Le mouvement de peuplement de la Judée Samarie après la guerre de 1967 s’est réalisé en dépit de l’incertitude politique de la région. Il a créé une société à part entière, qui en est déjà à sa troisième génération, mais qui peine encore à trouver sa place dans le paysage général d’Israël.
La première localité israélienne de Judée Samarie remonte à 1943. Le kibboutz de Kfar Etsion fut capturé par l’armée jordanienne la veille de l’indépendance et 242 de ses membres massacrés. Il ne fut rétabli qu’en septembre 1967. En 1973, la Judée comptait 20 nouvelles localités et environ 1200 habitants, avec le soutien du gouvernement travailliste. C’est au lendemain de la guerre de Kippour que le sionisme religieux a pris la tête du mouvement de peuplement des territoires conquis six ans plus tôt. Le Gush Emounim (Bloc de la Foi), fondé en 1974 par Hanan Porat et Moshe Levinger sur les enseignements du Rav Kook. Le mouvement voulait repeupler l’ensemble de la Judée Samarie et ne pas se cantonner à des positions considérées comme stratégiques. L’arrivée au pouvoir de la droite en 1977 a donné un coup d’accélérateur au développement des implantations, mais le Gush Emounim a pris ses distances avec Menahem Begin après le traité de paix avec l’Egypte de 1979, qui prévoyait déjà une formule d’autonomie pour les territoires, et le démantèlement des localités du Sinaï en 1982, qui a entrainé en réponse la création de nouvelles localités juives.
A la fin des années 80, le paysage de Judée Samarie s’était considérablement transformé. La population s’élevait déjà à près de 75 000 habitants répartis dans plus d’une centaine de communes. C’est à cette époque que sont apparues les premières localités pour la population ultra-orthodoxe qui recherchait des logements meilleur marché, près de ses centres traditionnels. Au cours des années 90, le nombre des implantations s’est à peu près stabilisé tandis que leur population continue à croitre.
Un paysage démographique plus religieux
La population de Judée Samarie se définit pour près de deux tiers comme religieuse, pour moitié sioniste religieuse et pour moitié ultra-orthodoxe. C’est aussi une population plus jeune que la moyenne nationale, même si elle commence à donner de premiers signes de vieillissement.
Idéologie et qualité de vie
Le choix des Israéliens de Judée Samarie pour leur lieu de résidence répond à des motivations différentes. Elles peuvent être d’ordre économique, dans la mesure où les prix de l’immobilier restent inférieurs à ceux du centre du pays, tout en offrant une plus grande surface d’habitation et parfois un jardin, pour des prix qui seraient inaccessibles dans les localités de la plaine côtière. Cela séduit des jeunes couples ou des nouveaux immigrants, qui trouvent ainsi de meilleures conditions de logement, tout en restant à distance raisonnable de leur lieu de travail, avec des temps de trajet qui n’excèdent pas ceux qu’ils auraient en habitant une banlieue éloignée. Ces considérations économiques sont également la motivation principale des ultra-orthodoxes qui choisissent de s’établir au-delà de la ligne Verte, en ayant l’assurance de préserver leur mode de vie.
Les motivations peuvent aussi être d’ordre idéologique. Conviction d’appartenir à une nouvelle génération de pionniers, sensation oubliée par ceux qui vivent à l’intérieur d’Israël. Mais aussi fort sentiment de mission politique : celle de repeupler la Terre donnée par Dieu au peuple juif. Une étude réalisée en 2009[1] constate que le niveau de religiosité des habitants de Judée Samarie influe directement sur leur attachement à leur lieu de résidence, qui augmente encore s’ils habitent dans une petite implantation. Chez les non-religieux en revanche, l’attachement est plus fort pour ceux qui résident dans une agglomération importante. La dimension affective joue un rôle plus important pour les habitants religieux, dont le mode de vie est également plus collectif, alors qu’il est plus individualiste chez les laïcs. La pratique religieuse, l’appartenance à une synagogue, le tissu social qui se développe autour de la communauté renforcent les liens entre les habitants et envers leur lieu de résidence.
