Lorsqu’il nous avait été annoncé qu’une grande exposition ouvrait à l’IMA sur les Juifs d’Orient, mon cœur chavira de joie à la belle perspective de mieux approcher mon histoire personnelle et de mieux la relier encore à celle du peuple juif. Et la communication imposante faite sur cet évènement avec un discours inaugural d’Emmanuel Macron avait fini par me séduire totalement.
J’ai toujours pensé que mon existence, tout autant que celui du peuple juif tenait du miracle. Me voilà donc, pour contempler ce prodige, au seuil de l’exposition, le souffle haletant, étreint par l’émotion !
Il m’a fallu constater les gros moyens mis en œuvre et l’immense richesse des pièces et objets historiques en provenance de France (MAHJ, Louvre), du Maroc, d’Espagne, d’Israël et d’ailleurs. Une exposition de grande ampleur s’étalait sous mes yeux ébahis. Je me retrouvais dans un parcours de plus de 3000 ans qui débutait par les Hébreux en terre de Canaan avec les rois David et Salomon.
J’ai vu défiler les deux royaumes, la chute du premier temple, la reconstruction, la période grecque, les Hasmonéens, les Romains, les Byzantins, la conquête musulmane, l’empire Ottoman, auxquels nous avions survécu, nous les Juifs.
Merveilleux tableau de Chagall, Moise recevant les Tables de la Loi, ouvrant l’exposition ! Puis dans le désordre à la Prévert, la précieuse Genizah du Caire, le Grand esprit de Maimonide, l’épopée romanesque de Sabbatai Tsvi, un magnifique rouleau de cuivre de Qumran, de splendides photos de la synagogue de Doura Europos en Syrie romaine, et des mosaïques de celle de Naro en Tunisie romaine, des étonnants papyrus araméens d’Eléphantine. Mais également, la présence attestée de trois tribus juives antiques en péninsule arabique avant Mahomet qui furent anéanties et non pas seulement bannies comme il est affirmé, et le massacre des Juifs sous les Almohades au XIIe et au XIIIe siècles.
Dans les temps récents, les Juifs de Tunisie, du Maroc, d’Algérie, du Yémen, d’Irak, d’Iran sont évoqués avec une description émouvante de leurs traditions et leurs folklores (vêtements, objets de cultes, photographies, enregistrements de témoignages, etc.).
On vantait également l’âge d’or des Juifs, toujours dhimmis, en péninsule ibérique sous le pouvoir musulman, le mythe d’Al-Andalus où les trois religions auraient vécu en paix et en parfaite harmonie, pourtant sous la tutelle féroce et la domination de l’une d’elle. Le statut de « dhimmi » nous est expliqué comme « une position d’infériorité et de vulnérabilité tout en garantissant une protection juridique et une autonomie administrative, fiscale et religieuse. » Et par ailleurs : « garantit leur liberté de culte mais aussi leur infériorité juridique. »
Il me vint à l’esprit le souvenir de mon grand-père tunisien ayant souhaité et obtenu la nationalité française en 1923 car il projetait de faire du commerce avec les Européens et que cela lui était interdit sous le statut de dhimmis.
En fait, je n’y avais pas songé plus tôt mais à l’IMA l’on célèbre un islam accueillant pour les juifs, quitte à faire l’impasse sur les périodes les plus cruelles. Lorsque l’Histoire rencontre la Politique, elle est sujette à quelques compromissions. Certes, nous dit-on, « le moyen-âge a connu des épisodes violents à l’encontre des minorités religieuses sous les Almohades aux XIIe et XIIIe siècles ». Etait-ce suffisant ?
Je me souvins alors des pogroms et assassinats de juifs qui ont émaillé le début du XXe siècle ou même bien avant, dans de nombreux pays arabes, notamment au Maroc (1790, 1845, 1859 à Tétouan, 1907 à Casablanca, 1912 à Fès), en Tunisie (1917 et 1918) ou ailleurs, et ce, avant même la création de l’état d’Israël (sans aucune volonté d’exhaustivité). Pas de trace.
On passe évidemment par l’évocation de la fameuse colonisation française relatée de façon inédite ou voulant apporter une nouvelle lecture. Sans indiquer les raisons historiques de cette colonisation, à savoir les razzias musulmanes en méditerranée et la traite arabo-musulmane dont les Européens étaient également victimes.
Le souvenir très vif de mon père me revint alors. Français, il fut en 1956 la cible d’islamistes qui lui ont enjoint, avec un couteau sous la gorge, de quitter sa Tunisie ancestrale sans délai. J’avais moins d’un an !
Je dois aussi avouer qu’il m’a manqué dans cette exposition d’éléments sur l’histoire des Juifs sous l’empire romain puisque la colonisation romaine, la destruction du Second Temple et l’anéantissement de la Judée par Hadrien devraient expliquer en grande partie, me semble-t-il, l’objet de cet évènement. Tout comme il n’est pas fait mention d’Hérode le Grand et du Temple de Jérusalem, mitoyen du palais du roi. Dans la continuité des absences, pas de traces ou presque de l’histoire des Juifs en Palestine et à Jérusalem après 135 ! Des impasses surprenantes !
La dernière vidéo de l’exposition me laissa très perplexe. La Shoah, l’arrivée des Juifs d’Europe en Palestine et ceux qui ont été chassés des pays arabes lors de la création de l’état d’Israël. La guerre d’indépendance mais pourquoi donc la Nakba de 1948 ? Que venait-elle faire dans une exposition sur les Juifs d’Orient ? Serait-ce là le lourd prix à payer pour voir cette reconstitution à l’IMA ?
Cette épisode tragique des palestiniens est présenté comme une conséquence directe de ces évènements dont on rend aujourd’hui les Juifs et Israël responsables. Mais, qui a chassé et spolié les 900 000 Juifs arabes, ce peuple oublié par l’histoire ? Qui a refusé le plan de partage de 1947 voté par la SDN ? Qui a débuté la guerre d’indépendance ? Qui a demandé aux palestiniens de quitter Israël en promettant que le petit état serait rasé rapidement et qu’ils pourraient vite y revenir ? Et enfin, pourquoi la quasi-totalité des pays musulmans est presque « judenrein » à présent et en passe de devenir « christianrein » dans quelques années ?
Une dernière surprise, agréable celle-là, me fût donnée lors de ma visite à la librairie de l’IMA. Il n’y traînait plus les habituels brûlots antisémites, comme par exemple ceux de Barghouti et consorts prônant le BDS, pourtant interdit en France. Plus aucun de ces ouvrages visibles. A la place, trônaient des livres sur la magnifique exposition. L’honneur est sauf et souhaitons que ce soit pour longtemps.