Spécialiste du Moyen-Orient et de la Chine, auteur de nombreux ouvrages, le professeur émérite de l’Université Hébraïque de Jérusalem connait bien la question des Arabes israéliens. Pour lui, le seul moyen d’éviter la collision passe par un contrat social laïc.
Menora.info : Vous avez intitulé votre dernier ouvrage : « Ce que l’on dit et ce que l’on cache sur les Arabes d’Israël ». Qui cache quoi ?
Raphaël Israeli : C’est très simple : il y a les déclarations publiques, la partie montrée, par les Arabes israéliens comme par l’Etat d’Israël, qui affirme officiellement qu’il n’y a pas de discrimination. Foutaises ! Et il y a ce qui se passe au-dessous, les vraies intentions, les plans, les intrigues. Or, on ne peut interpréter que ce que l’on voit. Et c’est ce que voit le citoyen israélien moyen qui n’est pas un spécialiste et c’est l’impression qu’il a. Mais cette impression est fausse parce qu’il ne connait pas le dessous des cartes, ni celles des autorités israéliennes ni celles du leadership des Arabes. Les Arabes ne sont pas des citoyens égaux. Si un Arabe qui étudie le génie aéronautique au Technion ne peut pas travailler dans l’industrie de défense israélienne, alors où est l’égalité ? Mais ils savent pourquoi. Alors il faut le dire. Si vous servez dans l’armée, vous pouvez travailler dans la défense. Mais si vous continuez à refuser de reconnaitre l’Etat ou de suivre son destin – et c’est votre droit – alors vous ne pouvez pas en même temps revendiquer des droits qui sont contraires à vos désirs. Ça ne marche pas. Choisissez ! On doit donner le choix à chaque individu au lieu de le juger du dehors. La réforme à accomplir, c’est de cesser d’être ambigu, parce que les gens veulent la clarté. Les Arabes aussi.
Vous n’êtes guère optimiste sur la question de la minorité arabe israélienne. Pourquoi ?
Parce que nous sommes en voie de collision. Parce qu’on ne peut pas mélanger l’huile et l’eau. Quelque effort que l’on fasse pour les lier, l’huile remonte toujours à la surface, il n’y a rien à faire. Parce qu’ici ce n’est pas une minorité. On dit : « Ah! qu’auriez-vous dit si les Juifs en Amérique étaient traités ou maltraités d’une telle manière ? ». Oui, mais les Juifs ne sont pas en état de guerre avec l’Amérique. Pas plus qu’ils ne l’étaient avec l’Allemagne, quand ils ont été exterminés. Là, on a persécuté les Juifs parce que Juifs, pas parce qu’ils étaient en guerre. Ici, nous sommes avec un peuple qui est déchiré entre sa loyauté envers son pays, qui est Israël et son peuple, qui sont les Palestiniens. Généralement, ils s’identifient avec leur peuple, pas avec leur pays. Donc nous sommes, à mon avis, dans une situation irrémédiable. Parce qu’on ne peut pas changer leur conviction qu’ils appartiennent au peuple palestinien. Ce sont eux qui réclament d’ailleurs cette appartenance. Donc on ne peut pas et on ne veut pas l’extirper de leur cœur parce que c’est ce qu’ils sont, c’est leur identité. Alors, oui, c’est la collision.
Pourtant les deux populations cohabitent et la coexistence fonctionne.
Ce n’est pas une coexistence. Ou plutôt c’en est une tant que les Juifs sont majoritaires. Et nous pourrions bien un jour devenir minoritaires, parce que leur croissance est interminable. D’ailleurs, il faut remarquer que quand l’Etat a été fondé, ils constituaient à peu près 15% de la population d’Israël. Aujourd’hui, les Arabes représentent 22%, rien que par l’accroissement naturel. Tandis que les sources de croissance d’Israël, l’immigration des Juifs de diaspora, finiront par se tarir, la leur ne tarira jamais car ils ont une natalité plus importante que la nôtre.
