En guise de préambule
Au cours du séminaire du Master 2 ayant pour l’objet l’analyse du discours médiatique, en 2017, des étudiants de la Sorbonne Nouvelle ont répondu à ma question sur la définition d’apartheid de la manière suivante :
– C’est en Israël.
Je n’ai pourtant pas posé la question sur le lieu mais sur le concept désignant cette réalité. J’ai continué mon interrogation, malgré l’imprécision de la réponse, en m’enquérant sur les sources de leurs connaissances sémantiques, historiques et politiques. La « réponse » était prévisible :
-Tous les médias en parlent.
De ces étudiants, aucun n’a mis ses pieds en Israël, aucun n’a lu un livre d’histoire sur l’État d’Israël, aucun non plus n’arrivait à situer la Palestine qui, selon les médias, subissait l’apartheid, aucun ne savait combien d’Arabes vivent en Israël et quelle est la différence entre les Arabes israéliens et les Palestiniens. Il va sans dire qu’aucun n’a la moindre idée des lois fondamentales de l’État d’Israël, de leur application et de leur mise en œuvre dans la vie de tous les jours. De même, aucun n’a vu un manuel d’histoire, de théologie, de mathématiques ou d’arabe utilisé par les enseignants palestiniens dans les écoles de l’Autonomie. Aucun n’a lu la charte de l’OLP. Et pourtant, cela ne serait pas inutile. Parce que la rencontre avec la réalité peut bousculer certaines certitudes, lorsqu’elles ne relèvent pas de la croyance religieuse.
Dans ce qui suit, j’aimerais présenter quelques faits permettant de voir plus clairement que l’apartheid ne se trouve pas toujours là où on pense.
Les mutations sémantiques sur le concept sont exposées dans l’article de Jean Szlamowicz dans ce même dossier, les analyses de la charte de l’OLP sont proposées par Shmuel Trigano, je ne m’arrêterai donc pas longtemps sur ces points. L’utilisation du mot « apartheid », d’abord par les propagandistes soviétiques, ensuite par les tiers-mondistes européens, latino-américains et enfin par la gauche européenne, profondément marquée par l’idéologie anti-juive (qu’on l’appelle antisioniste ou antisémite), nourrie par les slogans de Durban et par la foi en un universalisme où Israël n’aurait pas sa place[1] a été analysée par P.A. Taguieff et R. Wistrich. Pierre Lurçat rappelle, dans son livre Les Mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, que l’expression « Israël État d’apartheid » a été utilisée un nombre incalculable de fois et, à ce titre, elle s’est progressivement instillée dans l’inconscient des gens. Il analyse avec force détails la kermesse lexicale aparthéidique qui n’a pas cessé depuis le discours d’Ahmed Choukeiry à l’ONU en 1961[2].
On la retrouve dans le discours officiel du ministre des affaires étrangères, Yves Le Drian en mai 2021, lorsqu’Israël connaît une vague de pogroms sans précédent dans l’histoire de l’État juif. Tout cela est fort bien décrit, analysé et documenté par les spécialistes de l’antisémitisme comme Taguieff, Trigano, Sarfati, Bensoussan et tant d’autres.
Et pourtant, si on retient de ce terme le sème principal « ségrégation systématique d’une population », on découvre des faits fort intéressants qui ne correspondent pas à la doxa paresseuse véhiculée par de multiples réseaux antisémites et antisionistes.
L’application de ce terme à l’État d’Israël n’est jamais justifiée ni par l’explication des critères sur lesquels la ségrégation serait faite, ni par des références exactes à la loi, ni aux lieux où la ségrégation se pratiquerait. En Afrique du sud, c’était dans les bus, les théâtres, l’administration, le commerce ou les universités. Rien de tel en Israël, il suffit de venir voir de ses propres yeux.
Par exemple l’Université hébraïque de Jérusalem accepte tous les étudiants, notamment les ressortissants de l’Autonomie palestinienne. https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-hebrew-university-to-recognize-palestinian-authority-test-scores-1.5443610.
