Israël a été fondé en tant qu’État juif, mais il doit accueillir avec bienveillance les non-Juifs qui expriment leur volonté sincère d’être des citoyens respectueux de la loi, en contribuant à la société et en professant des opinions modérées.
La question des Arabes citoyens israéliens est une question compliquée, en raison du caractère composite de cette population d’une part, et de la situation géopolitique dans laquelle elle se trouve d’autre part.
Cette population – qui représente près du cinquième des citoyens de l’État d’Israël – inclut des fidèles de cinq religions différentes : musulmans, chrétiens, druzes, alaouites et ahmadis, et ce en sus des deux autres religions existant en Israël, les samaritains et les bahaïs.
Du point de vue culturel, on peut distinguer trois groupes principaux, qui diffèrent par leur mode de vie et par leurs caractéristiques sociologiques : les bédouins, les fellahs et les habitants des villes.
Du point de vue de leur rapport à l’État, il est important de rappeler que les druzes, ainsi qu’une partie des chrétiens et des musulmans (principalement bédouins), servent dans les rangs de Tsahal et qu’ils prennent ainsi clairement position sur la question de la manière dont ils envisagent l’État d’Israël.
La question de l’identité
Dans le contexte de ces subdivisions du “secteur arabe”, la question qui se pose en premier lieu est celle de l’identité : certains parmi eux se définissent comme Arabes, et comme faisant partie intégrante de la nation arabe, indépendamment de leur appartenance religieuse ou culturelle. De leur point de vue, un musulman, un chrétien et un druze sont égaux, et ils sont frères d’armes dans le combat contre le “colonialisme”, qui se déroule au sein de la patrie arabe.
Cette conception a été défendue par Azmi Bishara, et par les membres du parti Balad qu’il a créé. Selon eux, Israël n’a pas droit à l’existence en tant qu’État juif et démocratique, et il doit impérativement devenir un État de tous ses citoyens, et permettre à tous ceux qui se disent réfugiés palestiniens, ou descendants de ceux-ci, de s’y installer en tant que citoyens.
Contrairement à cette définition “arabe”, la plupart des Arabes citoyens d’Israël se définissent aujourd’hui comme des “Palestiniens” citoyens d’Israël. L’autodétermination palestinienne est la conséquence de la première Intifada (1987-1992), qui a donné aux Palestiniens une reconnaissance arabe et internationale en tant que peuple distinct, luttant avec honneur pour ses droits, sa libération et sa terre.
Le chaos régnant au sein du monde arabe depuis la fin de l’année 2010, qu’on a d’abord désigné comme le “printemps arabe”, et qui s’est transformé en un terrible bain de sang, éloigne de nombreux Arabes citoyens d’Israël de toute identification avec le monde arabe, en proie aux conflits internes et à la violence, et renforce leur identification palestinienne particulariste.
L’Autorité palestinienne, sous la direction d’Arafat, a tenté de fixer l’ordre du jour des Arabes en Israël, mais ceux-ci, dans leur immense majorité, ont rejeté avec vigueur cette tentative, en dépit de leur identification émotionnelle avec les Palestiniens habitants de la Judée-Samarie et de Gaza.
Les autres citoyens arabes d’Israël mettent surtout en avant leur appartenance à l’islam et à la Oumma islamique, dirigée aujourd’hui par la Turquie et par son président, Recep Tayyip Erdogan. Ils considèrent l’État d’Israël comme un problème religieux, car de leur point de vue, l’islam est venu remplacer le judaïsme et le christianisme, et s’approprier tout ce qui était jadis juif ou chrétien.
Du point de vue islamiste, les Juifs n’ont pas le droit à un État, à une armée, à une police ou à la souveraineté, car ils sont – tout comme les chrétiens – obligés de vivre sous la protection de l’islam en tant que “protégés” (“ah’l dhimma”), selon les règles que l’islam a fixées et en jouissant uniquement de droits restreints.
