Les sionistes religieux, portrait d’un secteur

Environ 20% de la population juive israélienne se définit comme sioniste religieuse. Ses caractéristiques, son attachement aux valeurs traditionnelles du judaïsme et à la modernité de l’Etat et de la société israélienne, la placent à la croisée de plusieurs mondes, dont les frontières ne sont pas toujours nettes. Quelques exemples.

 

 

Religieux et sioniste ou sioniste-religieux

En 2014, l’Institut Israélien pour la Démocratie (IDI) a effectué une enquête approfondie sur le secteur religieux sioniste. Il avait établi un échantillon représentatif de population et l’un de ses premiers constats avait été que la moitié des personnes interrogées qui appartenaient objectivement au secteur religieux sioniste, ne se percevaient pas comme telles et se définissaient seulement comme religieuses. Comme si le terme sioniste-religieux correspondait en réalité à une catégorie politique et non sociétale, à laquelle peuvent adhérer aussi ceux qui ne sont pas nécessairement des religieux pratiquants.

On peut donc être religieux et sioniste, sans être sioniste religieux. Et inversement.

Niveau de religiosité de la population juive israélienne  2014 en pourcentage (Bureau Central des Statistiques)

Non religieux, laïcs 43,4
Traditionalistes peu religieux 23,7
Traditionalistes religieux 12,5
Religieux 11
Harédi 9
Sans opinion 0,3

 

Les Israéliens sionistes religieux sont partie prenante de tous les secteurs de la vie du pays. Mais à la différence des laïcs, ils maintiennent en parallèle un mode de vie religieux à des degrés divers : respect du Shabbat, de la cacherout, prières quotidiennes, étude, etc.

Les centres de population religieuse

Pour la population juive israélienne, le niveau de religiosité demeure un critère important dans le choix d’un lieu de résidence. L’environnement social, les établissements scolaires, les structures communautaires, le type de synagogues et même les prestations de logement – ascenseur compatible pour le Shabbat, balcons ou jardin pour la célébration de la fête de Succot – sont parmi les facteurs qu’une famille religieuse prendra en considération pour son installation dans tel quartier ou telle localité.

La population religieuse sioniste ne se retrouve que pour environ 7% dans les implantations de Judée Samarie. Plus d’un quart réside dans les localités du centre d’Israël – Netanya, Raanana, Petah Tikva, Modiin, Rehovot, etc. – environ 15% à Jérusalem, environ 10% à Tel Aviv et le reste dans la périphérie du nord et du sud, principalement à Beer Sheva et dans les localités de l’ouest du Néguev.

Si la population religieuse est présente dans les grandes agglomérations, elle réside aussi dans ce que l’on appelle des localités communautaires, dont le mode de vie est fixé par les habitants, pour correspondre à leur niveau de religiosité. De plus en plus de projets immobiliers ciblent le public religieux non harédi, en lui proposant des prestations adaptées à son mode de vie.

Le kibboutz religieux

16 kibboutz et 7 mochavs appartiennent au mouvement Tnuat Hakibboutz Hadati, soit environ 15.000 habitants. C’est pourtant l’une des composantes historiques du sionisme religieux, qui avant la création de l’Etat d’Israël, considérait le peuplement et le travail de la terre dans le respect des valeurs juives,  comme une priorité. Organisés depuis 1938 en mouvement, les kibboutz religieux ont aussi formé un noyau idéologique. Si la plupart d’entre eux sont aujourd’hui privatisés, comme les kibboutz laïques, ils ont généralement maintenu une situation économique stable.

Ashkénaze ou séfarade

La population séfarade, ou plus généralement orientale, comme on la définit en Israël, constitue la composante majoritaire de la population religieuse sioniste. Elle reste pourtant sous-représentée dans la direction politique et religieuse de ce courant. Dans les années 80, un groupe avait fait scission du Parti National Religieux, pour fonder le parti Tami, qui voulait représenter les Juifs orientaux sionistes religieux. Il a été le premier parti ethnique représenté à la Knesset, où il n’a fait qu’une seule mandature. C’est le parti Shass qui a pris le relais, mais avec un positionnement politique oscillant entre le harédisme et la harédisme nationaliste.

