J’avais remarqué dans quelques textes[1] sur la crise israélienne, qu’il restait un pan obscur, rebelle aux explications rationnelles et sociologiques qu’on pouvait en donner. Le symptôme le plus fort était le côté délirant et abusif du discours qui accompagnait et accompagne toujours la « protestation ». Je pense notamment à l’évocation aberrante d’une menace de « dictature » qui planerait sur la « démocratie israélienne ». Je pense aussi à l’incitation à la guerre civile par des généraux à la retraite.
Comme je ne trouvais pas dans les faits de réalités confirmant cette « menace », je l’avais attribuée à un état de la psychologie collective. De récents faits nouveaux m’obligent à plus de précision, et à tenir compte également des erreurs politiques de certains membres de la coalition au pouvoir, notamment le caractère intempestif et massif de la proposition de loi sur la Réforme judiciaire, ou les expressions maladroites de députés de partis religieux, autant de dérapages qui ont nourri dans des esprits peu au faite des choses, la crainte de « la dictature » !
Un autre trait ne laissait pas d’inquiéter : l’absence d’un leadership responsable et reconnu comme tel, dirigeant et guidant la « protestation » au point de lui intimer un but, un ordre du jour, une modération si besoin était. Au contraire, on a pu avoir l’impression que les leaders improvisés qui haranguaient épisodiquement les foules étaient à la traîne des mots d’ordre émanant de la « protestation » (désormais la dénomination journalistique de ce mouvement), comme si celle-ci avait été un mouvement spontané surgi de la masse des citoyens, ce qui devait authentifier la crédibilité de ses demandes. Ces leaders se livrèrent au contraire à une surenchère de la radicalité, appelant à la guerre civile, à la rebellion, à la lutte armée…
Et pourtant au fur et à mesure de la répétition de la manifestation du samedi soir, il apparaissait que son déploiement n’était pas erratique mais construit et programmatique, organisé de main de maitre pour gérer de telles foules sur un long terme. De même, les happenings qui au fur et à mesure remplaçaient les slogans usés ne pouvaient pas avoir été improvisés. Qui donc les concevait et les promouvaient ?
On commença à chercher le pourquoi du comment. Qui donc avait construit un tel scénario ? De même, manifestement des sommes d’argent très importantes nourrissaient ces manifestations. Qui avait payé pour cette masse de drapeaux, brandis comme pour cacher le véritable enjeu, antidémocratique et antinational de la protestation ? Qui a payé, paie, actuellement même, la campagne d’affichage municipal gigantesque qui couvre les rues des villes et des autoroutes, accusant la coalition des pires actes et désignant à la vindicte publique des députés et des ministres représentés comme des brigands ? Derrière cette campagne, combien de cabinets publicitaires ont-ils été enrôlés ? Qui paie ? Qui décide des mots d’ordre ?
On a évoqué le financement américain. Un article fort éclairant paru dans le magazine juif américain Tablet apporta des preuves d’un financement américain au sommet. On a évoqué aussi le milliardaire Soros, les habituelles ONG des « droits de l’homme»… C’est bien ce ce que donnaient à comprendre les slogans de la « protestation » en appelant à l’intervention de puissances occidentales pour sauver les Israéliens du fascisme.
En un mot, tout nous disait qu’il y avait une direction à ce mouvement, dotée d’un budget considérable, et d’un projet politique, qui n’était pas apparente et qui construisait de toutes pièces un « mouvement » social, une manipulation idéologique des masses, en les inscrivant dans une série de happenings destinés à nourrir le théâtre de semaine en semaine : d’abord les HighTéchistes, puis les banquiers, puis les agences de notation, puis les réservistes, puis les pilotes, puis les religieux, puis les députés du Likoud et que sais-je encore, chaque jour une scène de théatre nouvelle s’est ouverte dans un scénario qui devait montrer le démembrement pièce à pièce de l’Etat, du peuple juif, du sionisme, avec des appels de pied lancés à l’ennemi par ci par là, et l’appel au secours des Etats-Unis et de l’Europe.
Il ne faut pas négliger une pièce capitale de ce système de manipulation des foules : la complicité totale des médias qui dmirent en forme le leurre de l’enjeu qui serait la réforme judiciaire reconstruite dans le langage journalistique comme « coup d’Etat de régime » (en hébreu « hafikha mishtarite »), « renversement de régime ».
Aujourd’hui, nous savons désormais quelle est la source de ce grand théâtre aux scènes multiples. C’est un de ses fondateurs et principaux animateurs, un avocat connu, Gilead Scher, un proche d’Ehud Barak qui en a révélé l’origine dans le pod-cast d’Amir Oren[2]. C’est autour de lui que la première réunion des instigateurs de la « protestation » [3] a eu lieu, deux semaines donc avant la formation du gouvernement sorti des urnes C’est-à-dire trois semaines avant la proposition de loi sur la Réforme judiciaire présentée par le nouveau ministre de la justice Yariv Levin. La « protestation » était donc en marche avant même que la proposition de loi n’en ait été formulée !
Selon les dires de Gilead Scher, les sondages privés montraient que Natanyahou serait élu. Il fallait, pour ce groupe, se préparer à faire obstacle à cette élection qui n’annoncerait rien de bon sinon l’avènement d’un « gouvernement de l’«obscurité». Il fallait réunir des forces et lever des fonds importants. Ce soir, le lundi 5 juin où j’écris ces lignes, nous apprenons qu’il y a un million cent mille shekels à dépenser. Ces personnalités sont, semble-t-il, proches du milieu du général à la retraite Ehud Barak dont les discours violents et radicaux, l’appel à la guerre civile ont été remarqués.