Selon la conception islamiste, l’islam surpasse les autres religions et par conséquent, les chrétiens, les druzes et toutes les autres religions ont l’obligation de vivre pacifiquement, sous l’égide de l’islam. Il est important de préciser qu’Israël abrite aussi une minorité de musulmans soufis, qui ne partagent pas cette vision et ne mêlent pas les conceptions politiques et nationales à leurs croyances religieuses.
Les bédouins et les musulmans qui servent dans les rangs de Tsahal sont eux aussi à mille lieues de la conception islamiste, qui est prônée par le mouvement islamique, branche israélienne de la mouvance internationale des Frères musulmans. Ce mouvement a été créé à la fin des années 1960 par le cheikh Abdallah Nimar Darwish, habitant de Kfar Qassem.
Le réseau clandestin du nord
Le mouvement islamiste en Israël est divisé depuis 1996 en deux branches : la branche dénommée “nordiste”, car ses dirigeants vivent dans le nord d’Israël, et la branche “sudiste”, dont les dirigeants habitent au sud. La branche nordiste adopte des positions dogmatiques et extrémistes, selon lesquelles il est interdit aux musulmans de prendre part à la vie politique de l’État d’Israël, car une telle participation équivaudrait à reconnaître l’Etat et son droit à l’existence.
C’est pourquoi elle n’est pas représentée à la Knesset et appelle ses membres – de manière explicite ou implicite – à ne pas prendre part aux élections à la Knesset. Elle est dirigée par le cheikh Raed Salah d’Umm al-Fahm, et par Kamel Hatib de Kfar Kana.
Salah a été reconnu coupable d’une longue série d’infractions, dont le transfert de fonds au bénéfice du mouvement frère, le Hamas, et il a séjourné à plusieurs reprises dans les prisons israéliennes. Treize organisations constituant la colonne vertébrale de cette branche ont été déclarées hors la loi en 2015, et leur activité a été interdite. On soupçonne toutefois que certaines de leurs activités se poursuivent aujourd’hui dans la clandestinité.
La branche sudiste est dirigée par le cheikh Hamed Abou-Dabes, qui habite à
Rahat, et elle était auparavant dirigée par le cheikh Ibrahim Tsartsour de Kfar
Kassem et par le cheikh Kamel Rian de Kafr Bara. La branche sudiste considère
également que l’État d’Israël n’est pas légitime, mais en l’absence
d’alternative, elle participe au jeu politique israélien, convaincue que les
musulmans doivent user, dans toute la mesure du possible, de leur influence sur
le système politique israélien, avec les outils dont ils disposent. Ses membres
participent aux élections et sont élus à la Knesset.
De la mobilisation au terrorisme
Il est important de souligner que la majorité des musulmans citoyens d’Israël ne se considèrent pas comme membres du mouvement islamique, et la preuve en est que ce mouvement n’a jamais réussi à devenir un mouvement de masse.
La plupart des musulmans citoyens d’Israël vivent leur vie privée, familiale, publique et politique dans une perspective réaliste de la réalité changeante, en aspirant à améliorer leur statut personnel et communautaire au sein de l’État démocratique d’Israël, et sans remettre en cause son existence. Seule une petite minorité d’entre eux souhaitent vivre dans un État arabe, notamment au vu des événements survenus ces dernières années dans les États arabes.
Ajoutons qu’un nombre grandissant d’Arabes israéliens s’identifient à l’État et se considèrent comme Israéliens à tous égards et comme faisant partie intégrante de l’État.
A leur tête se trouve le groupe druze, dont les jeunes servent dans l’armée, aux côtés des soldats juifs, et dont le taux d’engagement dans les unités combattantes est le plus élevé parmi tous les groupes religieux et ethniques en Israël. Les jeunes filles druzes sont exemptées de service militaire, mais certaines d’entre elles se portent volontaires au sein de Tsahal tandis que d’autres, plus nombreuses, choisissent d’effectuer un service civil, comme des milliers de jeunes musulmans.
