« Le risque d’apartheid est fort si on continue à aller dans une logique à un État ou du statu quo. Même le statu quo produit cela« ,
Jean Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères
L’article de Hugh Lovatt traite de la nouvelle politique européenne envers Israël et la Palestine. On est en droit tout d’abord de se demander ce que l’UE entend par la Palestine : 1) L’antique Judée, patrie des juifs conquise par les Romains en 135 de notre ère et réduite à une province de leur empire ? 2) Le vilayet de l’empire ottoman rattaché administrativement au Liban et à la Syrie jusqu’en 1920 ? 3) Le territoire dont les frontières furent décidées pour la première fois depuis l’an 135 par la Grande-Bretagne après qu’elle eut reçu de la Société des Nations un mandat pour y favoriser l’instauration d’un Foyer National juif en 1922 ? 4) La Jordanie, amputation en 1923 de 78% de ce même territoire palestinien, destiné à être une Palestine islamo-chrétienne dont les Juifs seraient exclus ? Non, c’est, dirait-on, une entité mystique qui donne l’occasion à l’U.E. d’exercer une sorte de « patronage », qui n’est pas moins mystique, envers le peuple juif et au sein duquel, en Judée-Samarie et à Jérusalem, au cœur d’Israël, elle a décidé de son propre chef de créer une nouvelle Palestine comme pour en faire son « protectorat » au Proche Orient.
Cette stratégie se fonde sur une alliance ancienne avec les Etats arabo-musulmans et la passion de défendre, contre les Israéliens, le « droit et la justice » de ceux qu’elle appelle Palestiniens, mais qui se définissaient comme Arabes jusqu’en 1966. Le rappel d’un précédent accablant, comme l’alliance de l’Allemagne nazie et d’Amin al-Husseini, représentant du mouvement national arabe dont les volontaires servaient avec les bataillons musulmans dans la Wehrmacht et les SS, sur tous les théâtres d’exécution de la Shoah, témoigne d’une continuité inquiétante.
Il faut savoir que cette convergence avec l’Allemagne, dominant l’Europe, forgée dans la guerre, survécut à la paix, d’abord discrètement, puis se renouvela plus tard sous le signe du combat pour « le droit et la justice », couverture du djihadisme palestinien. En témoigna le fait que, au lendemain même de la guerre, aucun Etat européen, excepté la Tchécoslovaquie, n’accepta de vendre des armes à Israël avant la guerre de 1947-48. Et cela alors même que le premier Secrétaire-Général de la Ligue arabe nouvellement constituée, Abdoul Rahman Hassan Azzam Bey, annonçait « une guerre d’extermination et un massacre dont on parlerait comme de ceux des Mongols » contre les juifs. Azzam bey prédisait un vaste pillage et le déferlement de volontaires musulmans venant des Indes, d’Afghanistan, de Chine et d’ailleurs excédant le nombre des Arabes de Palestine, et même des centaines de volontaires anglais. Utilisant les formules d’Hitler qui inversaient les réalités, il accusait les juifs de provoquer les Arabes à la guerre[1]. Ces sinistres prévisions n’empêchèrent pas la Grande-Bretagne et la France de vendre des armes aux Etats arabes limitrophes et dont les cinq armées envahirent la Palestine, rejoignant la milice du mufti, dissimulée dans les villages arabes dès 1947. En un mot une deuxième Shoah au lendemain de la Shoah.
Pour la énième fois, on retrouve dans ce document de Hugh Lovatt l’affirmation que la création de la Palestine, celle au cœur précisément d’Israël, puisqu’une Palestine existe déjà depuis 1923, est extrêmement importante pour l’Europe. Si importante que l’UE a mobilisé toutes ses ressources planétaires pour bloquer la politique de Donald Trump, ce visionnaire génial qui voulut jeter aux poubelles de l’histoire les plans euro-arabes accouchés par les caciques de l’UE (Déclaration de Venise 1980) alliés à la Ligue arabe et à l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI). Cette mobilisation internationale de l’UE contre Trump est présentée comme une grande victoire pour Israël et la Palestine, bien que la phrase suivante mentionne cette victoire comme un blocage des plans israéliens. A part cette contradiction, imaginer que la politique de l’UE serait une victoire d’Israël est un non-sens. Affirmer qu’une victoire de l’UE et de la Palestine serait aussi celle d’Israël, quand on sait que les deux sont les ennemis les plus acharnés de l’Etat hébreu est une manipulation manifeste.
