Après les bouleversements sanitaires dus au Covid, les arrivées massives d’olim et de réfugiés fuyant la guerre déclenchée en Ukraine par l’invasion russe, la multiplication d’attentats palestiniens, souvent perpétrés par de jeunes adolescents, sans négliger l’anxiété provoquée par les terribles images des tremblements de terre dans la région, voici qu’Israël traverse une crise politique dont l’ampleur déstabilisante et clivante rappelle l’époque des Accords d’Oslo.
La cause, curieusement, en est qu’enfin une majorité parlementaire nette est sortie des urnes. Mais ce qui semblerait habituel, voire souhaitable, aux Etats-Unis, en France ou en Grande-Bretagne, soulève ici une tempête et sème le chaos social dans une partie de la population ! Car le nouveau gouvernement de Binyamin Netanyahou est issu, autour du Likoud, d’une coalition de partis nationalistes conservateurs et religieux, qui entendent appliquer les valeurs de patriotisme et de respect basique du judaïsme comme culture porteuse de la singularité d’Israël. Il faut ici préciser qu’il ne s’agit nullement d’imposer aux gens la pratique d’une religion, mais de préserver les marqueurs de la culture juive, tels que la célébration nationale des fêtes bibliques ou des particularités du repos hebdomadaire de shabbat, et cela sur le plan systémique et fonctionnel de la collectivité. Les communautés de citoyens musulmans, druzes, chrétiens et autres, ont évidemment toute liberté d’exercer leurs fois et coutumes.
Cependant la principale réforme annoncée et déjà soumise à l’élaboration de commissions parlementaires concerne l’institution judiciaire. Or, si elle apparaît comme une pomme de discorde, c’est que la Justice, surtout la Cour Suprême, – Bagatz en hébreu -, jouit, en l’absence de Constitution, d’une fonction de contrôle et de limitation des pouvoirs législatif et exécutif, qui peut aller jusqu’à l’application de lois ou à leur rejet. Le juge Aharon Barak, célèbre pour son activisme en matière de droit lorsqu’il était le Président de la Cour, et même par la suite, a opéré en 1992 ce que lui-même nomme une « révolution constitutionnelle » , dont il prétend ne pas être l’auteur direct mais qu’il a développée à partir de la Loi Fondamentale dite » sur la Dignité et la Liberté de la Personne », dans le but de combler les lacunes et les imprécisions du texte fondateur et référentiel de la Déclaration d’Indépendance ; il a établi la priorité des droits de la personne sur ceux de l’Etat. Il a expliqué qu’en cas de contradiction entre les deux, il faut continuer de privilégier les seconds, par exemple pour assurer la sécurité collective qui doit être placée au- dessus de tout, tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits individuels.
Comme ceux-ci sont des droits humains universalistes, et non pas atttachés aux citoyens israéliens, on comprend aisément, notamment en cas de litiges impliquant des terroristes palestiniens, que si le juge Aharon Barak, grâce à ses dons incontestablement brillants de sophiste, a pu dépasser les apories, il s’est aussi exposé au reproche de politisation de l’institution juridique, d’autant plus que dans nombre des arrêts qu’il a rendus et qu’ont rendu ses successeurs, cette politisation a rejoint la perspective « progressiste » des partis de gauche.
De ce point de vue, l’interview qu’il a accordée au journaliste Roni Kuban, le 13.02 sur la chaîne Kan, était fort intéressant. Enfant exfiltré d’un ghetto lituanien où sévissaient les nazis, amené par la suite en Palestine Mandataire par la Brigade Juive dont il se souvient avec gratitude, il se définit comme « sioniste hertzlien », soulignant par là qu’il voit en Israël la solution aux persécutions antisémites, un refuge où les Juifs puissent vivre normalement, sans référence à la profondeur historique du lieu, pourtant indissociable de l’être-juif. Comme Roni Kuban cite le défunt avocat Yakov Weinroth qui dit une fois que lui, Barak, avait pour Torah le droit, établi sur le rationnel et non sur le sentiment, l’interviewé acquiesce, et à la question portant sur ce qu’il pense du droit juif, qu’il n’utilisa pas, par rapport au Droit démocratique, Aharon Barak répond qu’ils sont d’égale valeur, et que s’il n’a pas recouru au premier, c’est simplement parce qu’il ne le connaît pas !
