Pour Julia Elad-Strenger, maître de conférences au département de sciences politiques de l’Université Bar-Ilan, c’est la perception de la définition de la gauche qui fausse le débat politique israélien.
Propos recueillis par Pascale Zonszain
Menora.info : Comment s’explique le recul constant des partis de la gauche israélienne ?
Julia Elad-Strenger : Cette tendance, qui touche particulièrement le parti Travailliste ne date pas d’aujourd’hui. Et ce n’est pas un phénomène propre à Israël. On constate dans tout le monde occidental que le soutien aux grands partis de gauche, comme par exemple le SPD en Allemagne, se réduit au profit de petits partis de segment, perçus comme des partis anti-establishment. Il serait plus juste de se demander comment, dans ce contexte, le Likoud parvient à préserver ses forces. Ce phénomène est mondial et il est lié en partie à la montée du populisme. Pour revenir à Israël, le bloc de gauche est resté remarquablement stable au cours des derniers scrutins. Car en Israël, la gauche est minoritaire. Elle a toujours été une minorité. Et si dans le passé, un parti comme le Mapaï était considéré de gauche, il ne correspond plus à la définition de la gauche aujourd’hui. Le Mapaï des débuts de l’Etat était un parti faucon, beaucoup plus que ne l’est la gauche actuelle. Ce n’est donc pas qu’il y a moins de gauche en Israël, c’est que la définition de la gauche a changé. La carte politique a changé. Et si l’on ajoute à cela la délégitimation de la gauche dans le débat israélien d’aujourd’hui, en grande partie du fait des politiciens, alors on voit que de moins en moins de gens sont disposés à se définir comme de gauche. Donc, quand le centre est apparu sur la carte politique moderne, même si des partis centristes avaient déjà existé auparavant, cela a fourni une option à ceux qui ne partageaient pas les positions de la droite, sans avoir à se définir de gauche.
Pourtant, on ne peut pas classer un parti comme celui de Yaïr Lapid au centre-gauche. Il reste plus proche d’une droite libérale.
Les concepts libéral ou conservateur ne fonctionnent pas dans l’opinion israélienne comme critères de définition politique. Ils lui sont étrangers. Dans d’autres pays, on définira son positionnement politique par rapport à l’économie ou aux questions sociales. En Israël, la ligne de clivage gauche-droite reste encore le conflit israélo-palestinien.
Mais le conflit israélo-palestinien a disparu du débat, ce n’est plus un enjeu de campagne.
C’est vrai. Pourtant, si l’on examine l’option de séparation d’avec les Palestiniens – ce que soutient Yaïr Lapid – plutôt que de parler de paix ou d’accord définitif, c’est une façon de faire absorber plus facilement aux Israéliens des positions en faveur de la paix. Lapid est certainement beaucoup plus nationaliste que Merav Michaeli du parti Travailliste ou Nitsan Horowitz du Meretz, c’est certain. Mais du point de vue du concept, il n’y a pas de différence dans ce que Lapid propose à ses électeurs. C’est seulement une question de terminologie. Il n’y a aucune différence entre lui et le parti Travailliste.
Est-il possible dans ce cas, que le parti Travailliste disparaisse totalement du paysage politique israélien ?
Oui, absolument ! La génération du Mapaï historique vieillit et commence à disparaitre. Et le climat politique aujourd’hui en occident est aux partis anti-establishment. En Israël, où l’on assiste à l’émergence constante de nouveaux partis, dont l’objectif prioritaire est d’évincer Netanyahou du pouvoir, cela accélère encore le processus. Je pense donc qu’on ne peut exclure une disparition du parti Travailliste, même s’il faut le déplorer.
Vous avez souligné que la gauche d’aujourd’hui n’est plus celle des premières décennies d’Israël. Estimez-vous toutefois que l’on puisse assister à une renaissance de la gauche sioniste ? Et quelle direction doit-elle prendre ?
D’abord, comme je l’ai dit, il ne faut pas négliger le facteur démographique. La possibilité de voir la gauche revenir au pouvoir me parait faible, car la gauche est une minorité en Israël. Et la gauche ne le comprend pas. Cette gauche identitaire ne représente pas plus de 12% de l’électorat. Ce n’est pas assez pour former un gouvernement. Ce que l’on peut envisager en revanche, c’est un gouvernement qui serait étatiste, démocratique, libéral et qui apporterait à la gauche une partie de ce qu’elle attend du point de vue de ses valeurs, mais pas du point de vue identitaire. Car la gauche est minoritaire. C’est ce qu’elle ne parvient toujours pas à assimiler. La gauche vit sur l’impression qu’elle a été au pouvoir. C’est une illusion. La gauche, telle qu’on l’entend aujourd’hui, n’a jamais été au pouvoir en Israël.
Qu’entendez-vous par « gauche identitaire » ?
Je pense à la partie de l’opinion dont les valeurs vont vers le rejet du nationalisme et qui lui préfère des valeurs universalistes, de droits humains, ou en tout cas qui les dose d’une manière différente de celle de la droite.
Est-ce que cela signifie « post-sionisme » ?
Je n’aime pas ce concept. Personne ne détient l’exclusivité des droits sur la définition du sionisme. A partir du moment où l’Etat d’Israël existe, on est déjà entré dans l’ère post-sioniste. Car la question du droit à l’existence de l’Etat d’Israël ne se pose plus. Celui qui s’oppose à l’existence de l’Etat d’Israël est antisioniste. Tout le reste est post-sioniste. A mon avis, parler de post-sionisme comme d’une trahison, c’est une rhétorique vide de sens.