Du messianisme au suivisme

Si le sionisme religieux fait partie intégrante de l’histoire de la construction politique d’Israël, il reste plus influencé par les événements extérieurs qu’il n’influence l’évolution du sionisme. Retour sur quelques étapes clés de son histoire politique.

 

 

Les précurseurs du sionisme religieux, seconde moitié du XIXe siècle

Les rabbins Zvi Hirsch Kalischer et Yehuda Haï Alkalaï pensent que la rédemption messianique doit se réaliser aussi par l’action humaine. Ils observent le processus d’émancipation des Juifs d’Europe et y voient à la fois un signe positif, les Juifs recouvrent des droits individuels, mais aussi un péril, celui de la disparition du peuple par assimilation. Reconstruire la souveraineté du peuple juif sur la terre d’Israël leur apparait donc comme la meilleure réponse.

Le mouvement Mizrahi, des pogroms à l’Indépendance

Les considérations évoluent avec les événements qui frappent les Juifs d’Europe centrale et les persécutions qui se multiplient, notamment en Russie à partir des années 1880. Le sionisme devient alors une nécessité pour le salut et la sécurité du peuple. Il faut aux Juifs un territoire et un Etat. C’est l’approche recommandée par le Rav Itzhak Yaakov Reines. Il fonde en 1902 le mouvement Mizrahi, qui sera le prélude à l’organisation politique du sionisme religieux en Israël. Le mouvement, qui adhère tout d’abord au projet d’établir un Etat juif en Ouganda, suivra parallèlement l’évolution du projet sioniste de Herzl et du Congrès sioniste, vers l’établissement d’un Etat en terre d’Israël et y verra le début du processus de rédemption du peuple juif.

Au cours des décennies qui précéderont l’avènement  de l’indépendance, le mouvement sioniste religieux restera plus prudent sur la question des moyens légitimes de parvenir à la création d’un Etat et plus intransigeant sur son aspect territorial. Lors du Congrès Sioniste de 1937, les religieux sionistes votent majoritairement contre le plan de partage de la Commission Peel, qui préconise la création de deux Etats en Palestine mandataire, l’un pour les Juifs, l’autre pour les Arabes. Ils considèrent qu’un tel plan irait contre le projet messianique du retour du peuple juif sur la totalité de la Terre d’Israël, mais aussi qu’il risquerait d’être insuffisant pour répondre à une immigration massive des Juifs de diaspora.

Pourtant, ce sont ces mêmes sionistes religieux qui ont soutenu en 1947, le plan de partage de l’Onu. Entretemps, la Shoah et le massacre par les nazis de six millions de Juifs avaient modifié l’ordre des priorités.

Pragmatisme pré-1967

Le sionisme religieux trouve sa principale expression politique dans le nouvel Etat avec le Parti National Religieux (PNR), fondé par Haïm Moshe Shapira. Sous sa direction, le PNR suivra une ligne pragmatique, qui lui permettra de faire partie de toutes les coalitions politiques. En adoptant une position modérée, le leader du PNR soutient le parti dominant – le Mapaï de David Ben-Gourion – sans toutefois le suivre dans son approche du conflit israélo-arabe. Son objectif majeur est d’obtenir du gouvernement des mesures favorables à son secteur, en particulier sur les questions des rapports entre la religion et l’Etat, en contrepartie de son soutien au parlement.

Messianisme de la guerre des Six Jours et Bloc de la Foi

La victoire militaire de juin 1967 rebat les cartes du courant sioniste religieux. La composante messianique du sionisme trouve un nouvel élan, même si le PNR conserve sa ligne modérée jusqu’à la disparition de son dirigeant et fondateur en 1970. C’est après le décès de Haïm Shapira, que ce courant prend la main et que l’idéologie du rav Kook trouve sa pleine dimension.

Le rabbin Abraham Itzhak Hacohen Kook est considéré comme le « père » du sionisme. Il voit dans le nationalisme juif, même séculier, l’expression du projet divin qui marque l’avènement des temps messianiques. Les Juifs religieux doivent donc adhérer au projet sioniste en y intégrant la dimension spirituelle, qui échappe à leurs coreligionnaires laïcs. Premier Grand Rabbin de Palestine en 1921, il œuvre à la promotion du sionisme jusqu’à sa mort en 1935. C’est son fils, le rav Zvi Yehuda Hacohen Kook, qui poursuit son œuvre et l’inscrit dans la réalité politique de l’Etat d’Israël. Le rav Zvi Yehuda dirigera la yéchiva du Merkaz Harav, fondée par son père jusqu’en 1982. C’est lui qui donne l’impulsion de ce qui va devenir le mouvement du Gush Emunim (le Bloc de la Foi) qui verra le jour après la guerre de Kippour de 1973. Dès la fin de la guerre de 1967, le rav Kook affirme que l’Etat d’Israël doit conserver les territoires conquis. Ce sont ses disciples, des rabbins, des étudiants du  Merkaz Harav et d’autres figures du mouvement sioniste religieux, qui concrétiseront le projet de peuplement juif en Judée Samarie et dans la Bande de Gaza. Ils deviendront aussi une force déterminante au sein du Parti National Religieux, qui prend alors une orientation plus idéologique de droite nationaliste.

