La libéralisation du système d’intégration et la masse démographique des olim de Russie ont entrainé une intégration différente de celles des autres groupes. Parce que c’est une société entière qui s’est déplacée, elle a eu les moyens d’exiger et de créer ses propres structures.
Selon la journaliste israélienne Lily Galili, co-auteur avec Roman Bronfman d’un ouvrage sur l’alyah russe, « Le million qui a changé le Proche-Orient », paru en 2013, le phénomène s’explique aussi par le fait que les Russes ne recherchaient pas à s’intégrer, mais à améliorer le modèle existant. « C’est une autre conception de l’immigration, qui saute l’étape de l’intégration pour aller directement à celle du leadership » explique-t-elle.
Des médias sur mesure
Les olim russes ont rapidement créé leurs propres médias en langue russe. La presse russophone israélienne comprend le quotidien « Vesti » fondé en 1992 par le groupe de presse israélien Yediot Aharonot et qui en est toujours propriétaire, quatre hebdomadaires appartenant au groupe Novosti Nidiali d’Eli Azor, plusieurs stations de radio locales, des sites internet et même, depuis 2002, une chaine de télévision, Channel 9, aujourd’hui propriété de l’oligarque ukrainien Alexander Levin.
Continuité artistique
L’expression artistique, qui fait partie intégrante de l’éducation et de la culture russes, a également investi l’espace israélien. L’initiative la plus emblématique est celle du théâtre Gesher, fondé en 1991, par deux anciens directeurs de théâtre d’URSS. Installé à Jaffa, le théâtre a bénéficié de subventions publiques, car l’Etat y voyait le moyen d’intégrer les artistes nouveaux immigrants. Mais Gesher s’est rapidement développé comme une compagnie théâtrale d’envergure nationale. Elle crée ses propres productions et sa troupe est composée d’acteurs d’origine russe, mais aussi d’Israéliens nés dans le pays.
Les arts plastiques comptent aussi de nombreux artistes d’origine russe. Certains parviennent à la reconnaissance muséale, tels que Zoya Cherkassky à qui le Musée d’Israël avait consacré une exposition en 2018. La peintre, immigrée d’Ukraine en 1991, y présentait son expérience personnelle de l’alyah à travers des toiles de style naïf, qui représentaient parfois avec humour, parfois avec violence, sa découverte de la société israélienne.
L’excellence dans le sport
Avec l’alyah russe, Israël a aussi accédé aux marches des podiums internationaux et olympiques dans différentes disciplines sportives, telles que l’athlétisme ou la gymnastique. Ce sont d’abord les sportifs russes, mais aussi les entraineurs russes, qui ont apporté des médailles. Le premier d’entre eux avait été le perchiste Alex Averbuch, deux fois champion d’Europe et vice-champion du monde entre 2001 et 2006.
Joyeux Novi God !
Contrairement aux autres vagues d’immigration qu’Israël avait connues jusque-là, les Russes, par leur nombre et leur culture, ont voulu et pu dans une certaine mesure imposer leur mode de vie.
Les olim russes ont préservé non seulement leur langue, mais aussi leurs habitudes de vie. Les règles alimentaires de cacherout ou de respect du Shabbat ne s’accommodaient pas de l’environnement areligieux qu’ils avaient connu dans leur pays d’origine. Ils ont donc rapidement importé des produits alimentaires qui correspondaient à leurs habitudes culinaires. Les villes à forte population russe ont vu apparaitre des commerces spécialisés dans l’importation de viande, de produits laitiers ou de pâtisseries non cachères.
Les immigrants de l’ex-Union Soviétique ont également ajouté une célébration sur le calendrier laïc israélien : Novi God. Parfois associée à tort avec la fête de Noël, il s’agit en fait de celle du Nouvel An. Durant les premières années de leur immigration, les olim avaient gardé un profil bas. Mais rapidement, ils ont renoué avec la tradition des sapins illuminés et du festin qui accompagne le passage à la nouvelle année dans la nuit du 31 décembre. Ils se défendent d’ailleurs de tout rapport à la tradition chrétienne, expliquant qu’en URSS, elle n’avait pas plus droit de cité que toute autre manifestation à caractère religieux. Mais Novi God avait pour particularité d’être la seule célébration réservée à l’espace privé, dans le cadre de la famille. C’était donc une occasion de se réjouir dans un espace libre du contrôle de l’Etat. Aujourd’hui Novi God est toujours célébré quasi-uniquement par les olim russes. Mais ils sont nombreux à espérer que la célébration sera intégrée par la culture israélienne, sur le modèle de la Mimouna des Juifs du Maroc, qui marque la fin de la semaine de Pessah.
Certains jeunes Israéliens d’origine russe ont aussi entrepris de renouer avec la culture de leurs parents. La fascination d’un monde qu’ils n’ont que peu ou pas connu, se manifeste par des initiatives associatives d’études de la culture russe ou de créations originales en langue russe ou en hébreu, pour raconter leur expérience d’enfance immigrée, le choc du premier contact qui les a fait effacer leurs origines pour mieux se faire accepter, avant de les revendiquer à nouveau, comme une forme de contre-culture. Un film, mi documentaire, mi fiction, « Ici et maintenant », réalisé par le cinéaste israélien d’origine russe Roman Shomonov, sorti cet automne, met en scène des acteurs amateurs, tous issus du « ghetto russe » d’Ashdod. Revenus dans le quartier de leur enfance, ils jouent de jeunes paumés, coincés entre violence mafieuse et rap en russe, qui leur sert d’exutoire. Si les acteurs ont réussi à s’en sortir, ils se reconnaissent pourtant dans leurs personnages, dont le trait caricaturé traduit une certaine réalité.