Qualita, organisation israélienne fondée et présidée par Marc Eisenberg, s’est donné pour mission d’améliorer et d’accompagner l’intégration des nouveaux immigrants de France. Son directeur général, Ariel Kandel fait le point des avancées réalisées et des défis à relever.
Propos recueillis par Pascale Zonszain
Menora.info : Quelles sont les principales problématiques des immigrants francophones ?
Ariel Kandel : Je dirais que deux sont particulièrement pressantes. D’abord l’emploi. Environ 40.000 immigrants sont arrivés de France au cours des dix dernières années, dont 30.000 sur les cinq ans écoulés. Et comme il faut diviser la réalité entre avant et depuis le Covid, je rappellerai qu’avant la crise sanitaire, le taux de chômage variait entre 22 et 23% pour les olim de France. Cela correspond aujourd’hui aux chiffres de l’ensemble du pays, donc inutile de dire qu’ils ont fait partie des populations les plus touchées. L’autre priorité, c’est l’intégration des adolescents. En France, les élèves des collèges et des lycées étudiaient sur la journée continue. A la fin des cours, ils n’avaient rien d’autre à faire que rentrer chez eux, retrouver leur famille. En Israël, les cours s’arrêtent à la mi-journée, il fait beau et nombre de ces jeunes n’ont pas de famille qui les attende à la maison. Les parents travaillent – quand l’un des deux doit parfois le faire en France – et les grands-parents n’ont pas encore fait l’alyah. Il faut des structures adaptées à ces jeunes pour qu’ils ne se retrouvent pas dans la rue.
Quel est le rôle de Qualita ?
Nous fonctionnons en organisation mère, qui chapeaute plusieurs dizaines d’associations françaises ou israéliennes. Il faut savoir qu’en Israël, il y a énormément d’acteurs dans le secteur associatif qui fournissent un travail que d’autres institutions ne peuvent pas faire. Et de notre point de vue, plus il y a d’associations, mieux c’est. Par exemple au niveau local, une association qui organise des activités de football pour les jeunes à Jérusalem, ne sera pas équipée pour organiser des conférences pour des retraités à Ashdod. Notre structure propre compte une trentaine d’employés et nous agissons notamment dans le domaine du lobbying auprès de la Knesset et des différents ministères. C’est là que nous travaillons en particulier pour obtenir la reconnaissance des diplômes français et pour lever les obstacles à l’intégration. Nous avons aussi créé des centres d’emploi, à Jérusalem et à Tel Aviv, en coopération avec les municipalités. Nous mettons l’accent sur l’intégration, les ateliers d’emploi, les oulpans [cours d’hébreu intensif pour les nouveaux immigrants]. Ces mairies ont compris qu’elles ne pouvaient pas tout faire.
Mais il existe des programmes d’Etat, en particulier du ministère de l’Intégration, pour les olim ?
C’est exact, mais trop souvent, ces programmes sont trop limités ou inadaptés aux besoins spécifiques des olim de France. L’Etat fournit le panier d’intégration – la subvention versée aux nouveaux arrivants – le 1er oulpan, et paye les frais de scolarité des étudiants. Mais le reste ne correspond pas, ou bien n’est pas proposé aux immigrants français. S’il y avait des aides suffisantes, nous n’aurions pas eu besoin de créer Qualita.
A qui va l’aide de l’Etat ? Aux Russes ?
Disons que trop de programmes sont sélectifs. Une des premières actions de la nouvelle ministre de l’intégration, Pnina Tamano Shata, a justement été de demander un état des lieux de ces différentes aides et de leurs destinataires. Elle est la première élue d’origine éthiopienne à prendre le portefeuille de l’Alyah et de l’Intégration, longtemps chasse gardée des Russes.
Après cinq années d’activité, quels sont les progrès que vous avez enregistrés dans l’action pour les olim de France ?