Disparités socio-économiques entre laïcs et religieux

Il y a relativement peu de chiffres disponibles sur les caractéristiques économiques du secteur religieux sioniste, contrairement au secteur harédi, qui a des caractéristiques propres. Les segments religieux et laïcs sont généralement pris ensemble et sont plus identifiables par leur localisation géographique, centre ou périphérie.

Toutefois, selon une étude réalisée en 2017 pour le mouvement Neemanei Torah Veavoda, le salaire mensuel moyen d’un diplômé de l’enseignement public laïc est supérieur de 18% à celui d’un diplômé de l’enseignement public religieux. L’enquête porte sur la tranche des 26-41 ans, nés entre 1973 et 1988. D’où il ressort que l’écart de salaires est plus important chez les hommes – 20,4% – que chez les femmes – 13,5% -, en partie parce que les femmes, tous secteurs confondus, restent moins payées que les hommes.

Les religieux sionistes sont à près de 90% des salariés. Ils sont représentés dans tous les secteurs de l’économie, services, industrie, santé, fonction publique, etc.

Les disparités sont aussi l’effet des postes de dépenses qui diffèrent entre foyers laïcs et religieux. Ces derniers dépensent généralement plus pour l’éducation religieuse de leurs enfants, dont le nombre moyen est aussi plus élevé que dans les foyers non religieux. Ce qui peut aller du simple au double.

Pour les mêmes raisons, cela réduit le revenu disponible moyen des foyers religieux.

Taux de fécondité évolution entre 1980 et 2014 (Bureau Central des Statistiques)

Femmes religieuses : de 3,5 à 3,8 jusqu’à la fin des années 90. En hausse depuis le début des années 2000 avec 4,2 naissances par femme.

Femmes traditionalistes religieuses : en recul depuis la fin des années 80, il est passé de 3,3 à 2,4 au milieu des années 2000. Depuis le nombre de naissances par femme remonte à 3.

Femmes traditionalistes peu religieuses : en recul de 2,5 à 2,2 entre la fin des années 80 et le milieu des années 2000. Le nombre de naissances par femme remonte au cours de la décennie suivante à 2,6.

Tsahal

Le service militaire obligatoire concerne les Israéliens juifs laïcs et religieux. Les seules dérogations concernent les ultra-orthodoxes, dont le statut est d’ailleurs toujours en attente d’une nouvelle législation. Mais cela peut aussi concerner une partie des religieux sionistes orthodoxes, notamment ceux qui participent au programme des yéchivot Hesder, qui combine le service actif et la poursuite de l’étude talmudique (voir dans ce dossier l’article sur l’éducation sioniste).

C’est à partir de la fin des années 80 que les religieux sionistes ont commencé à intégrer les unités d’élite de Tsahal. Aujourd’hui, ils en composent plus d’un tiers des officiers et la moitié des élèves des cours d’officiers, principalement dans l’armée de terre. La plupart d’entre eux ont suivi un programme de préparation militaire (voir l’entrée « yéchiva kdam tsvaït », dans l’article sur l’éducation sioniste).

Le nombre croissant de soldats et officiers religieux influe nécessairement sur le fonctionnement social de Tsahal, notamment en termes de mixité et de présence de femmes dans les unités combattantes, qui préoccupent les rabbins. Le précédent chef d’état-major Gadi Eisenkot et son successeur actuel Aviv Kochavi suivent une politique assez proche de maintien du statu quo et de prudence, visant également à ne pas donner trop d’influence aux considérations religieuses et halachiques dans le fonctionnement et les structures de l’armée.

Les femmes

Le statut de la femme est aujourd’hui l’un des principaux débats au sein du monde sioniste-religieux. L’éducation publique a amené les femmes à accéder à presque toutes les fonctions et toutes les professions. Israël compte aujourd’hui, comme l’ensemble des pays de l’OCDE, des femmes diplômées employées dans tous les secteurs de l’économie, présentes à des postes de responsabilité dans la magistrature ou la politique. Pourtant, si ces femmes sont aussi des sionistes-religieuses, ayant suivi un cursus d’études religieuses, l’accès à la plupart des fonctions religieuses leur est toujours interdit.

Si l’on se reporte à l’étude de l’IDI, en 2014, 56% des Israéliens religieux estimaient que le statut halachique de la femme ne devait pas être modifié et que les femmes ne devaient pas accéder aux fonctions de rabbin ou de juge rabbinique.