Oui, mais la présence d’une minorité importante existe en Israël depuis le début. Et la société israélienne n’en est pas atteinte, elle a une identité forte…
Elle le sera à la longue. En Europe aussi d’ailleurs, c’est la même chose. Tous les démographes pensent que d’ici vingt ou trente ans, les Arabes pourront y constituer 30 ou 40% de la population. A ce moment-là, l’Europe deviendra musulmane, ou bien dominée par une minorité musulmane. En Israël, le problème n’est pas pour maintenant, mais pour dans cinquante ans. Quand les sources d’alya auront tari, qu’il n’y aura plus de Juifs qui arriveront ici, alors tout ou presque dépendra du taux d’accroissement naturel. Et ce sont les Arabes qui auront le dessus. Si les mariages mixtes restent marginaux, il faut en revanche prendre en compte le regroupement des familles entre Arabes israéliens et Palestiniens. Parce qu’autrement, on nous aurait montrés du doigt comme un pays fasciste. Il y a aussi des facteurs sociologiques, politiques, psychologiques, on ne peut pas parler de tout.
Peut-on parler de projet politique des Arabes israéliens ?
Les revendications fondamentales des Arabes israéliens sont de se constituer et d’être reconnus comme un groupement national. Ce n’est pas un groupe d’individus qui se veulent israéliens comme ils le prétendent. Ils veulent être une minorité nationale dans un Etat binational juif et arabe. Ils exigent donc des droits de groupe national : avoir une voix déterminante dans les grandes décisions d’Israël sur la sécurité, le peuplement, l’alya. Ces trois facteurs dominants de l’idéologie sioniste sont exactement contredits par eux. Si nous n’avons pas cette base commune, c’est-à-dire le destin du pays, la vision du pays, alors sur quoi pouvons-nous nous fonder pour avoir un seul peuple ?
C’est donc l’absence d’un socle politique commun qui vous inquiète ?
Les Arabes qui se sont établis en France, pour le moment du moins, votent pour l’Assemblée Nationale. Ici les Arabes votent pour la Knesset mais ils ont constitué leurs partis en groupe. Par exemple, si en France les Arabes d’Afrique du Nord constituaient un parti politique qui s’appellerait ‘le groupement national des Arabes nord-africains’, les Français ne les accepteraient pas. Pas plus en Angleterre. Le maire de Londres qui est pakistanais, s’il s’était présenté sous une bannière de ‘Parti National Pakistanais’, personne n’aurait voté pour lui. Mais il s’est fait élire au sein du parti Travailliste. Les Arabes d’Israël ne veulent pas faire cela. Il y a quinze partis politiques de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. S’ils s’étaient joints à ces partis, alors on reconnaitrait qu’ils luttent comme des citoyens israéliens. Mais s’ils forment leurs partis politiques, cela signifie qu’ils veulent un destin arabe, donc un destin séparé du destin du pays d’Israël.
Mais leur regroupement en Liste Arabe Unifiée s’est aussi fait par nécessité. Au départ, c’étaient plusieurs partis distincts. L’objectif était de maintenir une représentation à la Knesset quand le seuil de représentativité a été relevé.
C’est vrai, mais ce parti de la Liste Arabe est par exemple en faveur du droit au retour du peuple palestinien. C’est-à-dire, la fin d’Israël. Si cinq millions de Palestiniens reviennent ici, ce sera la fin d’Israël, mais ce sera aussi un prix à payer pour eux car ce sera une autre Palestine avec tous les problèmes et les malaises qu’on connait. Et malgré cela, ils y sont favorables. Si vous voulez détruire l’Etat d’Israël, parce que vous êtes opposé au sionisme, ce que peux comprendre, on ne peut pas vous traiter d’ami quand vous vous conduisez comme ennemi. C’est ce que je dis aux Arabes israéliens. Vous êtes des citoyens d’Israël que vous voulez détruire. Si vous êtes intéressés comme vous le prétendez, à l’assimilation dans l’Etat d’Israël, vous intégrez les partis politiques, vous votez. Et vous êtes citoyen comme moi. Vous servez dans l’armée israélienne, vous rendez service au pays. Mais vous refusez de le faire. Si vous voulez que l’Etat défende vos intérêts, vous aussi vous avez l’obligation de défendre les intérêts de l’Etat. C’est une relation à double-sens. Ça ne peut pas être unilatéral.
Si l’on prend l’exemple de l’armée, malgré la présence des Druzes, mais aussi de Bédouins et de Chrétiens, il y a toujours une réticence de la majorité juive israélienne à voir des Arabes musulmans dans les rangs de Tsahal ?
