Zohra Bitan, une grande gueule made in France
par Liliane Messika, Editions Jean Cyrille Godefroy
Les porteurs de bonnes nouvelles sont suffisamment rares pour ne pas bouder le plaisir de les remercier.
Quelle bonne nouvelle nous apporte Liliane Messika avec son livre sur Zohra Bitan ? C’est une histoire forte, celle d’une fille d’immigrés algériens, pauvres, qui à force de travail, de courage et de curiosité intellectuelle, va se sortir d’un destin programmé. La petite fille travaille bien à l’école, est curieuse d’apprendre et va trouver dans les livres une porte d’entrée pour rêver d’une autre vie que celle qui s’offre à la jeunesse-issue-de-la-diversité-des-quartiers-difficiles pour parler comme la novlangue compassionnelle l’exige. Celle qui est devenue chroniqueuse régulière des Grandes gueules sur RMC a un parcours singulier qui va la conduire à briser ce triple statut de départ : d’abord d’être une femme, musulmane, de culture maghrébine. Ces trois déterminismes vont au contraire nourrir une énergie transgressive peu commune.
En brisant les règles non écrites qui ont construit ces univers schizophrènes, Zohra Bitan affirme une personnalité hors norme. Le « séparatisme » islamiste s’est nourri dans ces viviers. Tout le talent de Liliane Messika est de nous donner ce témoignage dépourvu de tout misérabilisme compassionnel, celui qui a tant desservi la cause que la gauche antiraciste croyait défendre. On est au cœur des questions qui se posent à la France aujourd’hui et la vie de Zohra Bitan affirme, propose une réponse positive. Au lieu de la plainte, de la mise en accusation d’un colonialisme jamais éteint, dont l’indigénisme a fait sa rente, Zohra Bitan s’est construite avec des choix de vie diamétralement opposés à un statut de victime. Elle a épousé un juif ! Acte symbolique inimaginable au vu de son origine et de sa communauté. Elle dénonce l’antisémitisme qui ronge les banlieues, autant que la culture du ressentiment qui l’abrite. Elle a dénoncé l’obscurantisme islamiste, l’enfermement qu’il engendre, accompagné symétriquement par l’autoflagellation décoloniale telle que la pratiquent tous ses idiots utiles. Pour être une femme libre, trop libre aux yeux de certains, elle a affronté toutes les menaces des islamistes.
C’est un autre rapport à la France, fait de reconnaissance pour ce que ce pays lui a apporté : la liberté de penser, la liberté du choix, celui d’être une femme libre. En refusant tous les clichés que la bonne conscience voulait lui assigner, Zohra Bitan trace une voie dont Liliane Messika a su saisir la singularité.
Le seul vrai ennemi de cette Grande Gueule de Zohra Bitan est le cancer qu’elle déjà combattu et repoussé par deux fois. Cette empathie de l’auteur pour son sujet a produit ce livre fort, généreux et tonique qui tire le lecteur hors du pessimisme ambiant.