A la suite d’une récente requête devant la Cour Suprême, le Conseiller Juridique du Gouvernement israélien a annoncé que l’Etat allait autoriser les femmes à se présenter aux examens de Halacha, hors du cadre rabbinique et qu’elles seraient habilitées à recevoir un diplôme sanctionnant leurs connaissances, équivalent à celui délivré aux hommes. A la différence qu’il ne leur donnera pas accès à des postes dans les rabbinats municipaux, ni dans les tribunaux rabbiniques. Cela reste pourtant une avancée substantielle, dans la mesure où ces diplômes sont pris en compte pour l’accès à d’autres professions, notamment dans la fonction publique. Le Grand Rabbinat a déjà menacé d’annuler tous les examens sous son contrôle, si la décision était appliquée.

La place des femmes évolue aussi selon les communautés. A Jérusalem, notamment sous l’influence des immigrants des Etats-Unis, une place plus importante est accordée aux femmes, que ce soit dans l’étude ou dans la pratique du culte, où certaines communautés orthodoxes acceptent le principe de quorum (mynian) de femmes, voire de quorum mixte pour la prière.

L’habit ne fait pas le religieux

Leur apparence extérieure peut aller d’un code vestimentaire quasi-identique à celui des non religieux, jusqu’à celui des ultra-orthodoxes. Les hommes portent presque toujours la kippa, même si ce n’est pas une règle impérative, mais un usage. La kippa la plus identifiée avec le courant sioniste est la kippa crochetée (kippa sruga), blanche à liseré bleu ou multicolore, qui est même devenue une appellation générique. Mais chez les sionistes orthodoxes, elle peut être de tissu noir. Le port de la chemise blanche sur un pantalon de toile bleue est plus réservé au Shabbat et aux fêtes ou conservé par les plus âgés. Les jeunes ne se distinguent souvent des non religieux que par le port de la kippa, surtout s’ils sont scolarisés dans un établissement religieux. Ceux qui laissent apparent le talith, porté sous les vêtements et en font dépasser les franges, sont le plus souvent des jeunes qui veulent ainsi affirmer leur identité ou leur idéologie.

Chez les femmes, les règles vestimentaires de modestie en vigueur dans le monde orthodoxe, sont également adaptées à la modernité. La longueur des robes et des manches peut être un signe d’appartenance ou une mode d’un courant donné. Mais de nombreuses femmes religieuses ont aussi adopté le port du pantalon et même de la jupe au-dessus du genou. De plus, toutes les femmes mariées ne se couvrent plus la tête. Celles qui suivent cette tradition optent généralement pour un simple foulard, plus ou moins volumineux et parfois même un simple bandeau. En revanche, le port de la perruque reste quasi-exclusivement une pratique ultra-orthodoxe.

Médias

Les religieux sionistes accèdent aussi bien aux médias généralistes qu’à ceux de leur secteur. Ils sont également usagers courants d’internet et présents sur les réseaux sociaux et les différentes plateformes de communication.

Le déclin constant de la presse écrite touche également le secteur religieux sioniste, qui n’a plus aujourd’hui qu’un seul journal payant, Makor Rishon, appartenant au groupe Israel Hayom et qui ne publie plus qu’une seule édition hebdomadaire. Parallèlement, on trouve d’autres publications papier gratuites, généralement déposées dans les synagogues pour l’office de Shabbat. La plus importante est B’Sheva, appartenant au groupe Arutz Sheva.

Arutz Sheva  est la principale station de radio identifiée avec le courant sioniste religieux. Egalement présent sur internet, comme les autres médias, Arutz Sheva avait été fondé à la fin des années 80 par le rav Zalman Melamed, comme la réponse à la Voix de la Paix, la radio du pacifiste Aby Natan, qui émettait d’un bateau en Méditerranée. Installée dans l’implantation de Beth El en Samarie, la radio émet aujourd’hui seulement sur internet. Sa plateforme média comprend également des sites d’information en hébreu et dans d’autres langues.

Les sites internet sont d’ailleurs le principal média du courant religieux sioniste. Les sites les plus suivis sont Kippa, Srugim, ou Yeshiva, qui proposent de l’information générale et sectorielle, des forums de questions halachiques auxquelles répondent des rabbins, et des informations culturelles et magazine.

Par ailleurs, la radio publique israélienne Kan diffuse sur sa station Moreshet des programmes destinés au public religieux, mais dont le contenu est uniquement lié au judaïsme.

 

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.