Oui et je le reproche aux autorités israéliennes. On ne peut pas dire une chose et son contraire. On ne devrait pas faire de procès d’intention aux Arabes et leur dire qu’ils ne sont pas loyaux envers l’Etat. Tous ceux qui veulent se joindre à l’armée israélienne, qui se portent volontaires sont les bienvenus. Ceux-là doivent jouir de tous les droits. Et j’irai manifester avec eux pour cela. Mais ils ne peuvent pas vivre dans un pays de luxe où ils ont tous les droits sans aucune obligation. Ça n’existe pas. Je leur dis que c’est pour cela qu’il y a eu une Révolution française. Quand le Tiers Etat n’a plus pu supporter que les nobles et le clergé aient des droits mais pas d’obligations. Cela ne peut pas exister dans un Etat moderne. Il faut leur dire cela. Faites ce qu’il faut pour jouir de vos droits et vous serez les bienvenus dans l’Etat. Et à ce moment-là, je pense que le processus d’assimilation politique et sociale sera accéléré. Mais on ne leur donne pas cette possibilité et je le reproche aux autorités israéliennes, c’est vrai.
Outre la représentation à la Knesset, les Arabes ont aussi un Comité de Suivi. On l’entend beaucoup moins aujourd’hui.
Aucun gouvernement israélien n’a reconnu ce Comité comme représentatif de tous les Arabes israéliens. Mais dans les faits, on négocie avec lui. Un peu comme avec le Hamas. A mon avis, dès le début, on aurait dû dire : s’il y a des individus arabes israéliens qui se plaignent, il y a le système judiciaire. Ils peuvent s’y adresser comme tout citoyen israélien ». Mais s’il y a un collectif qui se dit représentant des Arabes israéliens, qui déclare par exemple un jour de grève, alors tous ceux qui le déclarent sont passibles de prison à mon avis, car cela relève de l’incitation au trouble à l’ordre public. Mais on ne le fait pas. On leur donne le droit de s’exprimer en public et on voit les résultats. Ils déclarent aussi le jour de la Naqba [jour de la « catastrophe » de la création de l’Etat d’Israël, NDLR]. Si mon jour d’Indépendance nationale est pour vous un jour de désastre, alors il n’y a rien à négocier entre nous.
Précisément. Y a-t-il quelque chose à négocier ?
Oui bien sûr ! S’ils l’acceptent, il y a de quoi négocier en tant qu’individus. Je reprends le reproche à l’Etat d’Israël de ne pas établir d’éducation commune à toutes les catégories arabe, juive, ultra-orthodoxe, sioniste religieuse, etc. Dans ces écoles-là, les enfants des kibboutzim, des petites villes à population d’olim, des Arabes, des Juifs ultra-orthodoxes, tous devraient recevoir la même base fondamentale d’éducation. On ne peut pas attendre des enfants qui reçoivent une éducation différente, qu’ils puissent grandir en croyant dans les mêmes valeurs. C’est impossible ! Cela aussi je le reproche à l’Etat d’Israël. Chaque gouvernement israélien comme dans toutes les démocraties libérales, s’attache plutôt à éteindre les incendies. L’essentiel est d’être réélu. Ce sont seulement les régimes autoritaires qui planifient sur le long terme, car ils savent qu’ils seront encore au pouvoir dans dix ans, dans vingt ans. Dans les démocraties libérales, malheureusement, tous les gouvernements essaient de calmer la situation et ‘après moi le déluge’. Ce qui arrivera dans vingt ans, personne n’y pense. C’est pourquoi cela va de mal en pis depuis la création de l’Etat d’Israël.
Pourtant la situation des Arabes israéliens s’améliore. N’est-ce pas une étape supplémentaire vers leur intégration ?
