à la culture globale sans être happés par elle. Le courant Habad est largement à l’origine du mouvement de retour à la religion chez le public laïc israélien, qui s’est amorcé après le « miracle » de la Guerre des six jours. Pour de nombreux Israéliens, les représentations Loubavitch à l’étranger font office de point de ralliement, parfois aussi de services consulaires, permettant aux familles d’établir le contact avec les voyageurs en cas de crise. Les membres de la hassidout Habad se distinguent aussi des autres par le rôle des hommes : ils n’étudient pas plus de trois ans après leur mariage, ils effectuent un service militaire abrégé et sont actifs sur le marché du travail. En adoptant une ligne non conflictuelle, le mouvement Habad est parvenu à se faire admettre par la société israélienne.

Hassidout de Braslav : Depuis la mort de son fondateur, le Rav Nachman d’Uman en 1810, la communauté n’a plus de chef. Elle est divisée en plusieurs sous-communautés, dirigées par des rabbins. C’est au cours des années 60 du siècle dernier, que la hassidout de Braslav a connu un renouveau, là encore provoqué par la victoire israélienne de 1967. Elle reste cependant mal perçue par les autres communautés qui lui reprochent d’attirer un public lié à la délinquance, voire au crime organisé. Un de ses courants principaux, dirigé par le Rav Berland a défrayé la chronique judiciaire pour ses rapports avec les milieux du banditisme. Le mouvement se distingue aussi pour ses positions politiques radicales à la fois antisionistes et anti-arabes. Les pèlerinages annuels sur la tombe de Rabbi Nachman en Ukraine attirent également des publics diversifiés, dont les motivations oscillent entre spiritualité et superstition.

LES LITUANIENS

Le courant lituanien est la continuation des Mitnagdim – ceux qui s’opposent au hassidisme. Il a vu le jour en Lituanie entre la fin du XVIIe siècle et le début du XIXe. Le premier dirigeant fut le Gaon de Vilna. Les Mitnagdim accusaient les hassidim de placer l’expérience spirituelle avant l’étude de la Torah et la pratique des mitsvot – les commandements. Ils les accusaient également de placer à leur tête des ignorants et des charlatans. Aujourd’hui, les lituaniens ne s’opposent plus aux hassidim mais à la modernité et la laïcisation, l’ennemi commun. Mais chaque courant a conservé sa spécificité et ses particularismes. Tous se fondent sur l’étude de la Torah, de la Guemara et ses commentaires. Contrairement au hassidisme, il n’y a pas d’influence de la Kabbale. Les dirigeants ne sont pas des Admor mais des Grands de la Torah.

Des yéchivot à la Faction de Jérusalem

Le courant lituanien s’est constitué par les grandes yéchivot. La yéchiva de Volojine « Etz Haïm », fondée en 1802 dispensait une formation non plus locale mais pour l’ensemble de l’Europe de l’est. Elle pratiquait un niveau d’études élevé et une sélection des étudiants. Il s’agissait moins de formation rabbinique de Torah appliquée que de l’étude de la Torah pour elle-même, de la Guemara et de ses commentateurs, en vue de former les nouveaux Grands de la Torah. Elle dut fermer en 1892, car elle refusait d’introduire l’enseignement de matières profanes. La yéchiva de Mir a été créée en 1815  sur le même modèle.

Le mouvement du Moussar (morale) a également joué un rôle fondamental dans la doctrine lituanienne. C’est aussi ce mouvement qui a fait entrer les yéchivot lituaniennes en Eretz Israël. La première fut établie à Hébron en 1924. Après le massacre de 59 de ses étudiants lors des émeutes de 1929, elle fut transférée à Jérusalem.