Je dirais que nous avons contribué à ce qu’il y ait une meilleure compréhension de la part des différents décisionnaires du pays. Aujourd’hui, les députés, les ministres, les maires ont compris de quoi on parle quand on évoque l’alyah des Juifs de France. J’ai en mémoire une rencontre avec Benyamin Netanyahou après l’attentat de Toulouse en 2012. A l’époque, les dirigeants israéliens croyaient encore que tous les Juifs de France étaient riches et qu’ils n’avaient besoin de rien. Aujourd’hui, ils ont compris que cette alyah est composée de plusieurs populations de niveaux socio-économiques différents. Nous avons réussi à impliquer plus de ministères, plus de collectivités locales dans des budgets d’intégration pour les olim de France. A Jérusalem, le maire Moshé Lion a triplé les budgets alloués aux nouveaux immigrants de France. A Tel Aviv, le maire Ron Huldaï nous a aidés à financer la création du Hub de l’emploi. A Netanya, l’adjoint au maire Avi Slama a permis l’octroi d’une petite aide et pousse à plus de collaboration avec nous. Même au niveau des ministères, les choses progressent. Le ministre de l’Education du gouvernement précédent, Naftali Bennett, a mis en place un programme spécifique, calqué sur celui créé pour les olim d’Ethiopie, pour prévenir la délinquance des adolescents d’origine française et qui est appliqué au niveau des centres communautaires de quartier.
Et sur la reconnaissance des diplômes, cela progresse ?
Il y a des avancées, même si le travail est loin d’être terminé. C’est en grande partie grâce au rôle joué par Eli Alalouf, l’ancien président de la commission de la Santé à la Knesset, qui a convaincu le ministre de la Santé précédent, Yaakov Litzman, de reconnaitre les diplômes des dentistes, des pharmaciens et des internes en médecine. En revanche, rien ne bouge encore pour les infirmiers. Nous avons même été devant la Cour Suprême, mais les juges ne tiennent pas vraiment à s’immiscer dans le dossier. Ce qui se passe avec les infirmiers est un véritable scandale. C’est du protectionnisme ! Car rien d’autre ne peut expliquer le refus de reconnaitre la qualification des infirmiers formés en France.
Comment votre organisation est-elle perçue par les acteurs politiques et publics ?
Qualita est pris au sérieux, parce que nous pouvons afficher des réussites en matière d’intégration et aussi parce que nous sommes capables de mobiliser de la philanthropie. Il faut savoir qu’en Israël, beaucoup de projets se réalisent par « matching », par coopération entre l’Etat ou les collectivités locales et des ONG. Et puis, comme je l’ai dit, nous sommes une organisation-mère. C’est-à-dire que nous représentons aussi d’autres associations et que nous faisons appel à leur expertise en fonction des sujets, par exemple en commission parlementaire ou auprès des ministères. Ce sont ces associations qui parleront, selon leur domaine, qu’il s’agisse par exemple des études supérieures, de l’armée ou des retraites. Cela donne la légitimité des acteurs qui savent de quoi ils parlent.
Quels sont vos objectifs ?
Les sujets prioritaires à traiter ne manquent pas et vont encore se diversifier depuis la crise sanitaire. Je dirais qu’un des objectifs importants, c’est la mise sur pied d’un plan clair pour l’intégration des Juifs de France. Un plan qui prévoie une véritable intégration professionnelle au bout de la première année, un encadrement pour les adolescents et une aide au logement plus sérieuse que ce qui existe aujourd’hui. Quand ce sera prêt, alors on pourra parler des quelque 50.000 Juifs de France qui veulent monter en Israël.
Avec la crise du Covid, ce n’est donc pas pour demain ?
Pas forcément. Israël comprend que les olim ont été les premiers touchés par les effets économiques de l’épidémie. Derniers embauchés, premiers licenciés. Il faut dans le cadre du Budget de l’Etat un poste pour l’intégration des olim et une véritable réponse aux dizaines de milliers de personnes qui veulent faire leur alyah. L’immigration de France peut être un apport et un moteur pour l’économie israélienne. Quant aux motivations qui guident ceux qui veulent venir en Israël, ce n’est pas à nous de les juger. Notre rôle est de tout faire pour qu’ils réussissent leur intégration.