Les médias français occultent ces informations publiées, pourtant, par le quotidien israélien Haaretz, souvent cité par le Monde ou Libération, qui le présentent en France comme une source d’information fiable et non-partisane.
Dans ce document, assez cocasse, émis par des étudiants arabes des universités israéliennes, dont certains sont palestiniens, donc, selon les dires des médias et des politiciens anti-israéliens, victimes de l’apartheid, on peut lire :
“We are Arab students at the Israeli universities writing to you in support of the proposed academic boycott of Israeli academic institutions. We believe that the boycott is timely and hopefully will help in upholding moral values of fairness, justice and equality which have been sorely missed in our region.”
La présence des étudiants palestiniens dans les facultés israéliennes ainsi que leur liberté d’appeler au boycott universitaire des universités où ils étudient va à l’encontre de la thèse de la ségrégation ou de l’apartheid. En revanche, ce à quoi eux appellent est bien un apartheid universitaire, qui exclurait les chercheurs israéliens (lorsqu’ils sont juifs) des activités académiques.
D’ailleurs, la pratique de l’apartheid a bien ses racines géopolitiques au sein de la société sud-africaine. Le plus fervent promoteur de l’apartheid contre les juifs est un intellectuel sud-africain, Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université de Witwatersrand à Johannesburg et chercheur au Wits Institute for Social and Economic Research (WISER), lauréat du prix Ernst-Bloch en 2018. Il a initié l’exclusion des chercheurs israéliens d’un congrès international uniquement en vertu de leur appartenance nationale et ethnique[3]. Il s’agit d’un véritable apartheid académique. Ce qui n’empêche pas le président français, Emmanuel Macron, de solliciter cet individu en tant que conseiller pour le prochain sommet franco-africain.
Faute de place, je ne développerai pas ici les appels à l’apartheid académique contre les chercheurs israéliens, auquel œuvrent inlassablement des collègues universitaires « antisionistes » français. J’ai amorcé la description de ce sujet dans l’article sur l’antisionisme universitaire qui frôle l’apartheid[4].
Je préfère me concentrer sur ce qui se passe sur le terrain en Israël et chez les Arabes qui se disent palestiniens.
Commençons par l’entrée… des villages arabes judenrein. Je précise que les Arabes israéliens, étant citoyens israéliens, peuvent vivre où ils le souhaitent, étudier où ils le souhaitent, travailler où se trouvent les emplois, bref, peuvent se comporter comme tous les autres citoyens d’Israël. Mais les Israéliens juifs ne le peuvent pas. Lorsque l’on approche certains villages, on y découvre un panneau qui rappelle les temps anciens : Entry prohibited for Israeli Citizens. (Entrée interdite aux citoyens israéliens).
Ce panneau est d’une correction politique invisible à l’œil étranger. Si on s’installe à l’entrée de n’importe quelle ville dépendant de l’Autorité palestinienne, on peut voir y entrer un grand nombre de voitures portant des plaques israéliennes. Comment est-ce possible ? Violent-ils la loi ? Non. Parmi les citoyens israéliens il y a 20 % d’Arabes qui préfèrent fréquenter les Arabes plutôt que les juifs. C’est absolument leur droit. Souvent, ils se rendant dans ces villes et villages interdits aux « Israéliens », pour y trouver un époux ou une épouse ou pour tout autre commerce, licite ou pas. L’entrée ne leur en est pas interdite, elle ne l’est qu’aux Juifs. Les territoires palestiniens doivent être Judenrein, voilà qui est dit ! Rafraîchissons la mémoire, où et quand a-t-elle été écrit « Interdit aux Juifs ! »
Mais d’aucuns diront que je suis de mauvaise foi et que c’est la loi israélienne qui interdit à ses citoyens d’entrer. Oui, en effet, car les citoyens israéliens juifs (et non pas arabes) risquent leur vie en entrant sur ces territoires. Il ne s’agit pas d’une vue d’esprit mais d’une triste expérience de certains citoyens juifs qui y ont laissé leur vie. Alors, quel que soit l’angle par lequel on aborde ce panneau, les Juifs ne peuvent pas entrer, car ils représentent l’ennemi à abattre, l’Autre indésirable et haï pour ce qu’il est, parce qu’il est.