Ainsi, l’auteur des décrets juridiques qui ont marqué de leur sceau universaliste, anhistorique et areligieux la société et la politique israéliennes, ignore presque tout de la riche mémoire culturelle juive, du « pilpoul » talmudique élevé jusqu’à la quintessence de l’analyse de la complexité des lois halachiques pour en tirer des solutions affinées au plus près d’une justice à visage humain. Il semble de surcroît semble passer outre à l’attachement de la majeure partie de ses concitoyens à leur terre ancestrale jamais oubliée, et au poids de la culture biblique qui imprègne profondément, en ses diverses facettes, les coutumes, les arts, l’éthique et la sensibilité de la nation israélienne…Pourtant, cette vision civilisationnelle fut autant celle des pionniers sionistes laïcs, des communautés séfarades, de l’enseignement d’une personnalité religieuse importante comme le Rav Kook, que de l’esprit dans lequel Ben Gourion organisa l’Etat naissant!
La conception philosophique et idéologique du juge Barak, également éminent professeur de Droit à l’Université Hébraïque, forma, et nourrit encore actuellement, l’ensemble des professionnels de l’institution qui enseignent, élisent, cooptent juges et procureurs, leur conférant le statut d’une élite à part. D’autant plus que, comme l’a écrit leur mentor, « Les juges ont le privilège de changer la vision de la Knesset en réalité »: ce qui signifie qu’à partir des lois parlementaires démocratiquement votées, il est donné aux juges de les interpréter dans le sens de la fameuse révolution constitutionnelle, même si elle en déforme ou dévie ou annule la visée.
C’est ce que le juge Barak fit, en rendant dans un procès particulier un arrêt « révolutionnaire » appuyé sur un développement de 500 pages, que les citoyens lambdas ne lurent pas, et peut-être pas même tous les députés, bien que, comme indiqué ci-dessus, il inversait en fait l’intention des législateurs, en mettant les droits individuels en surplomb absolu des Lois Fondamentales. Le juge Michael ‘Heshin, l’un des rares à être classé politiquement à droite par les commentateurs médiatiques, avait alors critiqué la furtivité de cet acte juridique majeur, lourd de conséquences pour toute la société, en énonçant que « l’on doit légiférer comme au Sinaï, devant tout le peuple ». Mais la Cour Suprême n’est pas le Mont Sinaï, même si elle considère, grâce à son autre concept-clé qu’on peut traduire par la « raisonnabilité », qu’elle a la capacité de remplacer par les siennes des décisions ministérielles pas suffisamment éclairées, – par exemple en imposant la remise d’un Prix national honorifique à un universitaire israélien adepte des méthodes de boycott BDS. Cette prérogative suppose que seuls, les juges de la Cour Suprême savent ce qui doit être fait, ce qui est raisonnable et indiscutable, en dépit des divergences de vue des autres instances concernées. Ces jours- ci, la Cour Suprême montre n’avoir aucune intention de renoncer à ces privilèges, ou du moins à les remettre en question, au nom de la sauvegarde de l’équilibre démocratique face aux corps législatif et exécutif.