Des communautés ouvertes mais uniformes
Les représentants des localités de Judée Samarie appellent constamment à renforcer le peuplement de la région et mettent son ralentissement sur le compte des freins politiques sur la construction de logements supplémentaires. Mais les communautés, surtout les plus petites, mais aussi les plus anciennes, tiennent parfois à maintenir leur style de vie, qu’il s’agisse de la pratique religieuse ou du niveau socio-économique. Comme c’est le cas dans certaines localités israéliennes, petites communes, mochavs ou kibboutz, des localités de Judée Samarie ont recours à une commission qui soumet l’acceptation d’un dossier d’achat d’habitation à l’examen du profil du candidat. Une pratique qui permet aux résidents de s’assurer que leurs nouveaux voisins ne modifieront pas le caractère de leur communauté.
Une perception à sens unique
Si les habitants de Judée Samarie se sentent totalement israéliens, ils demeurent encore largement un groupe mal connu du reste de la population israélienne. La mobilité fonctionne essentiellement de Judée Samarie vers l’intérieur d’Israël. Les habitants des implantations qui travaillent en-deçà de la ligne Verte, ceux qui y ont de la famille, ont l’habitude de s’y rendre. L’inverse est moins évident. Les implantations sont perçues comme des communautés fermées, même si la promotion du tourisme local commence peu à peu à familiariser la population israélienne avec la Judée Samarie. Pourtant, leur territoire reste largement méconnu. Beaucoup d’Israéliens ont du mal à localiser une agglomération de Judée Samarie sur la carte et s’ils sont réticents à s’y rendre, c’est d’abord pour des raisons de sécurité. Outre ceux qui refusent d’entrer en Judée Samarie pour des raisons politiques, c’est essentiellement la crainte du terrorisme palestinien qui rebute la plupart.
Une société ébranlée mais résiliente
La population israélienne de Judée Samarie, qu’elle y soit établie pour des raisons économiques ou idéologiques, vit toujours avec un certain sentiment de précarité. L’absence de règlement du conflit israélo-palestinien, leur statut juridique toujours différent de celui du reste du pays et les événements sécuritaires et politiques de ces trois dernières décennies composent une toile de fond sur laquelle la pérennité des Israéliens de Judée Samarie peine à se consolider. La menace d’un abandon territorial entamée avec les Accords d’Oslo, les cycles de violence terroriste, puis le retrait unilatéral de la Bande de Gaza et de deux implantations isolées du nord de la Samarie en 2005 ont eu des répercussions sur leur moral.
Une marge de la jeunesse a commencé à se radicaliser. Les « Jeunes des collines », très médiatisés, ne représentent que quelques centaines d’individus, dont une partie sont des mineurs. Livrés à eux-mêmes, en rupture avec le cadre familial et scolaire, ils s’installent sur des collines le long des routes, où ils établissent des campements ou des constructions de fortune, avant d’en être expulsés par la police ou l’armée. Ce sont aussi eux qui se livrent à des violences contre des villageois palestiniens, ou à qui on attribue des expéditions punitives, surnommées « le prix à payer ». Malgré la présence d’adultes qui les incitent à la radicalisation et parfois au rejet de l’Etat, ils restent minoritaires et ne constituent pas un réel réseau organisé.
En parallèle, une autre partie de la jeunesse de Judée Samarie s’ancre au contraire dans la société, prenant peu à peu la place de l’élite que représentait la jeunesse des kibboutz jusque dans les années 70. Les jeunes gens sionistes religieux issus des localités de Judée Samarie sont ainsi en train de devenir majoritaires dans les unités d’élite de l’armée et dans les effectifs d’officiers.
Multiforme et dynamique, la société
israélienne de Judée Samarie se perçoit largement comme le nouveau fer de lance
du sionisme. Toutefois, son économie encore largement tributaire des fonds
publics et des centres de production du centre du pays et sa règlementation
toujours provisoire continuent de freiner son développement. L’incertitude sur
l’issue du conflit et l’absence de frontières définitives la maintiennent
également hors du mainstream israélien.
[1] Effect of Settlement Size and Religiosity on Sense of Place in Communal Settlements, Hernan Casakin and Miriam Billig, Ariel University Center of Samaria