A Jérusalem, la Midreshet Yehouda-Manitou, dirigée par Brigitte Ullmo-Bliah, perpétue la modernité de l’enseignement oral de Léon Askénazi. Face aux nouveaux immigrants qui le découvrent en français et aux jeunes Israéliens qui se l’approprient en hébreu, l’avocate est convaincue que tous peuvent y puiser une nouvelle inspiration sioniste.
Propos recueillis par Pascale Zonszain
Menora.info : Où en est l’enseignement de la pensée de Manitou auprès du public francophone israélien ?
Brigitte Ullmo-Bliah : L’enseignement en français de la pensée de Manitou en Israël s’adresse principalement à un public plus âgé. Les jeunes qui arrivent en Israël vont très vite étudier en hébreu, et c’est en hébreu qu’ils découvriront Manitou. Quand nous avons créé la Midreshet Yehouda-Manitou, c’était pour prendre la suite des institutions que Manitou avait fondées en Israël, Mayanot, puis le Centre Yaïr. C’est ainsi que nous avons constaté que le public de olim n’était pas un public de jeunes, mais plutôt d’adultes qui sont restés sur le français. Ce qui ne nous empêche pas d’organiser des événements qui seront aussi moitié en hébreu, moitié en français et qui seront principalement destinés aux « Vatikim », aux anciens olim, qui ont suivi l’enseignement dispensé directement par Manitou et qui aujourd’hui sont aussi hébraïsants. Pour les jeunes, il y a d’autres organismes qui délivrent son enseignement en hébreu. C’est notamment ce que fait Oury Cherki.
Comment réagissent les nouveaux immigrants, arrivés au cours des dix dernières années, à la pensée de Manitou ?
Eh bien beaucoup ne la découvrent réellement qu’ici, en Israël. Ils avaient entendu parler de Manitou quand ils étaient encore en France, mais ne savaient pas vraiment qui il était. S’il y a aujourd’hui des initiatives comme « Manitou l’Hébreu », créé par Olivier Cohen, c’est quelque chose de récent. Presque une génération après la disparition de Léon Askénazi, quelqu’un comme Olivier Cohen, l’a découvert sur internet ! Pour les autres, Manitou, c’est souvent de l’archéologie ! Parce que Manitou a continué à aller personnellement enseigner en France après son alyah et pratiquement jusqu’à la fin, personne n’a pris le relais.
Comment pourtant sa pensée perdure-t-elle ?
Il y a eu différentes initiatives. La Fondation Manitou s’est occupée de tout l’aspect livresque, transcription de ses cours qui ont ainsi pu être publiés. Il y a aussi la traduction vers l’hébreu de son enseignement. Quant à nous, à la Midreshet Yehuda, nous avons voulu poursuivre son enseignement oral. Mais pour lui être fidèle, il ne fallait pas faire de « Manitou-isme », mais bien être ancré dans le monde d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs un des paradoxes du renouveau de sa pensée. Comment peut-elle être aussi inscrite dans l’histoire et en même temps aussi actuelle, plus de vingt ans plus tard ?
Comment fait-on pour rendre cette modernité ?
En essayant de comprendre le temps présent à l’aune de l’histoire longue du peuple juif. Ce qui animait Manitou, c’était de savoir qu’elle était l’urgence de l’heure « Oraat Hasha’a ». Que doit-on faire maintenant ? Eh bien, il y a deux urgences : accueillir les olim de France, mais aussi essayer de trouver dans les sources juives les pistes et les orientations pour répondre aux questions de la société contemporaine d’Israël. Il ne s’agit pas là de religion, mais d’inventer une société. En tant que juriste, je pars du concept de la légitimité d’Israël en droit international, qui l’a reconnu comme Etat juif. Nous devons donc créer un Etat juif et si nous ne le faisons pas, alors on n’est plus légitime ! Si l’on revient à Manitou, il faut rappeler que c’est lui qui a sauvé la communauté juive de France après la guerre sur le plan spirituel. Et c’est parce qu’il a su sans cesse adapter sa pédagogie à l’époque. Il a toujours été dans l’existentiel, et c’est pour ça que c’est tellement vivant ! Et c’est aussi la raison pour laquelle il plait tant aux jeunes Israéliens aujourd’hui. Parce qu’il n’entre dans aucune catégorie.
Et pourtant en Israël, on n’aime rien tant que placer les gens dans des catégories bien précises. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Peut-être justement parce que nous sommes entrés dans un temps nouveau. Les Israéliens comprennent que les étiquettes et les catégories, ça suffit. Nous sommes venus en Israël pour relever le défi de fabriquer un peuple. En hébreu, les mots « peuple » et « avec » ont la même racine : « Am » et « Im ». Et pour fabriquer un peuple, il faut s’extraire des catégorisations. C’est ça la pensée de Manitou, un défi existentiel !