La religion civile d’Israël s’articule autour d’une valeur centrale : Israël est un Etat juif. Or, tous les Israéliens n’y adhèrent pas.
Un Etat de type moral et doté d’un régime démocratique peut définir le système de symboles qui doit rassembler ses citoyens autour de valeurs et d’un projet communs. Ce qu’il ne peut pas en revanche, c’est imposer ce système par la coercition. En se définissant comme Etat juif et démocratique, Israël ne parvient pas à intégrer deux catégories de population : ceux qui ne font pas partie de la nation juive et ceux qui ne peuvent accepter qu’une souveraineté humaine juive remplace le divin.
Les Arabes israéliens
L’Etat d’Israël avait tout d’abord tenté avec la population arabe une approche assimilationniste, principalement au moyen de l’éducation, délivrée en arabe mais chargée de références culturelles juives et israéliennes. Aussi longtemps que la doctrine sioniste demeurait laïque, le système a partiellement fonctionné. Il a commencé à se déliter quand la tradition juive a gagné en influence dans la formation de l’identité israélienne. Aujourd’hui, les Arabes citoyens israéliens se définissent majoritairement comme tels, mais rejettent aussi majoritairement toute identification au caractère national juif de l’Etat comme à l’essence du projet sioniste. Ils acceptent la réalité de l’Etat, mais ne se reconnaissent pas dans ses symboles, trop marqués à leur goût par la dimension juive. Ils ne s’identifient ni à l’hymne national qui exprime l’aspiration du peuple juif à retrouver sa terre, ni aux journées de deuil collectif qui commémorent les morts des guerres d’Israël, ou les victimes de la Shoah. Selon une enquête publiée en mai 2019 par le Jewish People Policy Institute, 91% des Israéliens non-juifs interrogés se sont déclarés opposés à la formule : « pour être un vrai Israélien, il faut être juif », un avis en revanche soutenu par 75% des sondés juifs. Ce qui n’empêche pas 85% des Israéliens non-juifs de se déclarer à l’aise dans leur identité en Israël.
Les Israéliens juifs ultra-orthodoxes
A l’inverse, la société harédite se démarque des composantes et des fondations laïques de l’identité israélienne. Si leur rapport à l’Etat a évolué au cours de ses sept décennies d’existence, ni les ultra-orthodoxes ni leurs dirigeants ne sont encore disposés à admettre publiquement la réalité du sionisme. Lors de l’indépendance, les dirigeants harédim étaient partagés sur l’avènement de la souveraineté politique d’Israël, certains acceptant l’idée d’un certain pragmatisme pour défendre les intérêts de leur communauté, tandis que d’autres y voyaient l’accomplissement d’une prophétie de catastrophe.
Au cours des dernières années cependant, le courant ultra-orthodoxe tend à atténuer son hostilité et sa défiance à l’égard de l’Etat (voir le dossier Menora consacrée à la société ultra-orthodoxe). Il n’en demeure pas moins que les harédim dans leur grande majorité ne se reconnaissent pas dans les symboles de l’Etat d’Israël et qu’ils ne célèbrent pas la fête de l’indépendance, ni n’accordent de caractère particulier à la journée du souvenir des morts dans les guerres d’Israël. Les manifestations de la religion civile demeurent pour eux largement incompatibles avec leur système de valeurs, figé d’abord sur un rejet de la modernité.