On trouve ce panneau non seulement sur les territoires qui sont sous la juridiction et sous le contrôle militaire de l’Autonomie Palestinienne, mais aussi à l’entrée des villes et villages qui se trouvent en zone B (sous la juridiction civile de l’Autonomie palestinienne et sous le contrôle militaire israélien) en Judée Samarie. Les Juifs ne sont plus autorisés à y entrer depuis la deuxième intifada. Dans ces villages situés dans la zone B, naguère l’échange entre les Juifs et les Arabes était possible. Les Juifs israéliens y allaient pour acheter des produits moins chers et pour réparer les voitures, comme c’était le cas il y a encore 15 ans, par exemple entre les habitants de Ma’ale Adumim (territoire C) et Azaria, le village à côté (territoire B). Mais un beau jour, deux juifs, clients habituels d’un garage du village, ont été retrouvés morts. Une semaine plus tard, un habitant de ce village qui travaillait à Ma’ale Adumim a poignardé un homme en plein jour. Pendant la guerre de 11 jours, en mai dernier, les habitants du village ont essayé de forcer le passage à Ma’ale Adumim avec les cris Allahu Akbar. Ils étaient arrêtés par l’armée. Deux jours plus tard, ils revenaient travailler à Ma’ale Adumim comme si de rien n’était. Les Juifs ne peuvent toujours pas entrer dans ce village, au risque d’y laisser leur vie. Le village judenrein.
L’apartheid en effet, est réel, du côté de l’Autonomie palestinienne. Comme l’a reconnu le leader actuel, Mahmoud Abbas, dans un entretien donné à Fox, au Caire, en juillet 2013: “In a final resolution, we would not see the presence of a single Israeli – civilian or soldier – on our lands.” (http://www.foxnews.com/opinion/2016/09/14/all-jews-out-palestine-is-not-peace-plan.html) (trad. Dans la résolution finale, il n’y aura aucune présence israélienne, civile ou militaire, sur notre territoire). En arabe, Abbas emploie indifféremment « juif » et « israélien ».
En Israël aucun panneau n’interdit l’entrée dans les villes israéliennes aux gens d’une autre culture, d’une autre religion ou d’une autre ethnie.
Manuels scolaires palestiniens
Pour toute haine dont l’apartheid est une expression concrète, il existe des explications multiples. L’une de celles qui contribue incontestablement à la haine des Juifs par les Arabes palestiniens est la propagande, qu’ils reçoivent dès le plus jeune âge. Des émissions télé, des dessins animés, des livres pour enfants sont traversés par les appels à la haine. La haine primitive devient plus sophistiquée et omniprésente à l’école. Le rapport sur les manuels palestiniens est sans concession à ce propos. Son analyse détaillée mérite, certainement, un dossier entier, je me contenterai ici de quelques exemples types.
Le rapport sur les manuels palestiniens a été publié par le Georg Eckert Institute for International Textbook Research en 2020[5]. Consultable sur le site de L’Institut.
Dans ces manuels, le nom de l’État d’Israël apparaît très rarement, en revanche l’expression « entité sioniste » ou « entité occupante » est prédominante. La carte de Palestine mandataire présentée aux élèves ne fait pas figurer Israël.