Dernièrement est apparu un groupe de chrétiens se définissant comme Araméens,
qui servent eux aussi avec dévouement dans les rangs de Tsahal. Les bédouins –
qui sont de religion musulmane – servent également dans Tsahal, et il existe même des musulmans
non bédouins qui servent dans l’armée comme volontaires, en dépit de
l’incitation et des menaces dont ils font l’objet, conscients que c’est leur
devoir de protéger l’État dans lequel ils vivent.
Malgré cela, il ne faut pas oublier que le secteur arabe est aussi caractérisé par un taux de criminalité élevé et que plusieurs de ses membres ont commis des attentats contre les Juifs. Parmi ces derniers, certains ont apporté leur aide à des terroristes durant la Deuxième Intifada (2000-2003), mus par une idéologie ouvertement antisioniste, anti-israélienne et antijuive.
D’autres ont financé des organisations terroristes, telles que le Hamas et le Djihad islamique palestinien, et certains se sont identifiés aux actes de terrorisme dirigés contre le public juif et contre l’État d’Israël. Ainsi, la vague d’incendies terroristes déclenchée par les Palestiniens en Judée Samarie a atteint également le territoire israélien, lorsque des Arabes citoyens d’Israël ont suivi leurs traces et imité leurs actes. Une partie importante des députés arabes adoptent également des positions radicales, qui ne représentent pas toujours celles du public arabe dans son ensemble.
Loyauté réciproque
Au vu de ce qui précède, l’image qui ressort des citoyens arabes de l’État d’Israël est complexe et composite. La question de l’identification (arabes / musulmans / palestiniens / israéliens) est compliquée, car tous sont citoyens de l’État d’Israël et bénéficient de droits civiques et jouissent d’une existence au sein d’un État moderne et prospère. Leur identité ne reflète cependant pas toujours leur statut officiel.
Dans les périodes d’accalmie, lorsqu’Israël et ses voisins arabes en Judée-Samarie et à Gaza connaissent des conditions de vie raisonnables, l’atmosphère régnant au sein des Arabes citoyens d’Israël est calme elle aussi. Mais lorsque des attentats terroristes enflamment l’atmosphère et que les médias sont remplis des photos de victimes et de blessés, la tension entre Israël et ses citoyens arabes s’accroît.
Certains en Israël voyaient autrefois les citoyens arabes d’Israël comme une
passerelle en direction du monde arabe, mais ce rêve ne s’est pas réalisé. En
effet, pendant la plus grande partie de l’existence de l’État, le monde arabe a
considéré les “Arabes de 1948” comme des traîtres à la nation arabe, et comme
des collaborateurs des sionistes, qui ne se sont pas révoltés contre Israël.
D’autres les ont qualifiés “d’Arabes de luxe” : à savoir des Arabes qui vivent
dans un État prospère, démocratique et tranquille, en bénéficiant de ses
services et en s’identifiant à lui. Ces dernières années, le monde arabe
reconnaît que ces Arabes vivent dans l’État d’Israël à contrecœur, et il fait
preuve d’une plus grande ouverture à leur égard.
L’État d’Israël a été fondé en tant qu’État juif, mais il doit accueillir avec bienveillance les non-Juifs qui expriment leur volonté sincère d’être des citoyens respectueux de la loi, en contribuant à la société et en professant des opinions modérées.
L’État, de son côté, doit se montrer loyal envers ses citoyens arabes, car son hymne national (“l’âme juive vibrera”) n’exprime pas leurs désirs, et son drapeau frappé de l’étoile de David ne fait pas exulter leur âme. Mon intention n’est pas ici de dire qu’Israël devrait modifier son hymne national et son drapeau. Mais, pour tout ce qui concerne les allocations publiques, l’égalité doit être la règle : budgets, développement, routes, emploi, zones industrielles, construction, infrastructures civiles et intégration économique – dans tous ces domaines, l’écart entre citoyens israéliens juifs et arabes doit être résorbé. La loyauté réciproque doit constituer le fondement du rapport entre l’État et ses citoyens arabes respectueux de la loi et de l’ordre public.
- Traduction de l’article original en hébreu publié le 03/07/2018 sur le site Mida. Traduction de Pierre Lurcat.