« Les Bédouins sont victimes du racisme de la planification israélienne »

Il est l’un des deux candidats bédouins de la Liste Arabe Unifiée aux élections de mars 2020. Membre du parti Hadash, Youssef Atawna estime que les problèmes de sa communauté viennent d’abord de l’Etat.

Propos recueillis par Pascale Zonszain

Menora.info : Quelle est la situation des Bédouins du Néguev ?

Youssef Atawna : A mon avis, leur principal problème est celui des points de peuplement non reconnus. Ce sont des villages qui manquent des infrastructures et des services les plus élémentaires. Leurs besoins ne sont absolument pas traités. Et il y a bien sûr la démolition des maisons. Au lieu de leur donner un lieu où habiter, au lieu de planifier des logements, les autorités israéliennes planifient des démolitions, toujours plus de démolitions ! Elles exploitent aussi le percement de la route 6 [l’autoroute en cours de construction qui doit traverser Israël du nord au sud, NDLR] pour promouvoir leur projet délirant des camps de caravanes où elles veulent regrouper les Bédouins près des villages existants, qui n’ont déjà pas de quoi répondre aux besoins de leurs habitants. On voit déjà les effets de la crise du logement dans la ville de Rahat, où la Direction pour le Développement de la communauté bédouine, qui est censée améliorer ses conditions de vie, annule la construction de 1.200 logements. Et il y a encore la question de l’éducation, surtout dans les localités non reconnues, et les deux conseils régionaux de Neveh Midbar et El Kassoum, où l’on a vu des grèves à l’automne dernier, parce que 18.000 élèves n’avaient pas de lieu où étudier. Il a fallu ces grèves et une décision du tribunal pour obtenir un service aussi basique que des salles de classe.

Comment s’expliquent cette crise du logement et ce phénomène des localités non reconnues ?

Il faut revenir à la source du problème. En Israël, il y a une Direction du Plan, qui est censée planifier pour les Arabes et pour les Juifs de la même manière. J’en donnerais un exemple. Il y a deux conseils régionaux pour les Bédouins dans le Néguev, et plus de cinquante conseils régionaux dans tout le pays. Et la planification pour ces deux conseils du Néguev est différente de tout ce qui se fait dans le reste du pays. Dans tous les autres, il y a une continuité territoriale sur le territoire du conseil régional. Pour El Kassoum et Neveh Midbar, ce sont des enclaves discontinues. Si les conditions étaient similaires à ce qui se pratique ailleurs, on aurait déjà résolu 99% des problèmes de logement dans les localités non reconnues du Néguev. Mais la Direction du Plan travaille sur un principe totalement raciste : un maximum d’Arabes sur un minimum de territoire, et un minimum de Juifs sur un maximum de territoire. C’est de la planification raciste !

Quel type de planification faudrait-il envisager selon vous ?

Je pense que la base, c’est d’associer les habitants au processus. On ne peut pas couper les gens de leur tradition, de leur héritage. On ne peut pas les couper non plus de leurs principales sources de revenus, que sont l’élevage et l’agriculture. On ne peut pas envisager une planification urbanistique sans prendre cela en compte. On ne peut pas fonctionner seulement sur ce principe de regroupement qui a pour seul objectif de prendre le contrôle du territoire.

Est-ce la seule explication des problèmes de la communauté bédouine ?

C’est le manque de planification. C’est la non-reconnaissance de localités qui existaient avant l’Etat d’Israël. Et c’est aussi le refus de fournir des services à ces localités. Et il faut encore développer l’emploi, ajouter des postes de travail, des zones industrielles. Il y a également la question de l’emploi des femmes. C’est en fait dans tous les domaines de la vie, que la société bédouine est ultra-marginalisée du reste de la société israélienne.

Quelles sont les solutions ?

Il faut commencer par reconnaitre toutes les localités qui ne le sont pas, reconnaitre les droits de propriété des Bédouins. Il faut ensuite développer ces localités de manière égalitaire, à l’image de ce qui est fait pour les localités juives.

Comment réagissent les habitants juifs du Néguev aux problèmes des Bédouins ?

Ils sont malheureusement influencés largement par le traitement médiatique négatif que subissent les Bédouins, qui sont présentés comme des envahisseurs. Et il y a aussi de l’incitation contre les Bédouins de la part de certaines associations juives. Sans s’occuper du développement de la communauté bédouine, l’Etat ne pourra pas réellement développer le Néguev. Nous sommes aujourd’hui entre 30 et 35% de la population du Néguev.

Comment expliquez-vous la violence qui sévit dans la communauté bédouine ?

La violence ne touche pas hélas, que la seule communauté bédouine. Depuis quelques années, elle atteint toute la société arabe en Israël. Elle touche aussi le nord, la Galilée, le Triangle. La responsabilité en incombe d’abord à la police, qui doit veiller à la sécurité des citoyens. Et il y a les armes illégales qui circulent dans la société arabe, qui sont aussi de la responsabilité de la police, qui doit les confisquer. Mais je pense que nous avons aussi une part de responsabilité, en tant que direction politique, sociale, éducative. Nous devons agir beaucoup plus au cœur de la société. Il faut enseigner aux jeunes le règlement des conflits, le respect de l’autre et la sainteté de la vie. Sans une action combinée de la police, des élus locaux et de la direction arabe, on court un risque grave de voir notre société rongée de l’intérieur.

Est-ce que cela n’est pas aussi dû à un choc entre la société israélienne plus occidentale et la société traditionnelle bédouine ?

Je pense qu’un jeune qui est scolarisé normalement, n’a pas de temps pour la violence. Il y a des générations entières qui n’ont pas pu suivre une scolarité complète. Toutes les théories sociologiques du monde confirment qu’un enfant qui n’a pas de cadre scolaire, de diplôme ni d’emploi se retrouve très vite aux marges de la société.

Que pensez-vous du phénomène de la polygamie dans la société bédouine ?

C’est un phénomène qui existe, mais je pense que c’est en train de régresser. Et cela continuera si l’éducation s’améliore.

 

Bédouin israélien, député Hadash à la 20e Knesset, candidat de la Liste Arabe Unifiée pour les législatives de mars 2020.