C’est l’essayiste Pierre Lurçat qui a rappelé que, si Montesquieu attribue bien au judiciaire le rôle d’empêcher la monarchie de tomber dans la tyrannie, il considère qu’à l’inverse en démocratie, il doit s’effacer. La Pr. Neta Barak-Koren, de l’Université Hébraïque, dans l’émission matinale de Keren Neubach le 16.02 sur la chaîne Kan, a exposé à ce propos les particularités institutionnelles de la démocratie israélienne qui ont abouti au contraire. Dans les années 90, un affaiblissement des partis politiques majoritaires entraîna une fragilisation des coalitions gouvernementales de plus en plus dépendantes de petits partis dont le poids d’exigences augmentait corrélativement, bien qu’ils risquaient de disparaître aux élections suivantes. L’absence de Sénat pour surveiller la Knesset et débattre avec elle, amena les oppositions à s’adresser de plus en plus fréquemment à Bagatz pour défendre leurs contestations et limiter l’application de lois. Le recours au judiciaire fut désormais présenté comme le bouclier des minorités et de tout individu s’estimant lésé par l’Etat. Sauf que la célèbre « révolution constitutionnelle » lésa souvent davantage les législateurs par ses ingérences, et ne manqua pas d’indigner une majorité de citoyens quand, par exemple, des ONG étrangères peu transparentes mais ouvertement hostiles à Israël, apportant argent et appuis internationaux aux Palestiniens, obtinrent-elles aussi de la Cour Suprême de débouter la souveraineté de l’Etat. Comme le juge Barak, la Pr. Neta Barak-Koren pense que la Knesset doit élaborer et voter de nouvelles lois fondamentales avant toute réforme du système judiciaire. Cet énoncé laisse entendre qu’il préconise une préparation législative minutieuse et sans hâte du plan de la réforme, argumentaire rationnellement acceptable qui devrait déboucher dès maintenant sur des études et discussions entre parlementaires et experts.
Or, c’est ici que l’on se heurte à l’énigme de la violence discursive des manifestations de rue. Qu’elles aient lieu, qu’elles soient massives, véhémentes et soutenues, que les chefs de l’opposition les mènent et les encouragent, tout cela témoigne paradoxalement de l’authenticité, de la vigueur et du sain fonctionnement de la démocratie du pays que les manifestants déclarent déjà perdue. Mais qu’on ait pu voir, le premier jour, y flotter des drapeaux palestiniens et y lire des slogans portant le mot » nazi », laisse perplexe. Que Moshé Yahalon, ancien Chef d’Etat Major de Tzahal, ex-ministre des Affaires stratégiques, ex- ministre de la Défense dans des gouvernements dirigés par Netanyahou, – avant de passer à l’opposition politique – à cause des mises en procès de ce dernier -, qu’une personnalité d’une telle stature, dévouée au service de la nation, puisse affirmer devant tous les micros refuser de laisser Israël sombrer dans la dictature, est un évènement étonnant. Que Yaïr Lapid, Premier Ministre sortant et chef de l’opposition, n’hésite pas à porter le problème jusque chez les Juifs américains démocrates, fort peu cléments envers Israël dont leur américanisme les coupe davantage à chaque génération, puis aille solliciter la solidarité de la France et de l’Union Européenne, non contre le terrorisme palestinien et ses attentats meurtriers, mais contre les menaces internes qui planeraient sur le régime israélien, voilà qui ne manque pas de stupéfier. Inutile d’égrainer les noms de tous les politiciens au semblable comportement. Ehoud Barak inclus, ex-Premier Ministre, brillant officier et Général de Tzahal, qui dirigea le Parti Travailliste, fut aussi ministre de l’Intérieur, des Affaires Etrangères et de la Défense, et qui rédigea un message si haineux sur les réseaux sociaux qu’il dut s’en excuser. Un ancien pilote, Zeev Raz, l’un des braves qui, au temps de Mena’hem Begin, au terme d’un vol reste épique, détruisirent la centrale atomique irakienne, va jusqu’à justifier dans un forum télévisé qu’on assassine un Premier Ministre “si celui-ci en arrivait a assumer des