De plus en plus d’Arabes sont diplômés des universités. Nous voyons cela comme une manifestation de l’Etat libéral qui donne l’occasion à des minorités d’accéder à des postes importants. Les Arabes eux, le voient comme le résultat de leur lutte, en dépit de l’Etat israélien. Et comme ils accèdent à davantage de positions importantes, ils augmentent d’autant leurs chances de créer, à terme, leur Etat indépendant palestinien ou de détruire l’Etat sioniste. Dan Shueftan fait une analyse très pointue de leur « Document de vision » qui a été formulé pour le Comité de Suivi par les meilleurs universitaires parmi les Arabes israéliens, tous les élus arabes de la Knesset et par les chefs des conseils locaux arabes. Dans ce document, ils expriment de façon très nette, non pas la reconnaissance de l’Etat d’Israël comme Etat juif, mais comme un Etat qui a pris de force les terres des Palestiniens, qui les a privés de leurs droits. Comment peut-on sur une telle base, être citoyen du même pays ? Si la majorité est toujours accusée d’avoir usurpé le pays ? Il y a comme cela, des positions fondamentales que l’on ne peut ignorer. Tant qu’elles seront là, rien ne pourra changer.
Jusqu’à quel point ces députés de la Knesset et Comité de Suivi des Arabes israéliens ont-ils une influence sur leur population ? Car à regarder la situation telle que vous l’analysez, on s’étonne que dehors, ce ne soit pas la guerre civile ?
Souvenez-vous d’octobre 2000. C’était l’Intifada [les émeutes avaient fait 13 morts parmi les Arabes israéliens, NDLR]. Mais les Arabes israéliens connaissaient les capacités des forces de l’ordre israéliennes. Elles auraient eu les moyens de les massacrer. Et je crois qu’à la fin, il y aura un massacre.
Vous n’y allez pas un peu fort ?
Je vous l’ai dit. Nous sommes sur une trajectoire de collision et un de ces jours, ça va exploser. Les Arabes israéliens vont subir une deuxième ‘Naqba’ encore plus grave que la précédente.
Vous pensez que l’on ne peut avancer que par chocs successifs ? La Journée de la terre de 1976, les émeutes d’octobre 2000, et que l’on attend la prochaine crise ?
Oui, absolument !
Et entre-temps, il ne se passe rien ?
Non, ce n’est pas qu’il ne se passe rien. De temps à autre, on entend que quarante Arabes israéliens sont allés s’engager dans les rangs de Daech en Syrie. Cela ne vient pas de nulle part. Ce sont des jeunes Arabes qui se sont identifiés au radicalisme, comme l’ont fait de jeunes musulmans français.
Mais là ça n’a plus rien à voir avec les Palestiniens. On est dans une autre sphère, celle de l’islam radical globalisé ?
Parce que dans le monde palestinien, il y a quatre strates différentes. Il y a la strate israélienne. Un certain nombre d’Arabes israéliens se sont vraiment assimilés à la société israélienne. Ils aiment le progrès, la technologie et ils préfèrent être en Israël plutôt qu’ailleurs. Il y a la deuxième strate palestinienne. Les Arabes israéliens croient en même temps qu’ils font partie du peuple palestinien. C’est une tendance majoritaire. Il y a la strate arabe. Les Arabes israéliens appartiennent non seulement au peuple palestinien, mais aussi à la grande nation arabe. Donc, puisqu’en Israël ils se sentent minoritaires, voilà qu’ils sont confortés par l’appartenance à la grande majorité du Moyen-Orient, qui est arabe. Et enfin, la quatrième strate est musulmane. Il y a ceux que l’on appelle les islamistes et qui croient à la radicalisation de l’islam. Ce sont ceux qui vont se battre pour Daech ou qui, comme Sheikh Raed Salah [leader du Mouvement islamique branche nord, déclaré hors-la-loi par le gouvernement israélien, NDLR] organisent des manifestations. Ces quatre strates sont comme des cercles concentriques et tout s’y rapporte. On peut s’identifier à l’une d’elles ou en transversale à plusieurs, voire à toutes. C’est une manière de définir son identité en fonction d’une ou plusieurs réalités qui vous constituent. Comme pour tout individu, la personnalité est composée du mélange et du dosage de différentes dimensions.
Quelle est la strate qui prédomine à votre avis ?
Pour le moment, l’ensemble arabe, palestinien et islamique est beaucoup plus fort que le côté israélien. L’israélien, c’est technique. C’est quelque chose qu’il faut exploiter. On vous donne un passeport. On vous permet d’aller dans le monde. On vous permet d’avoir un niveau de vie élevé, d’étudier dans les universités israéliennes qui vous ouvrent les portes du monde entier. Cela, un Arabe ne peut pas l’obtenir en Palestine ou en Libye ou en Irak. Ce sont des avantages qu’il trouve dans le côté israélien. Mais quand on parle de vision, de loyauté, alors on se retrouve dans les trois autres strates.
