Tami Shienkman est conseillère en stratégie politique. Depuis des années, elle guide les partis dans la course aux suffrages des électeurs israéliens.
Propos recueillis par Pascale Zonszain
Menora.info : Comment est-ce qu’on construit la campagne électorale d’un parti ?
Tami Shienkman : Il faut savoir qu’aujourd’hui, plus personne n’attend la propagande électorale qui passe à la radio et à la télévision deux semaines avant le vote. Les électeurs vont chercher sur les réseaux sociaux les spots électoraux des candidats. Donc, les partis investissent beaucoup sur ces supports pour être vus. Le Likoud par exemple, est très présent et investit sur ces médias, beaucoup plus que sur le terrain. Sur les réseaux sociaux, vous trouvez une masse de contenus, vidéos, clips qui sont censés cibler un public spécifique. Le Likoud construit une « campagne négative », de l’outsider, avec un message simple : on est avec moi ou contre moi. La campagne de la liste centriste Bleu et Blanc quant à elle, joue sur l’ambiguïté. On pourrait la qualifier de campagne négative inversée : vous qui n’êtes pas satisfaits de Netanyahou, votez pour nous, peu importe votre position politique, de droite ou de gauche, votre appartenance à un camp donné. On voit d’ailleurs au sein de cette liste des personnalités très différentes avec un mélange d’opinions.
L’électeur ressent d’ailleurs une impression de confusion. Il n’arrive pas à se faire une idée claire du positionnement de la liste centriste.
C’est exactement l’objectif de sa campagne ! C’est totalement délibéré. D’ailleurs, si on regarde les derniers sondages, ça leur réussit. Bien sûr, un sondage est par définition extrêmement variable et ne vaut que pour le moment présent, mais au bout du compte, la liste Bleu et Blanc talonne le Likoud dans les intentions de vote, là où, il y a à peine quelques mois, une alternative à Netanyahou semblait inenvisageable. Ce qui lui a permis d’arriver à cela, c’est cette même ambivalence, sans laquelle elle n’aurait probablement pas réalisé un tel score.
Où intervient le conseiller stratégique ?
Une campagne s’articule sur plusieurs plateformes. Ce que je viens d’exposer, c’est l’aspect stratégique. Ensuite, on passe à la phase tactique et pour cela on utilise différents vecteurs. Ce sont les relations publiques, c’est-à-dire les interviews dans la presse; c’est aussi la présence sur le terrain, par exemple les tournées organisées par les candidats sur les lieux au cœur de l’actualité. Benny Gantz se rend sur la frontière syrienne, Benyamin Netanyahou inspecte le front de Gaza et descend jusqu’à la frontière égyptienne. Ce sont ce que l’on appelle des événements qui génèrent de la couverture médiatique. Et il y a aussi bien sûr les réseaux sociaux. Sur Facebook, les partis diffusent les présentations de leurs candidats. Sur Twitter, on cible en priorité les journalistes, car ils y sont tous. Donc, on va poster les déclarations des candidats, leurs réactions, leurs positionnements. Qu’il s’agisse de messages écrits ou de vidéos, ils sont d’abord destinés aux professionnels de la presse. Sur Instagram, on diffusera les photos de leurs visites, de leurs déplacements, de leurs rencontres, ce qui va fournir une couverture complète de leur activité. Enfin, il reste les plateformes plus traditionnelles : la radio et la télévision pour la propagande électorale et pour les interviews et les campagnes d’affichage, mais qui sont moins utilisées que par le passé. On voit par exemple un candidat qui y a beaucoup investi dans cette campagne : c’est Moshe Kahlon, le leader de Koulanou. Il s’assure ainsi une présence visuelle alors qu’il n’est pas pris en compte comme un candidat sérieux, dans la mesure où l’on sait qu’il ne cherche pas à être le prochain Premier ministre. Or, aujourd’hui l’enjeu public se joue sur la désignation du prochain chef de gouvernement. Qui va diriger l’Etat ?
Cela veut dire que cette question suffit au débat et qu’il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails du programme des partis ?