pouvoirs dictatoriaux” ! On a l’impression d’assister à une bouffée délirante collective en entendant comparer Netanyahou à Poutine, au milieu des appels réitérés à déserter le pays, à ne plus servir dans l’armée, à faire fuir les capitaux et les grandes sociétés à l’étranger. Le jeune directeur d’une prospère entreprise de high tech prétend donner l’exemple en s’expatriant et en transférant ses avoirs avec lui. Des chaînes télévisées prévoient l’effondrement boursier et annoncent dès le lendemain qu’il a commencé, comme si la Bourse n’avait aucun rapport avec l’influence psychologique de la parole publique. Tandis qu’une inconnue dénommée Ayala Kremer lance sur Avaz (!) une pétition internationale au ton hystérique pour empêcher la “théocratie en Israël”! Les petits enfants des manifestants, des écoliers, des lycéens, reprennent d’un ton sérieux les slogans criés par leurs parents, et un père, très ému, commente qu’il a eu la chance de vivre en régime démocratique et qu’il est inquiet pour l’avenir de ses descendants. Les universités sont sur le pied de guerre, des sociétés et des commerces ont répondu positivement à l’ordre de grève des oppositions, le très chic café du coin de ma rue est clos. “Ce gouvernement est une menace pour la paix mondiale”, écrit sur un réseau social un oublieux de la Russie, de la Corée du Nord, de l’Iran etc… “Il purge la démocratie de ses valeurs”, renchérit un interviewé sans doute persuadé que la liberté des individus et leur égalité viennent de disparaitre de la Déclaration d’indépendance. La communauté arc-en-ciel s’angoisse, sans que nul n’ait remis en cause ses acquis juridiques. Bref, la seule consolation dans ce spectacle public, c’est que dorénavant, les drapeaux sur les épaules ou brandis à bout de bras soient sionistement bleus et blancs…
Il est indéniable qu’un noyau de protestataires soit sincèrement convaincu du bien-fondé de la révolte, sensibilisé par le registre discursif employé par tant de personnages politiques, d’artistes, de journalistes. A cela s’ajoute que les arrêtés de la Cour Supreme vont, depuis plus de deux décennies, quasi systématiquement dans le sens de l’idéologie universalisante des partis de gauche, et parfois du post-sionisme, qui rêve de faire d’Israël un pays européen comme les autres. Cependant l’atmosphère ambiante de la foule suggère quelques causes plus psychologiques. Certes, l’inconscient est toujours celui d’un sujet, et non pas collectif, mais en même temps, une collectivité est un rassemblement de sujets qui se projettent vers un but commun, s’unissent volontairement, s’accordent en miroir, partagent de plus en plus d’émotions dans un mouvement relationnel conforté par un vocabulaire commun qui se charge de la violence ressentie. Pierre Mannoni, philosophe et psychopathologue français, a étudié ce qu’il nomme les peurs collectives, connues pour se transmettre principalement dans un même milieu groupal, comme une famille ou bien une secte, et dans un même espace ou lieu commun, comme une usine ou une école. Elles suscitent rapidement des rumeurs, dans lesquelles les projections imaginaires et les fantasmes se déposent, et en se partageant sur le mode de l’identification des uns aux autres propre à la foule, elles s’amplifient, pouvant même déclencher des paniques et des bouffées d’hystérie. Car la “peur sociale”, écrit Pierre Mannoni, exprime la sensation d’une menace diffuse, dans une situation d’incertitude, deux paramètres difficiles à affronter pour la psyché humaine dont il faut se protéger en les traduisant dans des contenus représentables afin d’agir à temps contre eux : c’est ce à quoi la société israélienne se confronte actuellement, déjà éprouvée presque quotidiennement par des actes terroristes sur des civils. Les pandémies, les guerres , les catastrophes naturelles, imposent aux êtres humains la reconnaissance de leur fragilité présente, autant que leur impuissance à prévoir leur avenir. Pour surmonter ces prises de conscience anxiogènes du versant