Parallèlement à la contestation contre Benyamin Netanyahou et la crise économique, le secteur harédi est le seul à avoir mené ses propres manifestations, elles aussi liées à la situation sanitaire.
A plusieurs reprises depuis l’éruption de l’épidémie et en particulier fin septembre et début octobre, au cours du mois des célébrations du Nouvel An juif, on a assisté à de nombreux incidents et affrontements entre Israéliens ultra-orthodoxes et forces de l’ordre. Ils protestaient contre les mesures de confinement qui ont limité les rassemblements et fermé synagogues et lieux d’étude.
Les accrochages avec la police se sont déroulés au cœur des quartiers et des agglomérations ultra-orthodoxes. Tout au long de la semaine de la fête de Souccot, début octobre, les heurts ont été quotidiens. Les harédim s’estimaient discriminés par rapport au reste de la population et en particulier en ce qui concerne le maintien des manifestations politiques, alors qu’on leur interdisait les prières et l’étude collectives. Ces manifestations spontanées éclataient lors des patrouilles de police qui venaient réclamer la dispersion d’un groupe ou la fermeture d’une synagogue. Elles ont donné lieu à des heurts violents, tant de la part des manifestants que des policiers.
La mobilisation des harédim est un phénomène ancien dans la vie publique israélienne. Le plus souvent initiée par les rabbins et chefs des différentes communautés, elle est perçue comme un devoir de défense des valeurs religieuses qu’ils estiment menacées par les autorités et institutions de l’Etat. On a vu par le passé des manifestations contre la profanation du Shabbat, afin d’empêcher la circulation automobile à proximité de leurs quartiers, ou pour la protection de sépultures mises au jour lors de travaux d’infrastructure ou de chantiers de construction. Les harédim ont aussi souvent manifesté contre les différents projets de réforme qui visaient à élargir le service militaire obligatoire aux jeunes de leur secteur. Ces rassemblements ont pu réunir jusqu’à des dizaines de milliers de participants. Organisées le plus souvent sans autorisation préalable, ces manifestations étaient dispersées par la police, et ont donné lieu à des affrontements violents.
Dans la contestation liée à la crise du Covid, les harédim, ou du moins une partie d’entre eux, se sont donc retrouvés face à la police pour préserver ce qu’ils considèrent comme les piliers de leur existence en tant que communauté. Ils sont les seuls, jusqu’à présent à manifester en tant que groupe de population dans la contestation provoquée par la crise sanitaire. Pourtant, cette réaction n’est pas unitaire ni unanime. Au contraire, elle souligne des divisions internes qui préexistaient et qui se sont accentuées.
La voix des grands chefs spirituels du monde harédi ne porte plus aussi loin que celle de leurs prédécesseurs. Le Rav Haïm Kaniewsky, chef de file du courant lituanien, n’a pas l’influence de personnalités comme le Rav Shach dans les années 90. L’ouverture à la modernité d’une partie du milieu harédi a créé une nouvelle classe moyenne ultra-orthodoxe qui commence à accepter la réalité de l’Etat d’Israël. C’est cette catégorie qui a été la plus désemparée face à la confusion des messages et des consignes délivrées par ses leaders.
D’ailleurs, c’est surtout le monde harédi ashkénaze qui est touché par cette crise de leadership. Les séfarades et orientaux ultra-orthodoxes, réunis autour du parti Shas et de son conseil de rabbins paraissent moins atteints et mieux à même de suivre les consignes de leurs représentants politiques et religieux.
Sans renouvellement des cadres pour les ultrareligieux ashkénazes, les divisions devraient continuer à se creuser entre ceux qui songent à une intégration dans la société israélienne et ceux qui voient la solution dans une forme d’autonomie locale. Un des effets secondaires de la crise du Covid.