Avec la naissance de l’Etat d’Israël, les Grands de la Torah, leaders spirituels des lituaniens, se sont trouvés engagés dans le débat public national pour y défendre les intérêts de leur communauté. Le premier d’entre eux fut le Rav Avraham Yeshayahou Karelitz, le « Hazon Ish » (1878-1953). En 1948, il redoutait que le nouvel Etat laïc ne mette en péril le mode de vie de la communauté harédite. Le Rav Itzhak Zeev Soloveitchik alla de son côté jusqu’à agir politiquement contre la proclamation de l’indépendance. Il fut aussi à l’origine de la rupture avec les religieux sionistes.

La figure centrale du courant lituanien fut durant des décennies le rav Elazar Menahem Man Shach (1898-2001). Doyen de la yéchiva de Ponevezh à Bnei Brak, il  a été le leader le plus actif et le plus influent du courant harédi en Israël. En 1977, c’est sur son initiative qu’Agoudat Israël est entré dans la coalition Likoud. C’est depuis que les partis ultra-orthodoxes sont devenus l’élément déterminant dans la formation des coalitions gouvernementales en Israël. Le rav Shach a successivement soutenu le parti Shas aux législatives de 1988, avant de créer le parti Deguel HaTorah. Son action a d’ailleurs engendré des divisions au sein du mouvement harédi, qu’il prétendait unifier sous son autorité. Il a même été accusé de réveiller l’ancienne lutte entre hassidim et Mitnagdim.

Dans les années 90, c’est le Rav Yosef Shalom Eliashiv (1910-2012) qui lui succède. Posseq reconnu – docteur rabbinique décidant de la Halakha – ses jugements font autorité. Le Rav Eliashiv s’est opposé à tous les aspects de modernisation qui touchaient le monde harédi, de l’entrée sur le marché du travail à la conscription, en passant par l’essor de l’internet. Mais il ne les a pas activement combattus.

Se succèdent ensuite deux figures influentes mais opposées du courant harédi. Le Rav Aaron Leib Steinman (1914-2017), plus modéré,  puis le Rav Shmuel Auerbach (1931-2018) plus conservateur et extrémiste soutenu par les partisans de Shach et Eliashiv. On assiste depuis à un durcissement global des positions des deux camps. La faction de Jérusalem, à la suite du Rav Auerbach, radicalise son discours antisioniste et anti laïc. Elle se rapproche des hassidim de Satmar et des Neturei Karta, mais reste minoritaire.

Les modernes

Un nouveau courant, encore limité mais en développement constant est celui des « Modernes », appelés aussi les « nouveaux harédim ».  Jeunes pour la plupart,  intéressés à s’intégrer dans la société israélienne, ils ne sont pas seulement lituaniens, mais aussi hassidim et séfarades. On distingue dans ce courant deux types de motivation : ceux qui vont vers la modernité pour des raisons économiques  et forment la nouvelle « classe moyenne » au sein du monde harédi, et les intellectuels qui veulent élargir le champ de la réflexion en s’ouvrant à la science et à la recherche  et ne réservent pas le lieu de l’étude juive aux seules yéchivot. Mais ils ne se séparent en aucun cas du monde harédi, pas plus qu’ils ne le rejettent.

Ces « modernes » n’ont pas encore de représentants propres, même s’ils ont effectué plusieurs tentatives d’entrée en politique, notamment au niveau local. Leur prudence semble confirmer qu’ils ne cherchent pas à se démarquer, mais au contraire à rester au cœur de la société harédite.

LES HAREDIM SEFARADES

Contrairement aux autres courants harédim qui ont vu le jour en Europe, le courant harédi séfarade a vu le jour en Israël, dans les années qui ont précédé son indépendance, même si de premières approches avaient déjà eu lieu dans leurs pays de résidence. Il s’agit de Juifs de pays d’islam qui ont adopté un mode de vie spécifiquement ashkénaze, qui ne correspondait pas à leur tradition. Aujourd’hui ce courant s’identifie principalement avec le mouvement Shas, bien qu’il n’en soit pas la seule expression.

