Les ouvrages de Micah Goodman sont des best-sellers en Israël. Dans son dernier essai « H’azara Bli Techouva », un jeu de mots sur le retour à la religion, qu’il détourne pour décrire ces laïcs qui s’intéressent à la tradition sans aller jusqu’à la pratique, il étudie la zone grise traditionnaliste, entre laïcs et religieux, une autre forme de laïcité, qu’il considère comme une passerelle.
Propos recueillis par Pascale Zonszain
Menora.info : Quelle est votre définition de la laïcité israélienne ? Peut-on la considérer comme un secteur de la société ?
Micah Goodman : Oui, je pense que les laïcs sont un secteur de la société israélienne. Pas pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons bureaucratiques.
Plutôt surprenant comme définition !
Je ne pense pas qu’il y ait une « théologie » laïque qui s’applique à tous les laïcs. Je ne pense pas qu’il y ait un mode de vie laïc qui s’applique à tous les laïcs. Ce qui les définit, ce n’est ni l’une ni l’autre. Ce qui en fait un groupe, c’est la bureaucratie israélienne, qui partage Israël entre éducation religieuse et éducation laïque. Donc, tous ceux qui suivent l’enseignement laïc vont vers une socialisation laïque, qui va en faire un groupe. C’est la conséquence du système et non pas d’une théologie.
Ce qui veut dire selon vous, que si l’on supprimait l’enseignement laïc, on supprimerait l’identité laïque ?
Je pense que 50% des laïcs sont en réalité des traditionnalistes et que moins de la moitié des laïcs sont des athées selon leur conception théologique et totalement imperméables au judaïsme. Moins de 50% des laïcs le sont réellement. Le secteur laïc est plus grand que la proportion de laïcs authentiques qu’il comporte, parce que le traditionalisme en Israël n’est pas un secteur en tant que tel. Il n’y a pas de courant traditionnaliste dans le système éducatif. Il n’y a le choix qu’entre religieux et laïc. Donc, bien que la majorité des Israéliens soient en fait des traditionnalistes, la bureaucratie israélienne ne leur accorde pas de place spécifique.
Cela signifie que les laïcs israéliens ne le seraient donc pas par choix ?
Cela signifie qu’il y a de nombreux laïcs qui le sont parce qu’ils ont fait le choix de valeurs humanistes, libérales, laïques. Mais beaucoup d’autres en Israël, sont simplement non religieux. Or, selon le système israélien, qui n’est pas religieux ne va pas dans une école religieuse. Ce qui lui reste, c’est l’école laïque. Il n’y a pas en Israël de courant éducatif traditionnaliste, où l’on puisse étudier le judaïsme, sans devoir nécessairement en pratiquer les règles. Et donc, les gens qui sont traditionnalistes, se retrouvent dans une socialisation laïque.
Ce que vous proposez, c’est de retirer un courant dans le système éducatif, ou d’en ajouter un ?
Je pense qu’il faut en ajouter un.
Mais alors, cela contribuerait à diviser encore un peu plus la société israélienne en la découpant d’une catégorie supplémentaire ?
C’est vrai. Mais cette catégorie a une fonction bénéfique. Les Israéliens qui sont plus traditionnalistes comprennent intimement les religieux et les laïcs. Ils sont donc en mesure de jeter des ponts entre ces différents courants. Il ne s’agit pas d’ajouter encore un courant extrémiste. Au contraire, un courant intermédiaire réduit les fractures et les divisions. C’est une passerelle.
Dans votre ouvrage, vous avez fait un historique de cette laïcité israélienne et de ses différentes conceptions, entre celle plus conciliante de Ahad Haam et celle plus en rupture avec la tradition de Brenner. Qui sont aujourd’hui les laïcs radicaux en Israël et quelle est leur influence ?
Les laïcs radicaux aujourd’hui en Israël sont plus activistes politiques que philosophes. Ils ne produisent pas d’idées nouvelles, créatives ou intéressantes. Ils voient le judaïsme dans son ensemble comme une menace sur la démocratie. C’est la différence entre eux et Brenner. Brenner voyait dans le judaïsme une menace sur le nationalisme. Ce qui n’est pas le cas des laïcs radicaux d’aujourd’hui, bien au contraire. Pour eux, le judaïsme produit du nationalisme au lieu de le faire taire. C’est un changement important et intéressant.