aléatoire de la vie, l’esprit humain a besoin de s’extraire de la passivité et de récupérer un contrôle sur l’environnement, ce qui requiert une réflexion cognitive apte à générer une adaptation active, et à donner un sens aux événements. La population juive israélienne est issue d’ancêtres que l’Histoire malmena, la nation se construisit au milieu de combats et d’un conflit sanglant pas encore réglé, l’antisionisme perpétue à travers le monde la violence antisémite bimillénaire : tout ceci éclaire sa réactivité au factuel, sa tendance à percevoir rapidement ce qui serait potentiellement tragique, et en même temps sa faculté d’y faire face, et de se préparer à s’en défendre. Ces mécanismes psychiques jouent donc un rôle de défoulement d’angoisses présentes autant qu’anciennes et accumulées, ce qui est loin d’être anodin dans cette actualité exagérément explosive : le sentiment de ne plus être isolé, de sentir que des groupes expriment les mêmes émotions perturbantes sur le même registre verbal saturé de pulsions inconscientes et organise par un même récit cohérent, a pour chacun un effet de catharsis. Lors de la manifestation de ce shabbat soir à Tel-Aviv, un défilé de femmes vêtues de capes rouges, en référence probable au roman dystopique “ La servante écarlate” de Margaret Atwood, veut attirer l’attention sur le danger de régression qui planerait sur les droits des femmes : danger concret ou thème oblige ?
La légitimité des mouvements de contestation du plan du gouvernement est donc évidente, mais la forme et le ton en sont erronés et inadaptés, et devraient suivre la formule employée par le juge Aharon Barak répondant à Roni Kuban qu’il acceptait les critiques a son égard, pourvu qu’elles soient faites “par l’Histoire et non par l’hystérie”.
Reste que des motivations non dites, bien que moins inconscientes, animent beaucoup de meneurs politiques comme ceux évoquées plus haut. Car il y a du ressentiment dans leurs discours, l’expression d’une rivalité colérique, d’un narcissisme blessé. Alors même que le changement de majorité législative et exécutive est l’enjeu de tout régime libéral, délégitimer cette majorité élue régulièrement ne semble pas un acte essentiellement légaliste, et le spectacle de députés de l’opposition sautant sur les tables de la Commission des Lois en hurlant “Honte, honte !” eut un air inédit, même pour qui garde le souvenir des assemblées houleuses précédant l’approbation des Accords d’Oslo ou du retrait de la Bande de Gaza. De même est-il compréhensible de souhaiter qu’un Premier Ministre n’ait pas à affronter un procès, mais comme tout citoyen, il n’est pas coupable tant qu’il n’a pas été déclaré tel aux termes d’une procédure légale, et son élection par les urnes doit être respectée. Prétendre que remanier le mode d’élection des juges signifie le remettre aux mains du gouvernement, c’est faire l’impasse sur la problématique du fonctionnement d’un cercle assurément hautement compétent, mais assez élitiste pour n’admettre qu’exceptionnellement l’inclusion d’éléments externes en son sein. A cet égard, un passage de l’interview du juge Aharon Barak s’est révélé plus éclairant que lui-même ne l’a probablement perçu. Après que ce-dernier ait souligne les critères d’excellence requis pour siéger à la Cour Suprême, Roni Kuban s’étonne ironiquement : “Quoi, pas un seul marocain qui ait convenu ? Pas un seul ?”, et son interlocuteur répond à voix basse : “Il est possible que nous ayons commis une erreur”, puis ajoute : “Et pourtant, nous avons beaucoup cherché”. Ce qui, à l’erreur a peine reconnue, ajoute le mépris d’autrui et son humiliation ! Dans la réaction de la Présidente actuelle, Esther ‘Hayout, qui n’a pas hésité, pour dénoncer le péril sur la démocratie, à se situer sur le terrain politique au mépris de la séparation des Pouvoirs, on déchiffre aussi le refus d’une élite sociale de se remettre en question et de s’ouvrir aux effets de l’évolution d’une nation dynamique, qui ne cesse de croitre, plurielle et cultivée.
