Dans cette campagne confuse qui s’achève pour les élections à la 24e Knesset, les deux partis de la gauche israélienne luttent pour leur survie. Un long cheminement pour le mouvement qui a porté la renaissance politique d’Israël.
L’institut pour la Démocratie en Israël avait publié en 2019 une étude sur la façon dont le public israélien perçoit, selon son propre positionnement, les trois grands camps politiques – droite, centre et gauche. La gauche était perçue – à 44% – par les Israéliens de gauche comme se caractérisant par l’égalité, la démocratie, le libéralisme et la justice. Pour les centristes – à 35% -, la gauche se caractérise par l’absence de leadership et la division, tandis que les Israéliens de droite – à 55% -, attribuent à la gauche la détestation de toutes les autres catégories, des religieux, de l’Etat, la division et l’incitation à la haine, loin devant le contenu politique et la doctrine de la gauche – 25%.
Le socialisme originel
Cette vision tranchée de la gauche israélienne reflète assez fidèlement les étapes de son parcours durant les trois dernières décennies. On est très loin des origines du sionisme socialiste et de son rôle capital dans la construction de l’Etat. Le modèle social-démocrate et étatiste de Ben Gourion a pourtant permis l’édification des institutions, d’une politique sociale d’Etat-providence, du peuplement juif et de la défense du pays comme priorité absolue. Malgré son opposition au sionisme révisionniste, Ben Gourion a su également pratiquer le compromis, quand il a fallu obtenir le soutien des orthodoxes de l’Agudat Israël pour valider le plan de partage de la Palestine élaboré par l’Onu, au prix d’un statu quo entre la religion et l’Etat, qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Pourtant, ce sont bien les idées socialistes qui se développaient en Europe et en Russie à la fin du XIXe siècle, qui ont pénétré le mouvement sioniste. Depuis Nahman Syrkin et Ber Borochov, le projet national juif s’est accompagné d’une vision de transformation sociale pour le prolétariat juif européen, qui ne pourrait se réaliser que dans un Etat neuf et portant un lien historique fort avec l’histoire du peuple juif. Dans la Palestine du début du siècle dernier, le débat sera pourtant intense entre les différents courants qui soutiennent la lutte des classes et ceux qui préconisent une approche plus réformiste. C’est finalement ce dernier qui l’emporte, dans la mouvance de David Ben Gourion et Berl Katznelson, qui fondent en 1930, le Mapaï, le Parti des Travailleurs d’Eretz Israël. Dans sa charte, il se définit notamment comme « membre de la classe ouvrière du monde entier (…) et membre loyal du mouvement socialiste ouvrier du monde entier » et annonce qu’il participe à l’Organisation Sioniste et (…) à l’Internationale Socialiste ».
Les structures pour la formation d’un Etat sont déjà en place, comme la Histadrut, la Fédération Nationale des Travailleurs Juifs, créée en 1920. Les organisations de travailleurs agricoles et les caisses de maladie sont les premiers jalons d’une protection sociale. Avec le développement du mouvement kibboutzique, l’orientation socialiste se consolide. Ce qui n’empêchera pas les divisions au niveau idéologique, en particulier sur le futur caractère de l’Etat, juif ou judéo-arabe.
Le parti communiste Palestinien fondé en 1922 est le seul parti antisioniste du Yichouv, à l’exception de l’Agoudat Israël des juifs ultra-orthodoxes. En 1947, au moment du plan de partage de l’Onu, il prône un Etat « arabo-juif ». Il devient le Parti Communiste Israélien (Maki) en 1948 et soutient l’Union Soviétique. Il cesse toutefois de s’opposer à l’immigration juive à partir des années 60.
L’Hashomer Hatsaïr , premier mouvement de jeunesse sioniste de gauche, participe à la création de la Histadrout et bien sûr au mouvement kibboutzique. Il se structure en organisation en 1927 et devient le parti ouvrier Hashomer Hatsaïr en 1946, par fusion avec la Ligue socialiste. Avant l’indépendance, il se prononce pour un Etat binational, sur une base égalitaire entre populations juive et arabe et sans limitation de l’immigration juive.
Les tensions internes s’apaiseront à l’approche de la guerre d’indépendance et marginaliseront les courants de la gauche plus radicale. C’est donc Ben Gourion qui impose sa vision de l’Etat et son parti qui remportera les premières élections législatives. Le Mapaï deviendra le parti Travailliste en 1968, sous l’appellation Maarah’, mais la couleur politique ne change pas, pour le parti qui restera au pouvoir sans discontinuer jusqu’en 1977. Cette première défaite électorale de la gauche en 1977 au profit de la droite – le fameux « renversement » – a aussi marqué le premier désaveu du sionisme socialiste comme le représentant d’une élite ashkénaze déconnectée de l’immigration des Juifs orientaux.
La renaissance des années 90
Ce n’est qu’en 1992 que la gauche reprend la main. Le parti Travailliste remporte 44 mandats et le Meretz, qui vient de se créer sur la fusion du Mapam, de Ratz et du parti Shinouï, obtient 12 sièges à la Knesset. Mais ce sera la dernière victoire. L’assassinat d’Itzhak Rabin en 1995 marque une rupture. Et désormais, les partis de la gauche sioniste entament un recul progressif dans l’électorat israélien. Ehud Barak, élu au suffrage direct en 1999, sera le dernier Premier ministre travailliste. Quant au parti Travailliste, il changera quatre fois de nom et 12 fois de dirigeant au cours des deux décennies suivantes, passant même des alliances électorales avec des partis centristes ou sectoriels pour tenter d’élargir sa base. Une stratégie qui lui permettra de frôler la victoire avec 24 mandats aux législatives de 2015, sous la direction d’Itzhak Herzog, grâce à son union avec le parti Tnuah de Tsipi Livni, l’ancienne dirigeante du parti centriste Kadima. Le Meretz de son côté obtenait 5 sièges.
L’érosion
Lors des trois scrutins qui ont suivi, le parti Travailliste a poursuivi son érosion, tandis que le Meretz parvenait à maintenir ses forces. En mars 2020, les deux partis se sont pourtant alliés avec le parti Gesher pour parvenir à 7 sièges, avant que le leader travailliste Amir Peretz et l’un de ses deux députés ne rejoignent finalement le gouvernement Netanyahou.
Pour le scrutin du 23 mars, les deux partis de gauche ont repris leur indépendance. Mais cette fois sous la direction de Merav Michaeli, le parti Travailliste vise le segment électoral du Meretz. Le dernier à s’identifier encore à la gauche.