Ce début de campagne électorale révèle un paysage de crise . C’est une crise structurelle de la France, de son identité, bien plus qu’une crise politique. Un sondage récent a montré que 67 % des Français s’inquiétaient du « grand remplacement », selon la formule habituelle, c’est à dire du devenir de la population immigrée dans la société et l’identité françaises, ce que confirme la controverse sur la candidature de Eric Zemmour.
Comment apparaît la situation de la communauté juive à ce niveau macrosociologique? Sa centralité, ne serait-ce que symbolique, dans la tourmente française est un fait. Pour l’apprécier, il faut partir des stigmates objectifs de sa crise , qui sont restés impensés dans la conscience collective. 40 000 Juifs sont partis, la plupart en Israël. En France même ,les Juifs ont déménagé, pour fuir les quartiers à population immigrée, et, surtout, un antisémitisme nouveau est apparu, en rapport avec l’islamisme et la nouvelle gauche, ce qui sur le plan global est un événement considérable, soit le retournement d’une partie des citoyens contre une autre partie, en une forme de guerre civile. Des centaines d’attaques antisémites, des actes de terreur graves ont eu lieu depuis la deuxième intifada.
L’élément critique , c’est bien sûr la gestion de la crise par l’Etat. Elle commença très mal , quand, sous le gouvernement Jospin,un black out sur 500 agressions fut décrété et respecté par toute la presse (le plus grave à mes yeux!) « pour ne pas jeter de l’huile sur le feu » comme l’avoua plus tard le ministre de l’intérieur, Daniel Vaillant. Toutes sortes de mots-valise furent trouvés pour ne pas reconnaître la nature du fait: « conflit importé », « tensions intercommunautaires », avec, comme arrière plan, un discours médiatique sous la houlette de l’AFP qui a adopté une fois pour toutes le récit palestinien, source explosive de provocations contre Israël et les Juifs qui autorise le passage à l’acte (voir la haine islamiste mais franco-française de Merah vengeant « les enfants de Gaza »). I
Il a fallu l’attaque simultanée contre Charlie Hebdo et l’Hyper cachère pour que cet antisémitisme commence à être reconnu pour ce qu’il est. Mais cette évidence reste très fragile, comme on l’a vu avec deux affaires ultérieures les meurtres de Mireille Knoll et de Sara Halimi dont le motif antisémite eut du mal à être reconnu.
C’est la persistance du déni qui pose problème. Quel peut être son sens quand un ministre de l’intérieur avoue que sa finalité est de sauver la paix civile sinon le fait que la sécurité des citoyens juifs est objectivement sacrifiée pour assurer la paix publique? Et il semble bien que ce soit toujours la ligne de la politique de l’Etat. Tout au long de ces années, il a voulu « réconcilier » Juifs et musulmans avec force « dialogues inter-religieux » alors que la question relevait de la sécurité nationale et pas des instances religieuses. Les institutions juives furent sollicitées pour socialiser l’islam, alors que la responsabilité d’inscrire l’islam dans la nation relève du privilège régalien de l’Etat. Cette politique de contournement du problème a eu des ramifications inattendues. Le symbole représenté par les Juifs d’Algérie s’est vu notamment très sollicité: ils sont, d’un côté, des Français plus qu' »intégrés » et de l’autre des originaires de l’Algérie d’avant la colonisation. C’est ainsi que ces vingt dernières années ils ont pu être accusés de « communautarisme » à l’instar de la « communauté de l’immigration » tout autant que proposés comme modèles d’assimilation pour les immigrés.
Ce sont eux – du moins de façon thématique- qui ont été touchés, héritage du passé, par les actes antisémites , eux qui sont visés dans l’expression « tensions inter-communautaires », N’ont-ils pas pris parti pour les colonisateurs en Algérie et ne sont-ils pas eux mêmes eux mêmes des colons en Israël?
Ce n’est pas un hasard que Macron ait chargé un intellectuel de cette origine, Benjamin Stora, de rédiger un rapport sur l’institution de la mémoire française de la colonisation et de la guerre d’Algérie, un sujet extrêmement controversé. Les Juifs d’Algérie se voient ainsi chargés de réconcilier en eux mêmes – dissociés donc des autres Français normatifs – Français et Algériens. Une pierre lourde à lever sur le plan de l’âme nationale comme ce le fut en leur temps pour Simone Weil, Robert Badinter, Lionel Stoléru pour d’autres taches…
N’est-ce pas dans le cadre de cette stratégie, peut-on se demander, que Benjamin Stora a été chargé d’organiser à l’Institut du monde arabe l’exposition sur les Juifs du monde arabe (inaugurée récemment par Macron), destinée à montrer combien la condition juive fut idyllique et réussie sous la domination islamique, preuve que l’islam est de bonne compagnie et que Juifs et Arabes peuvent s’entendre.
Fausse note, cependant, l’exposition se termine sur la Nakba palestinienne.
*à partir d’une chronique sur Radio J le jeudi 2 décembre