La politique israélienne nous a offert ces derniers jours une bonne « leçon de choses ». Je veux parler de la déclaration du chef du Parti islamiste, Raam, de qui dépend la survie de la coalition au pouvoir. Le personnage, Mansour Abbas, est la coqueluche des télévisions israéliennes. Il est haut en couleur, débonnaire, toujours calme, au discours en général tempéré. Il vient de faire des déclarations qui ont suscité des remous:
» La question n’est pas de savoir quelle sera l’identité de l’Etat mais quel sera le statut des citoyens arabes dans cet Etat. Israël est un Etat juif. C’est son idée, son essence. De leur point de vue si sa nature juive disparait, l’Etat aura également disparu. Il est né comme çà et il restera comme ça ».
Il y a là une déclaration politique qui, vu l’affiliation partisane qui est la sienne, donne à penser à la stratégie politique des Frères Musulmans en Europe, dans les Etats démocratiques. Elle se caractérise par un double discours: d’un côté jouer le jeu de la participation à la démocratie et de l’autre poursuivre en même temps les objectifs de l’islam politique, en attendant le moment qui leur sera favorable. Lors du vote de la Loi fondamentale sur l’Etat juif, pourtant, Abbas avait voté contre cette loi qui définit constitutionnellement l’Etat d’Israël comme un Etat juif et démocratique. Le besoin d’une loi de ce type là, c’est qu’une partie très importante de la population arabe d’Israël, qui, rappelons-le, bénéficie d’une pleine citoyenneté, récuse la légitimité de l’Etat pour prôner un Etat binational, l' »Etat de tous ses citoyens » selon le mot-valise inventé par les gauchistes israéliens, comme si un Etat de ce type-là avait déjà existé dans l’histoire. La République n’est-elle pas « française », par exemple (c’est d’ailleurs, soit dit en passant, le cœur du problème en cette année électorale)?
Il faut cependant prêter attention au discours de Abbas. A quoi pense-t-il quand il dit que la question qui se pose est celle « du statut des citoyens arabes ». Nous avons là l’indication du deuxième volet à venir de sa politique, quand les choses seront mures. Le statut actuel en effet est très clair: ils sont des citoyens égaux. Que veut-il donc alors? Il ne manque pas de préciser que « mes droits ne viennent pas seulement de ma citoyenneté, ils viennent aussi du fait que je suis membre du peuple palestinien, un fils de cette patrie palestinienne. Et que nous le voulions ou non l’Etat d’Israël avec son identité s’est établi à l’intérieur de la patrie palestinienne », une phrase très importante qui révèle toute une conception politique à savoir qu’Israël est un élément juif qui restera juif au sein de la patrie palestinienne, c’est à dire comme les Juifs d’antan minoritaire comme le furent les Juifs d’antan sous le règne de la oumma et dans le cadre de la dhimma.
Pour l’instant ce volet n’est pas actuel. « Quelle est la différence entre moi et les autres politiciens arabes israéliens? J’utilise ma citoyenneté ». Entre-temps il s’agit de jouer le jeu. « Je me considère comme un citoyen à part entière de l’Etat d’Israël et je veux bénéficier de tous mes droits ». Bien que cette parole soit impeccable, il faudrait étudier de près la signification des avantages que le parti demande (par rapport à la loi commune) et des exigences qu’il formule, toujours sous la menace de faire tomber la coalition. Que révèlent-ils de l’agenda de Abbas?
Presque simultanément, un événement non programmé s’est produit ces jours derniers et qui met à l’épreuve la sincérité de Mansour Abbas. Le cheikh islamiste et antisémite Raed Salah, à la tête d’une autre mouvance islamiste israélienne, a été libéré de prison. Si Mansour Abbas a refusé de lui rendre visite à l’instar de plusieurs personnalités arabes israéliennes, le numéro 2 de son parti, lui, l’a fait, en témoignage de soutien et avec photo de circonstance. Et que dire du concert de condamnations des paroles de Mansour Abbas, venues de tout le monde arabe, qui montrent que la majorité de ce monde n’est même pas prête à appliquer la stratégie de l’ambivalence des Frères Musulmans.
*A partir d’une chronique sur Radio J le jeudi 23 décembre 2021