Sur cette carte de « Palestine », Israël n’existe pas, les villes israéliennes comme Tel-Aviv, Netanya ou encore Naharyia n’apparaissent pas. Il s’agit ainsi d’un phénomène idéologique, qui n’a rien à voir avec le problème territorial. C’est une extermination et un effacement symbolique d’un État, d’une culture et d’un peuple entier. Non seulement les Juifs sont déshumanisés et massifiés, mais ils sont également effacés, exclus de l’humanité présentée aux apprenants palestiniens. C’est une humanité sans juifs qui est l’idéal du manuel palestinien.
Les manuels d’histoire, de langue arabe, de géographie, de mathématiques contiennent tous une propagande anti-juive et des incitations permanentes à la violence. L’inversion sémantique, les glissements de sens, la dépersonnalisation et la déshumanisation des Juifs, qui ne figurent jamais comme personnes humaines, mais comme une masse indistincte : « entité occupante et sioniste » (al- iḥtilāl aṣ-ṣuhyūnī). Selon ce narratif, « l’entité » est cruelle, elle en veut particulièrement aux enfants qu’elle prive d’éducation, qu’elle humilie et dont elle viole les droits. L’absence de référence aux écoles fermées par « l’entité » est criante (aucune n’est citée), les enfants « torturés, assassinés et humiliés » ne sont jamais nommés, les circonstances de leur supposée détention ne sont jamais décrites. L’exercice proposé par ce manuel d’arabe consiste à enrichir le vocabulaire des apprenants en construisant le récit des sévices de « l’entité sioniste » avec des verbes contenant avec un sème « mise à mort ».
Le terme singularisant qui correspond à « l’entité » est le plus souvent « juif » ( يهودي , yahūdī), c’est la figure absolue de l’ennemi.
D’autres textes expliquent que « l’entité sioniste » a pour but de « désarabiser » et « désislamiser » la Palestine en pillant les sites archéologiques, en remplaçant les toponymes arabes par les toponymes juifs. En réalité, les toponymes arabes et les références islamiques ont été imposés par les colons arabes de Judée lors de la diffusion rapide de l’islam et des conquêtes arabes postérieures au VII siècle. Cette inversion historique n’est pas étonnante, elle est liée à la présentation des Juifs dans le Coran comme pervertisseurs de la parole divine et à la théologie de substitution chrétienne. Mais ce savoir n’est pas accessible aux jeunes Palestiniens qui sont nourris de mensonges et de nécessité d’en finir avec « l’entité sioniste » dès leur plus jeune âge
Les exemples de cette fabrique de la haine à tous les niveaux sont très nombreux. Ils permettent de comprendre la haine féroce et aveugle que vouent de nombreux jeunes Palestiniens aux Juifs et aux Israéliens indistinctement. Il est difficile de résister à la violence et à l’envie d’en finir avec les Juifs lorsque l’on reçoit une éducation comparable à celle reçue par la Hitlerjugend, la jeunesse hitlérienne, avec une solution finale à la clé, ici proposée par les propagandistes palestiniens.
Bibliographie
Taguieff, P. A. (2010), La nouvelle propagande antijuive, Paris : PUF.
Taguieff, P. A. (2018), Judéophobie. La dernière vague, Paris : Fayard.
Trigano, Sh.(2006), « La question juive du retour à Paul. La politique de l’Empire » in Controverses http://www.controverses.fr/articles/numero1/trigano11.htm,
Wistrich, R., (2006), The Left, The Jews and Israel, (Vidal Sassoon International Centre, 2012).
[1] Voir Trigano, Sh. http://www.controverses.fr/articles/numero1/trigano11.htm,
[2] Lurçat, P. (2021) Les mythes fondateurs de l’antisionisme contemporain, pp.91-103.
[3][3] https://wiser.wits.ac.za/content/statement-sarah-nuttall-and-achille-mbembe-%E2%80%9Crecognition-reparation-reconciliation%E2%80%9D
[4] https://frblogs.timesofisrael.com/lantisionisme-universitaire-en-europe/
[5] http://www.gei.de/en/departments/knowledge-in-transition/analysis-of-palestinian-textbooks-paltex.html