Y a-t-il une tendance plus claire qui se dessine au niveau collectif ?
Comme dans tout mouvement nationaliste, religieux, ou idéologique, il y a des fluctuations. Il y a eu des moments de grand succès. En Afghanistan, quand les islamistes ont battu les Soviétiques, cela a été vécu comme une victoire de l’islam sur une grande puissance qui ouvrait la lutte contre l’Amérique, l’autre grande puissance. Et on a assisté aux terribles attentats de septembre 2001. Ici, c’est la même chose. Durant les émeutes de la Journée de la terre, puis celles d’octobre 2000, il y a eu un mouvement conjoint des Arabes israéliens et des Palestiniens en Israël et dans les Territoires. Les Arabes israéliens ont vu cela comme un grand soutien à leur effort national, musulman, palestinien. Quand ils assistent à une défaite d’Israël quelque part, ils s’en réjouissent. Quel genre d’Israéliens sont-ils ? Quand Israël remporte un succès, dans le sport ou la technologie, ils ne prennent pas part aux réjouissances. Ils ne s’identifient pas parce qu’ils ne peuvent pas s’identifier. Et ceux qui osent exprimer un signe d’identification avec Israël, sont considérés comme des traitres. C’est d’ailleurs le cas des volontaires dans les rangs de Tsahal. On voit donc combien le fossé entre eux et nous continue à se creuser.
L’influence islamiste continue-t-elle à progresser au sein des Arabes israéliens musulmans ?
Cela ne fait aucun doute. On constate une islamisation de tout le monde arabe, même si elle n’est pas toujours apparente ni rapide. Il y a eu des partis communistes chez les Arabes israéliens et les Palestiniens. C’était l’époque de la grande Union Soviétique. Même s’ils ne croyaient pas exactement dans les idées de Marx ou de Lénine, il y avait cette grande puissance derrière eux et donc une tendance politique à laquelle s’identifier. Puisque l’Union Soviétique s’est effondrée, ils se tournent vers quelque chose d’autre. C’est l’islam. Seul à leur promettre quelque chose, non seulement pour leur avenir, mais aussi pour le passé. Au Moyen-Age, c’était lui qui gouvernait le monde. C’était le monde chrétien qui avait peur de l’islam. L’islam leur dit que c’est le respect du Coran qui les a rendus si courageux, si puissants. Et c’est l’éloignement de l’islam et la tentation de l’occident, que ce soit par l’adoption du nationalisme, qui lui est étranger, ou de ses comportements culturels ou sociaux, qui ont conduit à la colonisation des Arabes par les grandes puissances occidentales. Alors, quand il n’y a pas d’autre idéologie, on s’agrippe à l’islam, seul à avoir démontré sa puissance dans l’ère médiévale.
Comment faire pour éviter la trajectoire de collision que vous décrivez ?
Il faut réformer tout le système israélien. Il faut dire aux Arabes israéliens : vous êtes citoyens de l’Etat d’Israël, nous avons tout un éventail de partis politiques.
Mais ça ne marche plus ! Aujourd’hui un parti comme le parti Travailliste qui avait des députés arabes, n’en a plus.
Bon, alors il y a Meretz. Ce qu’il faut leur dire c’est : vous voulez être des citoyens égaux en droits, vous devez aussi l’être en devoirs. Vous avez un droit individuel, en tant qu’individu israélien vivant en Israël. L’islam, c’est votre affaire personnelle.
Oui, mais pour cela, il faudrait qu’Israël soit un Etat laïc. Ce qu’il n’est pas.
Eh bien justement, c’est cela qu’il faut réformer ! Il faut créer un système d’écoles régional, où tous les enfants sans distinction reçoivent l’éducation obligatoire avec une base commune. En faisant l’apprentissage des mêmes valeurs, on peut espérer que pour tous, le jour de l’Indépendance sera le jour de l’Indépendance. Même chose pour le service national, qui devra être obligatoire pour tous. Faute de quoi, celui qui refuse ces règles, n’est pas citoyen de l’Etat d’Israël. Il en est seulement un résident. Ce qui signifie qu’il n’a pas non plus le droit de vote. C’est de cette manière, à mon avis, que l’on peut neutraliser l’influence électorale sectorielle, que ce soit d’ailleurs celle des Arabes ou celle des Juifs ultra-orthodoxes, parce que c’est le même problème. Il faut que l’on puisse au moins neutraliser ou paralyser le pouvoir de décision de celui qui ne veut pas faire partie de l’Etat d’Israël. C’est un concept d’ensemble.