Influencé par ses origines, le courant harédi séfarade est plus tolérant et modéré que son modèle ashkénaze. Il est aussi plus engagé dans l’action pour le retour à la religion des Juifs séculiers. Dans les pays d’islam, le harédisme a trouvé un terreau favorable chez ceux qui s’opposaient aux tentatives de modernisation des puissances coloniales française et britannique et à l’action éducatrice de l’Alliance Israélite Universelle.

En Eretz Israël, à partir du Mandat britannique, les communautés ashkénaze et séfarade se sont trouvées confrontées aux mêmes facteurs d’influence extérieure : la domination d’une puissance européenne et l’émergence d’une idéologie laïque – le sionisme. Les deux communautés ont été traversées par des divisions similaires sur la réponse à donner. En ont découlé trois courants successifs : le courant harédi séfarade de Jérusalem, le courant harédi séfarade lituanien et le courant harédi séfarade du Shas.

C’est avec le début de l’immigration des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans les années 50, que le harédisme séfarade a amorcé son développement le plus significatif en Israël. Les jeunes nouveaux immigrants intégrés dans les yéchivot lituaniennes ont adopté les règles du courant ashkénaze, mais aussi son mode de vie. Le phénomène avait d’ailleurs commencé plus tôt au Maroc, avec l’implantation de yéchivot lituaniennes. Il s’est intensifié quand des élus religieux se sont inquiétés du processus de laïcisation que l’on faisait subir aux jeunes immigrants à leur arrivée en Israël. Ce qui ne les a pas empêchés d’être l’objet de discrimination de la part de leurs condisciples ashkénazes dans les yéchivot, puis au sein des instances politiques harédites.

Shas a débuté comme mouvement de contestation à l’intérieur du courant harédi. En 1972, l’arrivée du Rav Ovadia Yosef, qui venait d’achever son mandat de Primat de Sion, a permis au parti de prendre son essor. Le parti s’est doté d’institutions similaires à celles des formations ashkénazes, mais en laissant aussi une place aux politiciens professionnels. C’est ce qui a permis au Shas d’élargir sa base électorale et de sortir du strict milieu harédi pour toucher le public séfarade israélien. Il a fait son entrée à la Knesset en 1984 avec quatre mandats. Son niveau de représentation a culminé en 1999 avec 17 mandats, faisant de lui le parti harédi le plus puissant. Aux dernières législatives de 2019, le Shas a obtenu 8 sièges.

La dégradation constante des relations entre le courant harédi lituanien et le Shas a finalement conduit à la rupture totale dans les années 90, faisant du parti séfarade un courant à part entière et élargissant toujours plus son public. Son positionnement politique n’est pas antisioniste.

On recense encore d’autres sous-groupes au sein du judaïsme harédi séfarade. Le plus important est celui des Yéménites, même si le nombre de ses membres et son influence restent limités.

Le courant harédi séfarade compte également quelques mouvements extrémistes marginaux. Parmi eux, celui du Rav Amnon Itzhak, qui recrute ses partisans parmi les séfarades laïcs qui reviennent à la religion. Le plus spectaculaire reste le mouvement « Lev Taor » de Shlomo Hellbrans, qui a fondé autour de lui une véritable secte, où les femmes sont entièrement couvertes de la tête aux pieds d’un vêtement noir, à la manière des femmes islamistes et que les Israéliens ont surnommées les « femmes talibans ». Hellbrans, qui avait dû fuir à l’étranger, poursuivi pour actes de violence et enlèvement, a été arrêté en 2016 au Guatemala.

Si le judaïsme harédi séfarade diffère de son référent ashkénaze dans son sa construction hiérarchique autour des « Grands de la Torah », il marque un respect équivalent aux grands kabbalistes et aux « Babas », qui gagnent en influence depuis les années 80.