Du calendrier de ce groupe de personnalités, il découle donc que le principe même de ce que l’on appela plus tard sous une forme trompeuse « la protestation » a précède l’objet déclaré de cette dernière à savoir : le danger de dictature et de totalitarisme que ferait peser sur Israël la réforme judiciaire projetée. La critique de cette dernière était donc un leurre pour tromper la galerie, agiter la foule sur la base de dangers autant irréels que terrifiants, accrédités par certains hommes politiques, des généraux, des gens d’autorité, de surcroît à la retraite, qui devaient donner le change et affoler les Israéliens moyens.
La manipulation de l’opinion visait à cacher sous le voile vertueux de la démocratie en danger un refus de reconnaître le verdict des urnes et le projet de mettre hors-jeu le Parlement démocratique et d’empêcher le pouvoir légalement élu de prendre en mains les affaires. La réunion de la coalition au pouvoir et de l’opposition chez le président de l’Etat, en vue d’un compromis, illustre clairement ce contournement du parlement et de la majorité des électeurs. Il prenait en otage le gouvernement nouvellement élu en agitant la rue et en l’accusant de fascisme et de totalitarisme…
A quelles fins ultimes ? Si je me réfère à l’histoire de l’élite de pouvoir israélienne, le but est toujours le même depuis Ben Gourion et le pouvoir travailliste des origines : récuser et délégimiter la droite israélienne et marginaliser le poids des électeurs d’origine sépharade, majoritaires, « soupçonnés » d’être à droite et proches du traditionalisme religieux, tenir à distance les secteurs religieux, et surtout conserver leur influence à toutes les élites qui se sont relayées au pouvoir depuis l’Etat travailliste, alors que ces élites ne représentent plus la majorité électorale, le tout enveloppé dans un emballage distingué et « démocratique », quitte à se mettre sous la tutelle (imaginaire) d’un Occident imaginaire, mâtiné aujourd’hui de post-modernisme.
Le vecteur de cette évolution a bien été la chasse à l’homme de plusieurs années menée contre Natanyahou, à l’occasion de multiples procès taillés sur mesure contre lui et qui plus ils avancent, plus ils dévoilent leurs irrégularités, leurs mensonges, le dévoiement du droit, de la police, du pouvoir judiciaire : un procès dont les médias ont fait une histoire à épisode, diffuse chaque soir depuis des années comme un feuilleton sur les écrans de télévision, montrant la collusion du pouvoir judiciaire et de police. C’est l’origine de la haine gratuite qui a rongé du dedans le peuple israélien, des hommes politiques jaloux de Natanyahou et qui a vu le pouvoir judiciaire prendre en otage le système politique au fil d’une élection presque tous les ans.
Quel peut être l’avenir de ce mouvement qui est, semble-t-il, à bout de souffle ? Sa seule action aujourd’hui est la violence, battre, invectiver des passants orthodoxes dans la rue, harceler les députés de la coalition au pouvoir, dégrader toute cérémonie publique, travailler contre Israël à l’étranger. Il ne leur reste plus qu’à se joindre au BDS palestinien.
Les spécialistes de sécurité sont inquiets : risque-t-on le meurtre de personnalités ? Il y a une telle violence et un tel délire ! On voit apparaître sur la scène une catégorie d’Israéliens inconnus auparavant qui sont les vrais animateurs de la guerre civile : Crime Minister, Akhim la neshek ! (« Frères d’armes » en français : tout un programme). Pour les avoir vus à la TV, je dirais même qu’ils ont l’air inquiétant. Ils portent le rictus du nihilisme. On sent les anarchistes, les Black Blocks[4], une mouvance qu’on n‘a pas encore vraiment vue en Israël alors qu’on la retrouve dans plusieurs pays européens où ils ne se manifestent que pour détruire, pleins d’un ressentiment social violent. Israël semble ne pas échapper à un tel phénomène…
Le peuple juif se tient à un carrefour de son destin. La majorité silencieuse doit se ressaisir. Et il n’y a aucune fatalité !
[1] Quatre articles parus sur Tribune juive et que l’on trouve aussi sur Menora.fr
« La crise israélienne » (30 janvier) « Que se passe-t-il en Israël ? Un putsch « démocratique » ? (1er Février), « Les israélites israéliens… » (13 février) « Démocratie ou théocratie judicaire ? » (16 février)
[2] Afarkasete Amir Oren avec Gilad Scher, le 28 mai à 11h 35
https://rotter.net/forum/scoops1/797464.shtml
[3] Tout d’abord Guilead Scher, Yossi Kutshik, Dany Halouts,le milliardaire Orni Petroushka. Puis deux semaines après Edna Zilber, Shikma Bresler, Ilan Shiloakh Amos Malka, Yehuda Adar pour la logistique qui nomma Eran Schwartz pour la mise en pratique (directeur du « QG de la lutte »), Eyal Navé ,en charge( !) de la protestation des réservistes), Mital Levi Tal ( QG du HighTech)
[4] Le terme désigne un mouvement radical et violent né à Berlin dans les années 1980 dans les milieux anarchistes et autonomistes. De noir vêtus et cagoulés, ils se confrontant à la police lors de manifestations publiques.