Israël est divisé en deux régions aussi géographiques que sociales : le centre et la périphérie. Ces deux mondes, qui ne se développent pas à la même vitesse, dessinent une carte d’inégalités.
Le concept de périphérie fait partie intégrante de la définition d’Israël. Le Bureau Central des Statistiques le définit en fonction d’un indice, qui examine chaque localité en fonction de sa proximité avec les autres, pondéré par le chiffre de sa population et sa proximité avec le district de Tel Aviv. L’indice est révisé tous les cinq ans. Le dernier en date, calculé en 2015 recense dix localités les plus périphériques à Eilat et dans sa région pour le sud et à Metula et la Haute Galilée pour le nord. Les dix localités les plus centrales sont Tel Aviv et ses principales banlieues.
Les nouveaux chiffres publiés ce mois-ci (octobre 2019) par le Bureau Central des Statistiques dévoilent une réalité préoccupante. Cela commence par les revenus. Un foyer résidant dans une localité de la périphérie israélienne gagne en moyenne 18.662 shékels par mois, contre 23.036 shékels pour un foyer du centre du pays. L’écart se resserre en revanche en termes de dépenses : 15.132 shékels pour un foyer périphérique et 17.204 shékels pour un foyer du centre. Ce qui se traduit par un risque de pauvreté accru pour les habitants de la périphérie, qui ont 37% de chances de se retrouver en situation de pauvreté, contre 22% pour ceux du centre d’Israël. Un habitant sur 8 est enregistré dans les services sociaux en périphérie, alors qu’il n’y en a qu’un sur 12 dans le centre.
Près d’un cinquième des habitants de la périphérie a renoncé à des soins médicaux pour des raisons économiques, contre 6% des habitants du centre. La carte hospitalière a une part dans cet écart, puisque le centre offre 7 fois plus de lits que la périphérie. Les habitants de la périphérie sont plus exposés au tabagisme, à l’obésité et aux pathologies qui en découlent.
L’accès au logement demeure aussi un des facteurs qui peuvent maintenir une population en situation de pauvreté. Les « quartiers pauvres » font encore partie du paysage urbain d’Israël. Présents dans les villes de périphérie, mais aussi dans certaines agglomérations du centre du pays, ils sont souvent peuplés de nouveaux immigrants qui s’y sont fixés après y avoir été envoyés par les pouvoirs publics. Ces quartiers deviennent eux-mêmes la périphérie, dans ce qu’elle représente de fracture sociale, de population vulnérable, d’exposition à la criminalité et à la violence. C’est le cas notamment de quartiers habités par une population d’origine majoritairement éthiopienne, arrivée en Israël depuis le début des années 90. Plusieurs projets sont en cours d’étude ou de réalisation pour réhabiliter ces zones défavorisées, principalement par la démolition et la reconstruction des immeubles qui les composent et le développement de meilleures infrastructures. L’inconvénient majeur est que souvent, ces quartiers subissent un phénomène de « gentrification », d’embourgeoisement, par un changement de population, qui repousse les habitants les plus défavorisés vers une autre périphérie.
Par ailleurs, le parc de l’habitat public, équivalent israélien des HLM a constamment régressé depuis deux décennies. Il comptait 110 000 unités de logement en 1998, il n’en restait plus que 50 000 vingt ans plus tard (source : ministère israélien de l’Habitat). Le ministère de l’Habitat, qui en a la charge, a vendu une partie de son parc immobilier à des ménages éligibles, sans le renouveler dans la même proportion. Et même ceux qui peuvent prétendre à l’achat de leur logement HLM, attendent parfois jusqu’à dix ans avant de pouvoir exercer leur droit.
Le manque d’emplois maintient également la périphérie dans la précarité. La disparition progressive de l’industrie traditionnelle a sinistré de nombreuses localités où elle était le principal employeur et faisait vivre toute une série d’activités connexes – commerces, services, etc. Pour les mêmes raisons, Israël connait aussi le problème du désert médical, les jeunes médecins préférant s’établir dans le centre du pays, même si une politique d’encouragement vers le Néguev et la Galilée a été mise en place. Mais il est difficile de maintenir une population qualifiée dans des régions isolées par le manque de routes et de moyens de transport. Les projets de désenclavement ne progressent pas suffisamment vite et le choix de créer par exemple des pôles technologiques, comme à Beer Sheva, ne résout pas le problème de pénurie de main d’œuvre locale disposant des qualifications nécessaires pour trouver des emplois dans le high-tech.
L’accent mis sur l’encouragement à l’essor de la haute technologie s’est fait au détriment d’autres secteurs, comme celui de l’industrie traditionnelle, qui pouvait employer une main d’œuvre moins qualifiée. En outre, l’ouverture du marché israélien à la concurrence et aux produits d’importation, qui devaient permettre une baisse des prix, a aussi gravement nui à l’industrie locale. Deux tiers de la population active israélienne – soit 2,5 millions de personnes – sont employés dans des secteurs où le salaire est inférieur au salaire moyen, tels que le bâtiment, les services de santé, les services sociaux, ou le commerce.
Comme par un effet de réaction en chaine, les collectivités locales ne sont pas en mesure de compenser ces inégalités quand elles ne disposent pas pour cela du budget nécessaire, puisque les taxes locales qu’elles perçoivent sont elles-mêmes insuffisantes.
Aussi longtemps que ces disparités ne seront pas réduites, Israël continuera à présenter ce double visage, même si, paradoxalement, l’écrasante majorité de ses habitants – 90% dans le centre et 89% dans la périphérie – s’accorde pour se déclarer généralement satisfaite de son sort.