LES EXTREMISTES

La Communauté harédite

Le courant harédi de Jérusalem issu de l’ancien « Yichouv » ashkénaze est un monde à part dans la constellation harédite. Il est également différent de la « Faction de Jérusalem » du mouvement lituanien. Les harédim de Jérusalem sont très attachés à leur tradition historique et à une forme de fondamentalisme religieux, issu du XIXe siècle et qui s’est poursuivi au début du XXe dans leur querelle avec le Rav Kook, premier Grand Rabbin de Jérusalem en 1919. Ils se sont aussi catégoriquement opposés à la création du Grand Rabbinat d’Eretz Israël, puis aux tentatives des sionistes et des Britanniques d’unifier le Yichouv à l’intérieur d’une seule organisation « Knesset Israël ». En réaction, les courants harédim extrémistes de Jérusalem ont créé leur propre organisation autonome : la « Communauté harédite »  (Haeda Haharedit).

Avec la création de l’Etat d’Israël, les membres de la Communauté harédite se sont encore plus isolés des nouvelles institutions, refusant de les reconnaitre, de s’y soumettre et d’y participer. Aujourd’hui, leur opposition politique reste aussi virulente, mais ils ont fini par accepter de bénéficier des allocations versées par l’Assurance Nationale.

La Communauté harédite de Jérusalem a également en son sein des franges hassidiques, telles que les Toldot Aaron, les Toldot Avraham-Itzhak et les Satmar, mais aussi une partie des courants de Vizhnits et de Braslav.

Les Neturei Karta, encore plus radicaux, ne font pas partie pour la plupart d’entre eux, de la Communauté harédite.

Presque toutes ses institutions fondées depuis les années 20 ont disparu, à l’exception du Badats, le Beit Din compétent pour tous ses membres, dans la continuité des tribunaux rabbiniques de la période ottomane. Il rend ses décisions en vertu de la Halacha et non des lois de l’Etat d’Israël. Ses juges sont nommés à vie.

Les hassidim de Jérusalem : Toldot Aaron et Toldot Avraham-Itzhak

Ces deux mouvements hassidiques originaires de Hongrie se sont développés à partir des années 20. Ils obéissent à des règles liturgiques spécifiques ainsi qu’à des codes vestimentaires rigoureux. Ils sont également antisionistes.

Neturei Karta

Mouvement harédi considéré comme le plus extrémiste dans ses positions antisionistes, il est aussi le plus médiatisé. Les visites de certains de ses membres à Téhéran ou dans d’autres pays pour participer à des manifestations contre Israël ou de négation de la Shoah les ont rendus célèbres, même si d’autres groupes peuvent leur disputer le titre. Composé de plusieurs sous-groupes, il est d’abord un mouvement idéologique politique.

CEUX QUI SORTENT

Le courant harédi n’a jamais été totalement étanche. Depuis ses origines, il a vu certains de ses membres s’en détourner, parfois de façon extrême en abandonnant tout à fait la pratique religieuse. Face à ceux qui reviennent à la religion, les « Hozrim Betechouva », il y a ceux qui reviennent à la « question », les « Hozrim Becheeala ». Dans la société israélienne contemporaine, ce mouvement ne fait pas exception. Il est en revanche difficile à quantifier. Ceux qui quittent le monde harédi sont peut-être quelques centaines à un millier par an. Une enquête du Bureau Central des Statistiques remontant à 2012 peut donner une idée de leur importance. 2% des personnes interrogées, classées dans la catégorie des personnes ayant grandi dans un foyer harédi jusqu’à l’âge de 15 ans, s’étaient définies comme « traditionnalistes ou peu religieuses ».

Il s’agit pour eux d’une rupture totale, non seulement avec leur mode de vie, mais aussi la plupart du temps avec leur famille. Depuis une dizaine d’années, des associations, fondées par ceux qui ont suivi le même parcours, les prennent en charge et tentent de les guider dans un nouvel environnement qui leur est totalement étranger. La plus connue, « Yotsim Lechnouï » (sortir vers le changement), organise pour eux des ateliers d’information, mais aussi des groupes de parole pour soutenir ces jeunes, qui ont parfois laissé un conjoint derrière eux, à se reconstruire socialement et psychologiquement.

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.