Du radicalisme de la « Résistance juive » à l’assassinat d’Itzhak Rabin

Au début des années 80, un groupuscule juif, dont la plupart des membres sont issus du Gush Emunim, optent pour l’action violente contre les Palestiniens. Ils s’opposent au traité de paix signé entre Israël et l’Egypte, en ce qu’il jette aussi les bases d’un futur Etat palestinien indépendant et lancent des actions punitives en riposte à des attaques contre des implantations juives. Leurs attaques feront cinq victimes palestiniennes. Mais surtout, le réseau a été démantelé en 1984, et ses membres arrêtés par les services de sécurité israéliens, avant qu’ils ne réalisent deux projets d’attentat, dont l’un qui visait le Dôme du Roc, sur le Mont du Temple. Yehuda Etsion, un des membres du groupuscule, milite depuis sa libération pour la reconstruction du Temple de Jérusalem par des moyens pacifiques.

 

Si cet épisode avait suscité des réactions diverses dans le public sioniste religieux, celui de l’assassinat d’Itzhak Rabin en 1995, a en revanche fait l’objet de condamnations unanimes. Dans le contexte de l’opposition d’une partie de l’opinion israélienne aux Accords d’Oslo de 1993 entre Israël et l’OLP, les tensions s’étaient exacerbées et le débat public radicalisé, autour de manifestations pour et contre le processus diplomatique. Le fait que l’assassin du Premier ministre israélien soit un étudiant de l’Université Bar-Ilan, grandi dans le milieu sioniste religieux, avait choqué tout le pays. Il faudra plusieurs années pour apaiser les esprits et pour que les sionistes religieux eux-mêmes retrouvent une sérénité suffisante pour réaffirmer leur position dans le débat intérieur israélien.

 

Le traumatisme du Gush Katif

En 2005, c’est un nouveau traumatisme qui secoue le milieu sioniste religieux, celui du retrait unilatéral israélien de la Bande de Gaza. Ariel Sharon, alors chef du gouvernement, décide et fait approuver par le parlement le désengagement total du territoire côtier, pour le laisser au seul contrôle de l’Autorité Palestinienne. Ce qui passe donc par le démantèlement des implantations israéliennes du Gush Katif et l’évacuation de leurs habitants. Le souvenir de l’assassinat de Rabin est toujours dans les mémoires et personne ne veut d’une confrontation entre Israéliens. Quelques rabbins du mouvement sioniste religieux appelleront pourtant les soldats de Tsahal à désobéir et à refuser de participer aux opérations d’évacuation. Le Grand Rabbin Mordehaï Eliahou se dit convaincu que le démantèlement des implantations n’aura pas lieu. Pourtant, il se déroule comme prévu. En quelques jours, il ne reste plus un seul habitant israélien dans la Bande de Gaza et les implantations du Gush Katif sont rasées. Le choc est d’autant plus grand, surtout pour les jeunes, que la direction politique, mais aussi religieuse, s’est révélée dépassée par les événements, comme en déni de réalité et que ses promesses non tenues, ont donné la preuve de son impuissance.

Libéralisme ou harédisme, le débat s’intériorise

C’est en partie, mais pas seulement, depuis le retrait du Gush Katif, que le public sioniste religieux est moins en prise avec le débat politique et plus préoccupé par sa propre évolution. Si le nombre des rabbins ne fait que croitre, il n’y a plus vraiment de figure majeure, comparable à celle du rav Kook, qui fédère tous les courants. Ce sont plus les enjeux sociétaux qui alimentent le débat, tel que le statut de la femme, les questions de mixité, l’évolution de la famille ou les rapports entre la religion et l’Etat.

On assiste au sein du milieu sioniste religieux à un tiraillement portant une partie du public vers une forme de libéralisme, tandis que l’autre penche vers une forme d’orthodoxie, à la fois dans la pratique religieuse et dans le rapport à l’Etat (Mamlach’tiout). Ces derniers s’apparentent au courant dit harédi-sioniste religieux, les « H’ardalim », qui se développe depuis la fin des années 90. Le messianisme inhérent au sionisme religieux s’est retiré de l’espace politique, ou a tout du moins perdu de son influence, comme en témoigne le récent débat sur l’application de la souveraineté israélienne en Judée Samarie, où les arguments avancés relevaient surtout des considérations stratégiques ou diplomatiques. Le « Grand Israël » n’est plus la priorité des sionistes religieux.

 

Pascale ZONSZAIN, journaliste. Couvre l’actualité d’Israël et du Proche-Orient pour les médias de langue française. Auteur de nombreux reportages et enquêtes sur les sociétés israélienne et palestinienne.