Ces laïcs dénoncent une tendance au renforcement de la religion dans la société israélienne. C’est une réalité objective. On voit les efforts des sionistes religieux notamment pour renforcer la religion dans le système éducatif.
C’est exact. Ces tendances de renforcement religieux (« hadata ») existent. Dans la société religieuse, il y a une tentative de renforcer la religion par la force de l’Etat. Pas par la persuasion, ni par le dialogue, mais par la force de l’Etat. Les laïcs le voient et considèrent toute manifestation de judaïsme, même celles qui ne sont pas imposées par l’Etat, comme une tentative de renforcement religieux. On est en présence de deux erreurs. Celle des religieux, qui veulent promouvoir le judaïsme par la force et celle d’une partie des laïcs, qui considèrent tout le judaïsme comme une force.
Une séparation totale de la religion et de l’Etat serait-elle une solution ?
Une séparation totale est impossible. Mais on pourrait envisager une séparation partielle, en accroissant la distance entre la religion et l’Etat. Il faudrait moins de législations religieuses, moins de coercition religieuse. On n’a pas besoin d’une loi sur le H’amets [interdiction de consommer du levain durant la fête de Pessah, NDLR], ni d’une loi sur le porc. Ce qu’il faut c’est promouvoir le judaïsme par le dialogue et non par la coercition. Mais on ne peut pas arriver en Israël à un système à la française avec une séparation complète entre religion et Etat. En revanche, plus de distance entre les deux sera bénéfique non seulement à l’Etat, mais aussi à la religion, au judaïsme.
Tout ce qui relève du statut personnel, le mariage, la conversion, etc. doit-il rester sous le contrôle du Rabbinat et de l’orthodoxie ?
Non. Il n’y a aucune raison. Je crois en revanche que l’Etat d’Israël devrait soutenir le judaïsme, au moyen des fonds publics, plus encore même qu’il ne le fait aujourd’hui. Mais qu’il ne soutienne que l’éducation, une éducation juive. Et il doit annuler toutes les législations religieuses. Le modèle alternatif que je propose c’est moins de coercition et plus d’éducation. Je pense que 70% des Israéliens pourraient être d’accord avec ce modèle, fondé sur plus de connaissance et moins de force.
Il serait donc possible de rapprocher les différents courants de la société israélienne, religieux, laïcs, traditionnalistes et leurs conceptions souvent opposées ? Quelle voie serait acceptable par tous ?
D’abord le programme d’enseignement religieux doit comporter plus de démocratie et plus de philosophie. Il faut étudier Descartes et pas seulement le Rambam. Et dans le programme d’enseignement laïc, il faut plus de judaïsme. Il faut aussi le Rambam, la Bible et la Guemara. Ce qui nous ouvre, c’est la connaissance. Mon espace intellectuel dépasse les limites de l’espace sociologique auquel j’appartiens. Je peux être un religieux qui s’intéresse à des idées laïques. Ou je peux être un laïc qui s’intéresse à des idées religieuses. Nous avons besoin de cette curiosité qui brise les frontières entre les secteurs, tout en restant fidèle au secteur auquel on appartient.
Israël est de nouveau en période électorale. Voyez-vous aujourd’hui dans la classe politique des personnalités ou des partis qui porteraient ce type d’idées ?
Non. A mon grand regret, le débat politique en Israël dans cette campagne électorale, ne porte pas sur des idées, ni même sur une vision politique. Il est exclusivement personnel, et sur une personne bien spécifique. Au point que ce scrutin est quasiment un plébiscite sur le chef du gouvernement. Le débat se concentre uniquement sur ses mérites et ses péchés. Ce débat a pris toute la place et laisse de côté les vrais enjeux. Nous ne parlons pas de la religion et de l’Etat. Il n’y a pas de vrai débat idéologique.
Donc, avant d’en arriver à la politique, il faut commencer par l’Education ?
Absolument !