Mais c’est un concept qui va contre la réalité dans laquelle on est engagé. Israël aujourd’hui ne va pas vers ce modèle-là.
Quand l’Etat d’Israël a été fondé, c’était contre la réalité aussi ! Personne ne croyait que ça pouvait durer. Si on veut que les choses changent, il faut agir. Avec une vision, une grande volonté. Il faut pousser à des réformes dans cette direction. Mais celui qui ne veut pas choisir cette voie de l’assimilation, on ne peut le laisser sans Etat. Donc, il faut aussi régler la question palestinienne. On a divisé les Palestiniens en trois ou quatre tranches différentes. On laisse à Israël le soin de régler le sort de ses citoyens arabes israéliens. Pour ceux de la Cisjordanie, on peut décider d’une autonomie ou d’un Etat palestinien. Ceux de Gaza ont déjà un Etat séparé. Ceux de Jordanie, qui sont déjà la majorité, ce sont les Jordaniens qui s’en occupent. Et les autres, ceux qui sont dans les camps de réfugiés, sont livrés à eux-mêmes. Et c’est précisément ce qu’il ne faut pas faire, parce que l’on n’arrivera jamais à régler le problème de cette façon. Il faut parler d’un seul Etat palestinien et d’un seul peuple palestinien. Il faut les unir tous pour qu’ils constituent un grand Etat palestinien, qui sera beaucoup plus disposé à un règlement avec Israël. Et cet Etat palestinien, c’est à lui que se référeront aussi les Arabes israéliens, puisqu’ils se disent palestiniens. Si vous vous dites palestiniens et que vous n’êtes pas prêts à vous assimiler dans l’Etat d’Israël, vous pouvez continuer à résider en Israël, mais comme résidents étrangers. Vous aurez la nationalité palestinienne. Mais pour cela, il faut qu’il y en ait une. Dans une situation de paix, cela fonctionne. Et s’ils troublent l’ordre, on peut les renvoyer chez eux.
Les Arabes israéliens savent-ils ce qu’ils veulent ?
Ils vivent dans une certaine atmosphère d’incitation sous l’influence de leurs leaders. On ne peut pas savoir ce qui se passe dans la tête de chaque individu, mais on peut juger par ce par ce qu’ils font. Le fait est que 80% d’entre eux votent pour la Liste Arabe Unifiée. Donc, ces élus les représentent. Et nous savons ce que veut la Liste Unifiée : le droit au retour des Palestiniens, mettre fin à Israël, mettre fin à l’alya, etc.
On est dans le paradoxe d’une allégeance à cette classe politique et d’une critique de ces députés que les Arabes israéliens accusent de ne pas les représenter, de ne pas se préoccuper de leurs problèmes.
Je n’y crois pas. Je juge sur les faits, pas sur les paroles. Si vous votez pour eux, c’est que vous considérez qu’ils vous représentent. Alors ce que vos représentants disent, c’est ce qui compte, pas ce que dit tel ou tel de leurs électeurs. Donc, ces incitations politiques des élus arabes que l’on entend régulièrement, c’est cela qui doit nous guider. Car ils sont l’expression collective de la minorité arabe en Israël. Il n’y en a pas d’autre. Il n’y en a pas d’autre que l’on puisse reconnaitre. Tant qu’il n’y aura pas de réforme en profondeur du système israélien dans l’éducation, dans la législation, rien ne sera pas possible. La loi sur la nationalité par exemple : aujourd’hui, la nationalité est acquise par naissance ou par alya. L’acquisition de la nationalité devrait être conditionnée par un certain nombre de devoirs remplis envers l’Etat. Un tel système n’est pas discriminatoire, puisque tous y seraient soumis, Arabes et Juifs ultra-orthodoxes extrémistes. On ne peut vous convier à être l’architecte d’une maison si vous voulez la détruire□
« Hanigleh Vehanistar BeArvieh Israel » de Raphy Israeli (en hébreu), ed. Danny Sfarim, 2017, 240 p.