Cofondateur du mouvement Aleinu, qui vise à persuader les immigrants francophones qu’ils ont leur place dans la cité, Yomtov Kalfon a lui-même relevé le défi en entrant en politique sur la liste du parti Yamina de Naftali Bennett aux dernières législatives.
Propos recueillis par Pascale Zonszain
Menora.info : Comment est née l’idée de vouloir faire entrer les olim francophones sur la scène politique israélienne ?
Yomtov Kalfon : Tout est parti d’une discussion, fin 2016, avec mon ami Arié Abitbol. J’avais été un an plus tôt l’attaché parlementaire de Yoni Chetboun [député sioniste religieux, NDLR]. Arié de son côté avait déjà acquis une longue expérience dans l’intégration des nouveaux immigrants. Nous constations que les olim francophones n’avaient que peu ou pas d’influence sur la scène politique israélienne. Parce que le monde de la politique leur restait majoritairement étranger et inconnu. Nous avons donc décidé de tenter l’aventure des élections municipales de 2018 avec le projet Aleinu. Nous avons commencé à chercher parmi les immigrants francophones, des gens de toute couleur politique, dont le dénominateur commun était de vouloir aider les olim à s’intégrer par la représentativité politique et qui seraient prêts à se présenter dans leur commune sur la liste de leur choix.
Pourquoi avoir choisi une échéance municipale ?
D’abord parce que c’était la plus proche. Ensuite et surtout, parce que c’est au niveau municipal que l’influence allait pouvoir se mesurer. Les immigrants francophones en Israël aujourd’hui, c’est entre cent et cent cinquante mille personnes. Pas assez pour un parti sectoriel. En revanche, puisque les olim francophones sont essentiellement regroupés dans un nombre limité de communes, où leur poids démographique peut être important par rapport au reste de la population, nous nous sommes dit que c’était là qu’il y avait une carte à jouer.
Vous vouliez monter des listes de olim francophones ?
Ce n’était pas notre priorité. Nous n’avons aligné une liste Aleinu que dans une seule ville et encore, c’était un calcul politique, pour faire comprendre aux autres candidats qu’ils risquaient une déperdition de suffrages avec une liste sectorielle. Il fallait donc que les olim soient présents sur toutes les listes candidates et de préférence bien sûr à des places réalistes. Les têtes de liste devaient donc comprendre leur intérêt à faire entrer des olim francophones sur leurs listes, puisque cela leur rapporterait des suffrages. Nous avons littéralement formé nos candidats olim au jeu politique israélien, de façon qu’ils abordent l’élection avec les meilleures armes et conscients de leur poids politique.
Et quelle a été la réponse ?
Elle a parfois dépassé nos espérances. A Jérusalem par exemple, toutes les listes ont aligné des candidats francophones, au point que certains électeurs ne savaient plus pour qui voter, de peur de se fâcher avec des amis ! Un bond de géant, si l’on songe qu’au scrutin de 2013, le maire Nir Barkat n’avait placé un olé de France qu’en 12e place sur sa liste. Aujourd’hui, un francophone, Dan Illouz, siège au conseil municipal.
Comment expliquez-vous que les olim francophones aient tellement tardé à sauter le pas de l’action politique, alors que d’autres groupes équivalents en nombre, comme les olim d’Ethiopie par exemple, sont déjà présents depuis des années ?
J’attribuerais cela à un manque de volonté ou d’organisation de la part de la communauté des olim de France. Mais aussi peut-être parce qu’ils ne perçoivent pas que leur intégration dans la société israélienne passe également par la vie publique. Les Ethiopiens, qui ont plus de difficultés d’intégration que les francophones, plus de souffrance, ont développé une plus grande volonté d’influer sur le débat public.
Et du point de vue de la classe politique israélienne ?
Elle a eu et a encore une approche inadaptée de l’alyah francophone. Elle la voit comme un pays occidental, dont tous les citoyens sont donc riches. Et dans le même temps, il y a cette méconnaissance de leur qualification. Parce que leurs diplômes ne sont pas en anglais, alors ils auraient moins de valeur. Pourtant, quelque chose s’est réveillé chez les politiques israéliens. Ils comprennent mieux que les olim francophones sont un acteur qu’il faut prendre en considération. Le nouveau président de la Commission de l’Intégration de la Knesset, le député Likoud David Bitan a déjà convoqué plusieurs discussions sur les olim de France. Il comprend qu’il y a là un vrai public, avec de vraies revendications.
Vous avez-vous-même tenté votre chance aux récentes élections législatives ?
C’est Naftali Bennett qui m’a proposé d’entrer en numéro 11 sur la liste de Yamina pour la Knesset. Aussitôt après, le leader de Shass, Arié Derhy a lui aussi ajouté un candidat francophone sur sa liste, puis le Likoud en a fait autant. Et je pense d’ailleurs qu’il y aura beaucoup de candidats francophones aux prochaines primaires du Likoud. En ce qui me concerne, l’expérience a été formidable. J’ai été admis dans le premier cercle, et je participe toujours à des groupes de travail autour de Naftali Bennett et d’Ayelet Shaked, même si je ne suis pas entré à la Knesset. Il faut influer sur la vie publique en jouant sur ce qui existe. Les partis politiques peuvent aussi avoir de manière permanente une activité dédiée au secteur francophone, comme ils le font déjà pour d’autres segments de la population israélienne. La dynamique est amorcée, il faut continuer !