Absolument ! Si l’on regarde la campagne qu’avait menée le Likoud lors des élections de 2015 et celle d’aujourd’hui, elles se sont faites sans présenter de programme. En revanche, il investit sur sa stratégie. Benyamin Netanyahou se présente à la fois comme l’outsider et comme un homme d’Etat expérimenté que l’on essaie d’évincer. Pour cela, il se pose en victime d’attaques personnelles. Parallèlement, l’équipe de la liste Bleu et Blanc, qui reste sur sa stratégie d’ambiguïté, a publié un programme qui est lui aussi ambigu. Sur le conflit israélo-palestinien, elle se garde de parler de deux Etats, mais préfère dire qu’elle cherche la paix, mais que faute de partenaire, il faut trouver un arrangement avec l’autre camp. Le tout restant extrêmement flou, que ce soit sur la méthode ou les objectifs. Sur ce thème, un parti comme Meretz préfère jouer différemment en envoyant ses candidats rencontrer le chef de l’Autorité Palestinienne à Ramallah. Ce faisant, ils obtiennent une visibilité en initiant un événement qui génère de la couverture médiatique.
Pour en revenir à la tactique, c’est donc sur les réseaux sociaux que la communication électorale se joue en priorité.
C’est un environnement très particulier où le rôle du conseiller stratégique est d’expliquer comment utiliser les différentes plateformes existantes pour que le message soit parfaitement enregistré par le public.
Comment cela se passe-t-il avec les nouvelles limitations qui se mettent en place ? Comment y faire face ?
C’est simple : avec de l’argent. Marc Zuckerberg se soucie peu de savoir qui le paye. Ce qu’il veut, c’est de la promotion. C’est-à-dire, chaque contenu vidéo que l’on ouvre sur Facebook et qui lui rapporte beaucoup d’argent. Et cela, tout le monde le fait. La communication ciblée sur les réseaux sociaux reste légale. Ce qui ne l’est pas, c’est le recours aux bots, ces programmes qui se font passer pour des interlocuteurs humains et qui ont été largement utilisés lors de la campagne de la présidentielle américaine de 2016. Ils ont aussi été utilisés en Israël, mais à ma connaissance aujourd’hui les partis y ont renoncé.
Que pensez-vous des sondages d’opinion ?
Malheureusement, ils restent un outil central, alors qu’ils sont extrêmement problématiques. Si l’on prend les partis qui sont sous le seuil de représentativité (3,25% des suffrages exprimés pour un minimum de quatre sièges à la Knesset, NDLR), comme par exemple celui d’Eli Ishaï, Benyamin Netanyahou lui a demandé de se retirer de la course, pour que ses voix ne soient pas perdues pour les autres partis de droite. Mais où se trouve le public d’Eli Ishaï ? Il s’agit d’un essentiellement électorat religieux orthodoxe, qui ne répond pas aux enquêtes d’opinion ou qui ne leur fait pas confiance. Il est donc tout à fait possible que son parti soit en mesure de franchir le seuil de représentativité et qu’il obtienne même trois ou quatre mandats. Mais si l’on dit en permanence dans les médias qu’il ne pourra pas atteindre ce seuil, cela va décourager les électeurs de lui donner leurs voix. C’est donc un système trompeur.
Qui utilise le plus les sondages ? Les partis ou les médias ?
Ce sont principalement les médias. Tant que la propagande électorale n’a pas commencé, cela leur permet de fidéliser le public en créant de l’événement.
Tout cela donne le sentiment que le citoyen est plus considéré comme un consommateur que comme un électeur. Est-ce que cela ne porte pas atteinte à la démocratie ?
Parler d’atteinte à la démocratie me parait un peu excessif. Plus de la moitié des gens ont déjà fait leur choix. Ils savent pour qui ils vont voter. Et ce choix est avant tout d’ordre émotionnel. Ceux qui ont choisi de voter pour Benyamin Netanyahou ne se laisseront pas influencer par les menaces d’inculpation qui pèsent sur lui. De leur point de vue, l’injustice et la persécution dont il fait l’objet, les renforcent dans leur détermination à voter pour lui. Et inversement, ceux qui s’opposent à Benyamin Netanyahou et qui votent pour d’autres partis se fondent aussi sur un choix affectif. C’est un vote contre un acteur spécifique. Bien que nous soyons censés élire des partis, en réalité nous votons pour des individus.
Ce qui veut dire que chez l’électeur israélien, l’affect l’emporte sur l’idéologie ?
Exactement !