En première page, l’auteur du document évoque un lieu commun de l’UE, constamment ressassé, sur le préjudice porté aux intérêts européens par le conflit israélo-arabe, dont la pérennité est imputée à l’irritant refus d’Israël de disparaître. Le minuscule Etat d’Israël, avec une population de neuf millions d’habitants, menacerait-il la plantureuse Europe réunissant 27 pays, peuplée de 446 millions d’habitants ? Nous sommes là dans la rhétorique des années 30 dont l’UE, semble-t-il, n’arrive pas à se débarrasser. Qui ne se souvient des imprécations d’Hitler devant des foules et des peuples électrisés, accusant les communautés juives traquées et tétanisées de le provoquer et de le forcer à leur faire la guerre ? Prétexte pour exécuter une politique planifiée depuis longtemps contre ceux qu’on a diabolisé intentionnellement.
Aujourd’hui, la politique de l’UE opère de même. Elle assigne Israël à se cantonner dans un ghetto suicidaire qu’elle s’arroge le droit de lui fixer, sans tenir compte de ses droits souverains historiques, culturels et religieux. Si Israël persévère dans son refus, il la pousserait à déclencher une panoplie de représailles savamment dosées selon le régime de la carotte et du bâton, comme le déclarait dans les années 1990-2000, l’Ambassadeur Miguel Angel Moratinos, Délégué spécial de l’UE. Prendre le contrepied de la politique de Trump, suggère le rédacteur du document. Nul besoin de longue-vue pour découvrir les foyers de l’antisémitisme virulent actuel.
Les pages suivantes exposent les possibilités de représailles auxquelles l’UE pourrait recourir pour faire obtempérer la nation à la nuque raide. Car, affirme le document, l’entêtement d’Israël représente un problème d’ordre international comme hier quand les Protocoles des Sages de Sion, étaient la source des maux universels au point d’entrainer l’éradication des Juifs d’Europe, pour supprimer les causes du mal. L’UE prépare-t-elle concrètement la réactivation de ce scénario pour les survivants de la Shoah et de la dhimmitude réunis en Israël ? Le scénario cependant est nouveau. Il invoque l’argument de l’égalité entre Israéliens et partisans du Hamas et de l’OLP, c’est-à-dire de leurs ennemis invétérés, la lutte contre l’apartheid, l’occupation, la colonisation. Des thèmes aussi imaginaires que ceux des années 1930-40 mais qui alimentent la haine psychotique des foules pour justifier le crime.
Le style est particulièrement intéressant, car toutes les propositions de représailles anti-israéliennes s’expriment en termes positifs et bienfaisants. L’intention réelle apparaît dans la subversion du vocabulaire. La libération des lois djihadistes de la patrie historique du peuple juif est définie comme une colonisation, bien que ces territoires aient été illégalement occupés par la Jordanie, l’Egypte et la Syrie en 1948 et colonisés par les immigrants arabes installés dans les maisons des Juifs expulsés. L’auto-défense d’Israël contre le terrorisme djihadiste est qualifiée d’apartheid. Une fois ces termes posés, alors qu’ils contredisent l’histoire et la réalité, la propagande idéologique de l’UE peut se développer avec toute sa puissance internationale dans la fantasmagorie imaginaire des crimes d’Israël. Cela aussi est dans l’ADN de l’UE, structurée par la doctrine Hallstein. La source et l’envergure de la campagne actuelle accusant Israël d’apartheid, de colonisation et d’occupation est claire. L’auteur remarque que les diplomates européens ont une prédisposition naturelle pour négocier ce conflit. Je dirais une prédilection tant l’obsession pathologique de la destruction ou de la réduction de l’Etat hébreu, les tenaille.
Il importe cependant de rappeler quelques réalités du contexte israélo-arabe, car ce conflit se situe dans la continuités des djihad contre les infidèles chrétiens, accusés de se soulever contre la domination islamique: je fais référence ici aux guerres génocidaires qui ont ensanglanté les deux derniers siècles. Au XXe siècle, les Etats européens se sont abstenus de secourir les chrétiens massacrés dans l’empire ottoman. L’Allemagne de Guillaume II, alliée de l’Empire ottoman, a même justifié le génocide des Arméniens. La position européenne actuelle, anti-israélienne, motivée par des intérêts économiques, n’est par conséquent pas exceptionnelle. Ce qui l’est, c’est la thématique antisioniste diffusée à tous les niveaux pour imposer, au cœur d’Israël cette « colonie » européenne appelée Palestine, destinée à détruire l’Etat hébreu. Cet héritage pèse très lourd dans la politique antisioniste de la CEE/UE. Des stigmates qu’aucun déguisement humanitaire ne pourra jamais effacer.
Mais Israël survit et les manœuvres pour s’en débarrasser ne cessent pas. Nommer une commissaire européenne pour lutter contre l’antisémitisme, alors que la politique de l’UE même l’encourage, ne change rien à l’affaire… Les Accords d’Abraham, qui ont enlevé à l’UE toute maitrise sur ces questions, apportent cependant espoir et réchauffement aux relations israélo-arabes.
[1] D. Barnett et E. Karsh, « Azzam’s Genocidal Threat”, Middle East Quarterly, Automne 2011, pp. 85-88.