Que dire enfin des appels a peine voiles à la rébellion populaire, au risque de violence et de scission civiles, – bien que même trois cents mille manifestants ne puissent se substituer à la totalité des électeurs ? Que dire du recours, déjà évoqué, à la critique hostile et à la condamnation morale de la part d’Etats étrangers qui demain en feront des armes contre Israël ? Déjà, Nasrallah, le chef du Hezbollah, prophétise la proche fin des sionistes ! Certains débats intellectuels sur le sujet, à la télévision française par exemple, n’hésitent pas à décrypter ce tournant politique comme l’aboutissement d’un processus annoncé depuis longtemps dans un pays trop connoté religieusement, – juif ! -, pour être vraiment démocratiquement égalitaire et dénué de racisme, -sans apartheid ! Pareillement, en Israël, bien des discours universitaires, médiatiques, progressistes, présentent la singularité historique juive comme un obstacle a la disparition identitaire dans l’universalisme harmonieux. Les arrêts de la Cour Suprême y sont valorisés en tant que dédouanement des caractères juifs d’Israël face au reste du monde. Dans le même but, la modernité de pointe du pays, économique, scientifique et technologique, est, oh combien ! avec raison, mise en exergue : en conséquence de quoi, pour punir la dictature naissante, les médias énoncent des prévisions financières négatives qui risquent de s’auto-réaliser, car il est connu qu’en matière boursière, par exemple, les sentiments de confiance influent sur les comportements des individus. Faut-il s’étonner d’un début de fuite de capitaux prophétisé plusieurs jours d’affilée ? Ce qui montre que la lutte contre le supposé péril dictatorial n’hésite pas à en amorcer d’autres bien réels pour notre pays, toujours confronté au terrorisme et aux menaces iraniennes. En 1929 aux Etats-Unis, ce sont les actionnaires affoles qui ont provoqué le désastre boursier en retirant tous leurs avoirs. Dans “ Masse et Puissance”, Elias Canetti désigne ces phénomènes collectifs par le terme de “peur de masse”. On est tente d’établir une comparaison avec les images du 16 février, aux informations du soir de la chaine 12, montrant des vétérans de la Guerre de Kippour en train d’organiser le transport d’un tank d’époque, érigé en mémorial local prés de leur kibboutz, vers la Knesset à Jérusalem, pour symboliser le retour d’un danger de l’ampleur d’une guerre : s’agit-il, chez ces héros du passé nourris à l’idéal socialiste laïc, d’une réaction paranoïde ? Israël est en ce moment rangé par les médias aux côtés des “démocratures”, ces pays comme la Pologne et la Hongrie qui regimbent à se fondre dans l’Union Européenne, laquelle les accuse alors de dérives quasi fascistes. Il faudrait plutôt s’interroger sur les causes des choix des peuples, qui refusent sans doute simplement d’abandonner leurs cultures historiques : l’élection du nouveau gouvernement israélien répond à ce désir.
Le 27 mars au soir, le Parlement Européen tiendra une Conférence intitulée “ Sauver la démocratie libérale en Israël”, avec la coopération de JCall-Europe et du CCLJ (Centre Communautaire Laïc Juif), deux institutions plus enclines au post-sionisme qu’au sionisme émotionnel. Notons que ces entités se mobilisent davantage pour défendre les israéliens d’eux-mêmes, -“sauver la démocratie”-, que des attentats et des missiles palestiniens …C’est pourquoi il est urgent que nous, tous les citoyens israéliens, réintégrions le champ du réel, et qu’un débat s’instaure à la Knesset, dans un souci authentique et sincère du Bien commun.
Au nom de l’Histoire et non de l’hystérie.